Qui est-il ? Où se planque-t-il ? Comment sait-il que je m’occupe de cette affaire ?
Les interrogations me pleuvent dru sur la pensarde.
En sortant de l’enchevêtré, pardon : de l’archivécé, je m’engouffre dans un bistraque pour tuber à la grande cabane.
A-t-on des nouvelles de Zoé ? De Formi ? Des textes anciens gravés sur les plaques d’or ? Les différents services interrogés me répondent que non avec un synchronisme endiablé.
A croire qu’on fait relâche pour répétition chez les archers.
Hargneux, je raccroche, écluse un baby scotch et vais rejoindre le Révérend (c’est le cas où jamais d’y dire) Pinaud chez ce grand costumier de la fête sans qui les films d’époque ne seraient que ce qu’ils sont.
Lorsque tu veux juger de la transformation d’un travesti, un bon conseil : n’en suis pas la progression. Juge de l’ensemble une fois que tout est fini. Le maître de la défroque m’annonce (apostolique, toujours le cas d’y dire) que l’officier principal Pinaud est « en » salon d’essayage et m’invite à l’aller rejoindre. Je décline et fait de l’attentisme dans un fauteuil de cuir en feuilletant Lui, ce qui est la meilleure manière de tromper le temps, je le dis tel que je le pense, sans changer un point virgule au titre de cette revue.
Une demi-heure plus tard, le costumier du cinéma écarte une tenture et annonce avec emphase et emphysème (il a l’alvéole qui se dilate) :
— Sa Sainteté le pape Paul VI.
Et Paul vé i paraît.
Hallucinant. J’ai mis un hache à hallucinant pour faire plus sincère. Comment ? Tu dis ? Il en faut un de toute manière ? Eh ben alors, de quoi tu te plains, dis, furoncle ?
Je reprends : Allucinant. Plus vrai que nature. Le nonce fait à Marie ! Il s’en va tiquant ! Il plaque les derniers accords de Latran ! Mieux vaut tiare que Jeanneney. Attends, bouge pas, qu’est-ce que je peux te délirer encore ? Ça va me venir… Il coince la bulle. En six cliques ! Ça te suffit ? Non ? Alors passe dans mon bureau, on continuera à tronche reposée, mais j’en vois qui bâillent déjà. Et faut pas leur surmener les grains de caviar parce que si oui, ils décrochent illico du ventral, les gueux.
La vérité m’oblige à confesser (c’est re-encore le cas d’y dire) que je n’ai jamais eu le béatifique honneur d’approcher Sa Majesté le pape, mais j’ai vu des posters d’elle, et franchement, entre lui et César Pinaud, il n’y a que le siège de Saint-Pierre. Tu les filerais au coude à coude dans une basilique lourdaise, Dieu aurait de la peine à reconnaître le sien. Lui faudrait procéder à une analyse de sang. Tout le monde crierait au miracle ! Et à Lourdes, c’est plutôt rare. Les traditions se perdent depuis les rayons « X ». Ça aussi ç’a été carbonisé par l’électroménager, la bagnole, la résidence secondaire. De nos jours, les gens n’ont plus le temps de se faire miraculer, sauf au L.S.D. Dieu s’épure, au fil du siècle. Bientôt, ne restera que Lui. Unique, nom de Dieu ! Enfin unique ! Toute simagrée humaine effacée, Dieu merci. Les châsses resteront ouvertes toute l’année. On cessera de Le brocarder, de Lui dorer l’auréole, de Lui laisser des pourboires et des ciboires, de Le psalmodier, de Le bredouiller, de Le grande-pomper, de L’embrigader, de Le louer et de Le vendre, de Le solder, de Le subdiviser. On ne Lui filera plus d’associés. On ne Le mangera plus. Ne L’affublera plus d’une Sainte-Face de carême ! Ce sera Dieu seul, mon dieu. Dieu tel qu’Il est, dépouillé de ses oripeaux par notre trouille quand on L’appelle au secours. Dieu sans la connerie des hommes…
Pinaud, cher Pinaud, dis-moi tout. Ton grand-père maternel ne s’appelait-il pas Montini ? Raconte, explique, justifie ?
Que disait-il, le cardinal Demption ? Jamais vous n’arriverez à faire prendre un simple quidam pour le Saint-Père ?
Admettons.
Mais alors j’inverse les réacteurs, et je te demande, moi : César Pinaud est-il un simple quidam ?
A le voir. Sublime de simplicité dans sa soutane d’une conception immaculée. Rayonnant de mansuétude. Le visage éclairé du dedans. L’âme au bord des yeux. Suintant de miséricorde. L’ascétisme en bandoulière. Peureux des fastes vaticons. Un sourire de Saint-Père laconique fiché aux lèvres. A le voir ainsi, cher Gaston (comment ? tu t’appelles pas Gaston ? et alors, ça change quoi ?) l’émotion te vient. La foi te gagne comme un froid aux pieds. Une discrète émotion t’amollit. T’as envie de te signer, de te sous-signer, de te contresigner. De crier gloire au pape ! De l’appeler très Saint-Père. De lui baiser la mule.
— Réussite complète, n’est-ce pas ? souligne le costumier.
— Totale. Je prends !
Machinalement, Pinaud VI lève la main et nous accorde une aimable bénédiction, avec les doigts arrondis, comme s’il nous la traçait à la craie.
Tu sais que l’église Sainte-Articulaire-de-la-Génuflexion se trouve tout au bout de la rue Marcelle-Ségal, presque à l’angle de la place P.-L. Courrier-Duqueur. C’est l’une des plus vieilles églises de Paris, puisque, d’après la légende du temps, Cécile Sorel y fut baptisée…
Un important sévice d’ordre barre la rue ce matin-là, qui est le matin en question, celui qui nous intéresse.
Une foule qu’un journaliste de l’Uhénèretéef qualifierait de nombreuse si elle se trouvait rassemblée là pour accueillir un membre de la dynastie carolingienne qui attend dans la rue et le recueillement, malgré l’heure matinale.
Les lampadaires sont encore allumés.
Une brume floue, mouillée, infiniment parisienne, ouate les contours des choses.
Y a du mystère sur la voie publique.
Les préposés de la téloche sont en batterie. Les photographes de presse tapent du panard pour se défourmilier les radis. On entend, tombant des immeubles d’alentour, des transistors racontant ce qui se passe devant l’église Sainte-Articulaire-de-la-Génuflexion.
Il ne se passe rien, mais ils le racontent admirablement. D’ailleurs, la radio sublimise les moindres banalités. N’assiste jamais à une course cycliste sans avoir ta radio en main, sinon tu passes à côté de l’épopée. Une étape du Tour, tiens, c’est beau qu’à travers Blondin ou Chapatte. A voir, ça paraît tout bêta, trop simple, banal. Faut qu’un spécialiste te tisse la grandeur pour mettre autour. Cuisse de coureur sur lit de gelée à l’estragon. Plus appétissant. Mieux comestible. La réalité ? Une foutaise.
Vive les poètes du radioreportage ou du radiotage-reporté.
Donc on attend, avec onction, comme il sied, compte tenu de la qualité de l’illustre personnage qui va débouler.
Un jour maussade s’installe.
Les projos de la tésillusion française luttent d’influence avec lui, étalant de grands ronds dorés sur le trottoir luisant et le pavé gras.
La foule frileuse des petits matins de Paname chuchote en se tassant. Cela évoque confusément les prémices d’une exécution capitale, ancien style. Au temps du temps qu’on amenait les condamnés sur la voie publique pour les raccourcir et que les bonnes commères venaient tremper leur mouchoir dans le sang pour s’exciter.
Soudain, un cri part de la populace.
Cette exclamation qui ponctue toujours l’arrivée d’un cortège longtemps attendu :
« Le voilà ! »
Un autre cri fait écho.
« Merde ! »
C’est le réalisateur du reportage tévé qui a poussé le second.
Car, d’un seul coup d’un seul, ses projecteurs viennent de s’éteindre.
Trois motards disposés en fer de lance.Puis une D.S. anonyme pleine d’officiels.Derrière, la grande Mercedes papale, avec le fanion du Saint-Siège…Et après l’immense limousine (une Daimler-Benz 280 SE 3,5 l) une caravane de voitures noires…
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