Mais les rêves, c’est fait pour être rêvés, pas pour être vécus. Alors il faut pas confondre ce qu’on est capable de faire, avec ce qu’on a envie de faire. Il faut pas avoir une prétention au-delà de ses qualités d’une part, et d’autre part il faut savoir adapter ce qu’on sait faire à ce quelque chose qui n’a rien à voir avec nous.
Ça veut dire que quand je me présente aux élections, que je me marie avec Le Luron, ou que je fais les Restaurants du Cœur, je fais un effet médiatique qui part de mon talent, mais qui ne sert pas du tout mon métier.
Aujourd’hui, le seul disque que j’arrive à faire vendre, c’est celui des Restaurants du Cœur. Mais, moi, j’ai un disque de blagues qui vient de sortir, et qui se vend pas. Alors que mes disques se sont toujours vendus comme des petits pains.
Pour l’instant donc, je fais pas vendre mon disque. C’est pas grave, parce qu’on le fera vendre plus tard, on va se démerder, il y a aucun problème. Mais n’empêche que la vérité de la chose, elle est là. On peut pas détourner l’attention du public à son propre intérêt.
J’ai choisi d’utiliser ma personnalité populaire pour faire autre chose que ma profession. C’est une bonne combine à long terme pour moi, parce qu’il est probable que pendant encore des générations et des générations, quand il y aura les présidentielles, on dira : rappelez-vous qu’un certain Coluche avait fait 16 % d’intentions de vote, à une époque où le R.P.R. faisait 17, et le Parti communiste 15.
Si vous voulez, c’était le premier signal d’alarme dans une démocratie. C’est la première fois que des gens répondaient à une intention de vote pour quelqu’un qui voulait pas être élu. Ce qui est très important comme démarche. C’est pas pareil. Alors, voilà. Je vais faire ce que je peux. Et puis il se trouve que ça me fait marrer, j’aime bien ça… Le geste auguste du semeur… de merde…
QUESTION : Si je comprends bien, Coluche, vous êtes tout à fait d’accord avec le fait que pour un artiste, ce qui compte autant que son talent, c’est ce qu’on appellerait son image de marque, ou pour employer un mot plus a la mode, son « look ».
Il y a une question que je me pose, c’est qu’il peut devenir prisonnier de cette image de marque. Je prendrai un exemple, celui de Serge Gainsbourg. Moi j’aime beaucoup Serge Gainsbourg, en tant que compositeur, en tant que mélodiste. Je trouve qu’il est parfait, il a un talent énorme. Mais il veut donner tellement l’image du type bourré, qui s’en fout, et obsédé et tout, qu’en fin de compte on s’aperçoit qu’il force un peu la note. Qu’est-ce que vous pensez de ça ?
COLUCHE :C’est un bon exemple, Gainsbourg. Comme vous dites, vous l’aimez pour ses qualités artistiques, et ceux qui l’aiment parce qu’il est pas rasé, c’est ceux qui l’aiment pas pour ses qualités artistiques. Donc ça n’a aucun intérêt pour lui.
Comme disait un de mes prédécesseurs de la profession : que vous aimiez individuellement un artiste ou pas, ça ne fait rien. Exactement rien. S’il s’agit d’une personne. Gainsbourg, il fait des mélodies pour plaire à ceux qui aiment ses mélodies, et il se rase pas, il est bourré, pour faire parler tous ceux qui le détestent.
Parce qu’il faut pas oublier qu’on est toujours vedette avec un minimum de public. Le président de la République est élu avec 11 millions de voix, alors qu’il y a 55 millions de Français. Moi quand je fais un tabac dans mon métier, je vends un million de disques, alors qu’il y a 18 millions d’électrophones. On est toujours vedette avec un minimum de public.
Donc, si en faisant votre travail toujours pour ce même minimum, vous vous adressez au nombre important de gens qui soit vous détestent, soit s’en foutent (ce qui est encore pire), à ce moment-là évidemment vous devenez une vedette beaucoup plus populaire que votre seul talent vous aurait permis de l’être.
C’est un très bon exemple, Gainsbourg. C’est justement ce que je disais avant, mais vous m’avez permis de le dire encore plus clairement. Le talent consiste à ne pas s’intéresser seulement à ses auditeurs. Il faut s’adresser à l’ensemble de la population, en utilisant ce qu’on sait faire. Moi, je peux vous garantir que j’ai vu Gainsbourg arriver pas bourré, et être bourré instantanément en entrant sur le plateau, il sait le faire. C’est son métier.
Et puis peut-être que les Restaurants du Cœur, si vous voulez une morale à tout, c’est peut-être le prix que Coluche est obligé de payer pour rester vulgaire…
QUESTION : Vous évoquiez tout à l’heure la possibilité dans peut-être deux ans de récidiver si j’ose dire, mais non pas au sens péjoratif. Ne craignez-vous pas que le pouvoir dont nous parlons soit peut-être encore plus illusoire qu’on ne pourrait le craindre, dans la mesure où vous ne pouvez pas le réutiliser, et où je pense qu’il doit avoir une sorte de faculté d’usure immense ? Si demain Coluche (demain ou dans deux ans) réamorce une nouvelle campagne, ne pensez-vous pas que le public ne le suive pas aussi facilement qu’il l’a suivi pour les Restaurants du Cœur, en disant : il recommence, il nous fait le coup des Restaurants du Cœur… et qu’il y ait finalement un phénomène d’usure à la limite, qui se produise assez rapidement ?
COLUCHE :C’est bien pour ça que notre profession nous permet de nous étaler parce qu’on est plusieurs. Par exemple, les seuls contacts que j’ai eus avec le R.P.R. dans cette affaire de Restaurants du Cœur, c’est par Daniel Guichard et Alice Donna, qui eux sont copain et copine, avec des gens du R.P.R., et si demain ça devait être un autre leader que moi pour les Restaurants du Cœur ou pour une autre idée, je serais tout à fait ravi. Moi, j’aiderai tous les gens qui ont une idée, qu’ils soient de mon métier ou pas, à faire quelque chose.
C’est vrai que peut-être le public va dire ça. Moi, je pense le contraire. Pour l’instant, c’est nouveau pour eux, ce pouvoir dont je me sers leur est offert, ça va leur donner la possibilité… c’est pas une loi qui les oblige, c’est une loi incitative et pas obligatoire, qui leur donne la possibilité, au lieu de donner 1 500 F à l’armée française… Parce qu’il faut savoir que le budget de l’armée, de l’industrie militaire, est beaucoup plus important que celui de l’industrie civile, et que tant qu’on inversera pas un peut peu les chiffres, on pourra pas sortir d’une situation…
Donc si le public arrive à comprendre qu’on lui a donné un billet pour avoir un peu de pouvoir sur son impôt directement, peut-être que la prochaine fois, il se dira : il faut suivre, parce que la dernière fois il a eu une bonne idée. Bon, peut-être au contraire… enfin… moi je me dis ça. Maintenant, effectivement, ils vont peut-être se lasser…
En tout cas, pour qu’ils se lassent réellement, il faudrait qu’un nouveau pouvoir arrivant aux affaires de la France, dise : ça n’est pas raisonnable de laisser voter une loi qui a été faite par un saltimbanque. Alors, à ce moment-là, le public dirait : eh bien finalement, on a fait tout ça pour rien, et Coluche a fait ça pour rien, donc la prochaine fois, quand je lancerai une idée, il dirait : on va pas refaire un truc pour rien.
Tandis que si on aboutit vraiment à une loi qui est votée, ça ils l’oublieront pas, les gens. Ils l’oublieront pas. Donc la prochaine fois que je sortirai une idée, ils diront : il faut suivre.
C’est pour ça que si j’avais quelque chose à venir vous demander, ça serait ça. Si vous pouvez aider à ce que cette loi ait lieu, faites-le. Parce que même si vous avez des soupçons pour le fait que ça favorise plus cette fondation qu’une autre, dites-vous bien qu’on leur fait mettre le doigt dans l’engrenage où ils vont laisser le bras.
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