— Pas du tout ! le détrompe mon Valeureux. Ramoneur seulement.
Le bruit miséricordieux de la chasse d'eau se mue en un murmure de source avant de s'interrompre tout à fait.
— Nous souhaiterions visiter la chambre de Paul-Robert, fais-je.
Les deux glandus nous guident par l'escalier. La piaule du gamin est la première à droite.
Ses dimensions et son aménagement tendent à faire croire que les darons du disparu ont un standing supérieur à celui des Malapry. A preuve : il dispose, pour faire ses devoirs, d'un bureau en acajou et, pour ses branlettes, d'un cabinet de toilette attenant.
Le Noirpiot s'assied sur la chaise de l'étudiant et inventorie les tiroirs.
— Que fait-il ? demande dans un souffle la mère du ravissé.
— Il cherche, réponds-je.
— Quoi ? dit le père.
— Il l'ignore, expliqué-je, mais le saura quand il aura trouvé.
Ce résumé d'une action policière accroît leur éplorance.
Dans notre job, la présence de la famille constitue un poids mort. Je n'ai pas le courage de virer ceux-ci de la manière anticonformiste dont j'ai évacué la dabuche de Bernard, naguère.
Tandis que le Blondinet des savanes entreprend le burlingue, moi je m'attaque au placard mural. Des fringues dans la partie penderie, pas en masse : « on grandit tellement vite à c't'âge-là ». Principalement des jeans, des tee-shirts, des trucs de sport. Chaussures de ski. Je passe mes pognes à l'intérieur de ces tartines pour robot. De l'une d'elles je ramène un paquet de lettres réunies par un ruban. Toutes sont écrites en anglais et émanent d'une certaine Juny Largo, de Manchester, sa correspondante britannique, je suppose. Elle doit être plus âgée que Paunert, car elle travaille dans une étude d'avocats à Londres.
Les parents étant occupés à surveiller les agissements du « Grand Nègre », j'enfouillasse les missives avant de pousuivre mes investigations, comme on dit puis en littérature de première classe.
Notre perquise achevée, les pauvres géniteurs demandent si nous avons trouvé des éléments susceptibles de faire progresser l'enquête.
Je leur réponds « qu'il faut voir ».
Cette précision ne paraît pas les raies cons fort thé.
Réunion au sommet !
Le directeur nouveau la préside, sans pour autant me faire de l'ombre, à moi qui le prédécessa. Assis côte à côte à la vaste table des conférences, nous constituons désormais une hydre à deux tronches ; j'apprécie son comportement. Il est rarissime qu'un roi partage sa couronne spontanément et avec autant de gentillesse.
Tout l'état-major est laguche pour, a bien précisé Mouchekhouil, « avancer la main dans la main en évitant de mettre les deux pieds dans le même sabot ».
Pour commencer, je me livre à un résumé suce-seins de l'affaire. N' after quoi, Bingo en tire un premier faisceau conclusif.
A savoir que Pamela Grey a été attaquée gare du Nord pour provoquer la venue de son père à Pantruche. Il tique lui aussi sur la promptitude « d'exécution » des gens qui s'en sont pris au « roi du blé ». La façon dont ils ont utilisé sa fille pour l'appâter, puis dont ils les ont liquidés, révèle une bande sérieusement organisée. Ces gens pratiquent la politique de la « terre brûlée » : à preuve, le rapt du jeune témoin et la tentative d'assassinat contre M. Félix.
Là, je place un drop-goal d'un coup de saton magistral, interrompant le discours de mon co.
— Y a comme un défaut ! laissé-je tomber.
— Vraiment ? s'inquiète Bingo.
— Nous avons communiqué aux médias le nom du père Félix, mais pas celui du môme Charretier. Comment, alors, les tueurs ont-ils eu connaissance de son existence ?
Mes auditeurs, dirluche en tête, restent cois.
— S'ils ont pris au sérieux le pseudo-témoignage du vieillard, poursuis-je, c'est parce qu'ils ignoraient le rôle de Paul-Robert. C.Q.F.D.
Le silence de l'assistance se prolonge.
— Effectivement, finit par convenir mon suce-cesseur.
Mes arrière-pensées butinent mon esprit avec un acharnement d'abeilles désireuses d'en mettre un rayon. Me viennent des bribes d'idées, des projets de déduction ; rien de bien solide encore. Faut que cela s'assemble.
— Je crois, soupiré-je, que nous devrions remettre cet os à plus tard et poursuivre ce tour de table.
Approuvé !
Je passe le micro à l'ineffable Rouquin, drôlement hurff dans un costard de velours noir qui met en valeur le Van Gogh lui tenant lieu de perruque.
— Qu'ont donné les relevés d'empreintes effectués dans la chambre de miss Grey ?
Là, il biche, le Prix Cognacq de la grosse veine bleue ! C'est son instant. Il l'attendait en promenant sa dextre attaquée par les acides sur le zoizeau frétilleur embusqué à l'orée de sa braguette.
Il déclare, avec la voix qu'avait Adolf Hitler quand il vendait des croix gammées en chocolat sur les marchés, au moment des fêtes de Noël :
— Je suis en mesure de fournir l'identité des hommes qui ont tué Pamela Grey.
D'exaltation, Bingo faillit actionner le système éjectable de son dentier.
— En vérité ! s'exclame-t-il.
Le Rouque ouvre la chemise en bristol rouge placée devant lui.
— Grâce aux empreintes, je puis, sans le moindre doute, affirmer qu'il s'agit de deux repris de justice notoires. L'un se nomme Angelo Angelardi. C'est un élément de la Mafia sicilienne exilé en France où il s'est livré à des actions de grand banditisme. Condamné à quinze ans de réclusion pour le meurtre d'un convoyeur de fonds, évadé de la centrale de Poissy.
« Le second ne vaut guère mieux. Il s'appelle Pierre Labé, natif de Saint-Malo, accusé de meurtre et de tentative d'assassinat, il est surtout connu pour ses viols à caractère monstrueux. Il accède au plaisir en découpant les seins de certaines filles au système mammaire surdéveloppé. Peu lui chaut l'âge et la beauté de sa victime, seul le volume de sa poitrine l'intéresse. Il ne tue pas les femmes martyrisées par ses soins, si j'ose parler ainsi. Une fois assouvi, il leur demande même pardon de les avoir saccagées. Il lui est arrivé de pleurer à la vue de son forfait. »
Ayant dit, le Blondirouge fait circuler les photos des deux messieurs.
Tu t'attends à voir des frimes de forbans, mais tu en es pour tes frais. Bien que ce soient des portraits de l'Identité judiciaire, ces gueules paraîtraient normales, voire avenantes, n'était le regard des inculpés. Le Rital possède des quinquets impassibles, tant tellement qu'ils font froid aux valseuses. Les falots du Breton seraient plus expressifs, mais il y brille une lueur qui inciterait un usurier syrien à léguer ses biens à une œuvre caritative, plutôt que de le laisser entrer dans sa boutique.
Le dirluche en titre interroge :
— Un mandat d'arrestation a été lancé contre ces individus, je gage ?
Il gage bien, Bingo, en oubliant une chose : c'est que les archers de la République ont tous, depuis des mois, une affichette reproduisant les frimes de ces gentlemen dans leurs poulaillers.
— Il va falloir intensifier les recherches ! fait-il doctement. Nous allons vous donner de gros moyens pour battre en brèche ces convicts. C'est la mobilisation générale ! L'hallali !
Tiens, il me rappelle le Vieux dans ses grandes périodes de péroraison glandulaire. C'est Achille sans son côté Grand Siècle.
— Je veux un filet aux mailles fines, messieurs, qu'un goujon ne saurait franchir ! Pas de cadeau pour ces sanguinaires. Ils bougent un cil, vous tirez ! Ce sont nos instructions, à San-Antonio et à moi ! Cela dit, il serait préférable de s'emparer d'eux vivants ; n'oubliez pas qu'ils détiennent un adolescent en otage…
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