Tenez, je me souviens du baron Alfred, un Belge… Depuis cinq ans il ne pouvait plus. Avec personne. Et le diable lui est témoin qu’il avait tout essayé, le cher homme : des Noires, des petits garçons, des adjudants de carrière, des vieillardes, des canards de Barbarie, des travestis. Il m’a fallu des mois pour arriver à découvrir la cause de son court-circuit. Les plus fameux psychanalystes avaient séché sur son cas. Savez-vous ce qu’il avait, le baron Alfred ?
Hérité, messieurs.
De son père.
Rien de plus naturel, me direz-vous, d’autant que le défunt était d’âge vénérable. Mais attendez, attendez ! Avant de trépasser, le baron-père passa au doigt du baron-fils une chevalière portant le blason de leur famille. Le croirez-vous ? L’impuissance de mon honorable client provenait de cette chevalière. Lorsqu’il était gamin, il avait reçu moult torgnoles de son père. Chaque fois l’angle vif de la chevalière entamait le cuir chevelu du gamin, si bien que le bijou devint pour lui un objet de terreur. Un outil pour tourmenteur de l’Inquisition. D’avoir à sa main ce redoutable emblème de la sévérité paternelle lui coupait tout moyen. Lorsque je découvris ce complexe, je l’engageai à ôter la bague. Malgré tout, cela ne suffit pas et je crus m’être trompée. Mais messieurs, j’ai plus d’un tour dans mon escarcelle. Heureusement pour la solution de cette histoire, le baron Alfred possède un pénis minuscule, car il en est d’infimes, messieurs. Certains hommes sont mâles par défaut. Ils disposent d’une misère de sexe. D’une babiole ! D’une chiquenaude ! Je pris une initiative qui allait se montrer payante : je passai la chevalière au clitoris amélioré de notre patient et aussitôt le miracle se produisit. Le baron Alfred s’affermit !
Bref, il PUT et ne s’en priva plus !
Depuis lors, il fait l’amour à travers cet anneau. Ce qui revient à dire que, jour après jour, une sorte de lente et délicieuse vengeance se perpètre. Le baron Alfred ne trousse plus des filles. Non, dorénavant, il baise les brimades anciennes d’un hobereau tyrannique. La modestie de son appendice lui permettant de fréquenter aisément la partie pile de ses contemporaines, à chacune de ses visites anales l’exquis bonhomme exulte : il a le sentiment de sodomiser papa !
Cet exemple vous illustre ma persévérance, messieurs.
Je n’abdiquerai pas. Oh non, jamais !
Battons-nous, Adeline ! C’est pour la gloire de la France !
Général ! ! ! Revenez ! Nous avons perdu une bataille, mais nous n’avons pas perdu la guerre !
Ainsi parla la marquise…
C comme Сulte

Et le général revient.
Il a la joue gauche pareille à une moitié de ballon de rugby : violacée et striée de traînées pourpres.
— Ve crois que v’ai une fluxion ! dit-il.
Une mousse rose fleurit à ses commissures.
— Reposez-vous un instant, conseille la marquise de la Lune. Prenez une aspirine, décontractez-vous. Ensuite, je vous ferai l’opération « Obélisque ». Elle est infaillible ! Nous l’avons expérimentée sur un nonagénaire qui n’avait pas eu le moindre retinton de vigueur depuis seize ans et en moins de quatre minutes, il hardait comme un peintre !
– À votre bon cœur, soupire l’ex-chancelier.
Puis, se tournant vers moi, il déclare :
— Inspector, conformément à nos accords, je vous redois encore trente-huit minutes et quinze secondes d’entretien. Je suis à votre disposition.
Il déclenche la trotteuse de son chronographe.
— Merci. Je souhaiterais recueillir plusieurs renseignements. Par exemple le nom de cette fille du Foreign Office qui vous accordait ses faveurs lorsque votre… heu… mal s’est déclaré.
Mac Heuflask s’énerve.
— C’est une personne des plus honorables qui n’a rien à voir dans cette sinistre affaire et que je ne saurais risquer de compromettre.
— Il n’est pas question de la soupçonner, m’empressé-je, mais simplement de la consulter à propos de votre comportement amoureux d’alors. L’intéressé n’est jamais bon juge de lui-même en la matière.
— De mieux en mieux ! Vous figurez-vous que je…
Bérurier qui se curait les ongles avec la pointe de son Opinel s’approche de notre « client ».
— Fais pas tant de foin, Robert, lui dit-il. Quand on a du chouine-gomme à la place du zobinard, on s’écrase. Si tu nous donneras pas le blaze de ta souris, on l’aura en allant faire du porte-à-porte dans les ministères et même chez les Dimbourg à Buquinjambe-Palace et ton pedigree aura rien à y gagner. Au contraire, si tu nous allongerais les cordonniers de la gonzesse, on se la voit entre six yeux, sans fracas ni chichis et tout se passe aux pommes. Nous autres, c’est comme chez les mecs de la police privée, on a pour devise célébrité-digression ! You scie ce que je veux dire ?
Je complète les belles paroles de mon subordonné par des arguments, moins délicats sans doute, mais plus persuasifs, et vaincu, le général aboule les coordonnées de Miss Maud Dusvivandy, 19 Oldbondstreet, London.
— Seconde question importante, mon général, je suppose qu’à votre prise de fonctions vous avez déménagé ?
— Pas du tout. J’allais chaque matin à la chancellerie, mais je ne l’habitais pas.
— Vous demeuriez ici ?
— Non, dans mon appartement de Londres, près de Regent Park.
Il m’en précise l’adresse en m’annonçant que, présentement, il est fermé et qu’il le restera jusqu’à sa mort ou jusqu’au retour de sa virilité.
— Eh bien, ce sera tout pour le moment, mon général, déclaré-je.
Le valeureux soldat regarde sa montre.
— Il vous restait très exactement un quart d’heure de conversation à utiliser, me dit-il. Je vous le rembourse ou bien je le porte en compte ?
— Considérez-le comme un à-valoir sur la prochaine audience, car nous nous permettrons de revenir.
Le Mastoche, qui se montre songeur depuis un instant, demande brusquement.
— Le biniou est rapide pour la France, Robert ? Les poissons-scies jouent pas trop aux cons avec les câbles sous-marins, car j’aimerais tuber à Paris ?
— Vous l’avez presque immédiatement, assure Mac Heuflask.
— Alors, si vous le permettriez, je vas grelotter là-bas, biscotte y me vient une idée à propos de votre agonie du falzar.
— Si vous appelez en P.C.V., faites ! consent notre hôte. Le téléphone se trouve dans la pièce voisine.
— Qui demandes-tu ? ne puis-je m’empêcher de questionner.
À tort ! Du reste, le Gravo me rabroue :
— Pas d’empiétage sur la vie privée, pelisse ! répond-il. Bientôt va falloir un bon de service pour aller aux chiches.
Puis, me montrant aux assistants, il déclare :
— San-Antonio, ce serait pas le mauvais cheval, mais ce qu’il a c’est qu’il a pas l’esprit syndicalisse. Mâme la marquise, je suppose que vous devez causer l’anglais comme père et mère, vous voulez bien me demander ma communion à la stand-artiste, j’ai des lagunes dans mon britiche.
* * *
Des façades grises, sévères, un peu tristes, mais si romantiques qu’on leur pardonne leur austérité. La rue s’en va dans une douce grisaille en direction de Soho. Des magasins morts alignent leurs médiocres lumières. Des commerces paisibles pour la plupart : boutiques de décorateurs, antiquaires, banques, tailleurs… Un hindou à turban passe comme un chat sur le trottoir étroit. Je remise ma pompe et lève mes yeux sur l’immeuble de la demoiselle Dusvivandy. Il est plus étroit que les autres, plus noir. Je note qu’il y a de la lumière derrière toutes les fenêtres. Donc, la môme est chez her .
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