QUESTION : Coluche, je vais me permettre de vous poser deux questions. En 1981, vous l’avez fait remarquer tout à l’heure, et on se plaît aussi à le constater, vous avez fait un vrai tabac médiatique en posant votre candidature entre guillemets «bidon ». Pourquoi n’avoir pas, à ce moment-là, monté votre opération Restaurants du Cœur ? Cela voudrait-il dire qu’en 1986, il y a plus de pauvres qu’en 1981, et que cet appauvrissement, comme dit Jacques Chirac, comme il l’a dit hier au soir, serait dû au pouvoir socialiste ? Première question.
Seconde question, qui me sert de transition justement avec l’heure de vérité à laquelle est passé Jacques Chirac hier au soir : à une question qui lui a été posée, consécutive à l’émission de TF1, et à son absence à cette émission, Monsieur Chirac a répondu qu’en tous les cas il n’avait pas voulu cautionner une opération qui, à son avis, servait à réactiver les soupes populaires (et son propos était tout à fait péjoratif)… et je voulais connaître, sur ce deuxième propos, votre sentiment, Coluche.
COLUCHE :Il n’y a qu’une seule réponse à vos deux questions. Effectivement, dans son discours, parce qu’il est en campagne électorale, Chirac a intérêt à faire croire que les pauvres qu’on nourrit aujourd’hui ont quatre ans d’âge, alors que vous savez les mecs qui font la queue chez moi et qui ont quatre ans, il y en a pas des masses… Maintenant, s’il fallait redistribuer les pauvres qui existent, c’est certain que les hommes politiques seraient tous en cause, et que c’est leur jeu de se les renvoyer.
Pour ce qui est du cautionnement qu’il n’a pas donné, il a quand même pas évité de le donner non plus parce qu’il aurait très bien pu interdire à Alain Juppé d’y venir. Je me suis rendu à la mairie de Paris pour le voit, je l’ai pas fait spécialement discrètement, ni derrière son dos. C’est vrai que j’ai demandé à le voir et qu’il ne m’a pas reçu, c’est vrai aussi que j’aurais du mal à lui faire croire que je suis R.P.R., je pense pas que j’essaierai d’ailleurs, et je pense que c’est la seule chose qui l’intéresse.
La seule chose que je constaterai, c’est qu’il dit du mal des restaurants du Cœur finalement parce qu’il les croit socialistes. Il fait une erreur, que le public n’a pas faite, et les hommes politiques font suffisamment d’erreurs pour faire attention à ce qu’ils disent. Sur quelque chose qui est populaire il a tort de dire ça.
Les deux seuls à qui il reproche quelque chose, c’est le parti socialiste, et le Secours populaire, qui comme vous ne l’ignorez pas, est communiste.
Moi, j’ai vu Bérégovoy et Monory, puisque j’y étais dans l’émission pour les Restaurants du Cœur, et ils ont dit devant le public français qu’ils étaient tous les deux d’accord pour faire aboutir cette loi. Alors, comme ils seraient l’un et l’autre ministres des Finances, il est bien évident que si ça n’aboutit pas, comme c’est une loi de finances qu’il faut transformer, moi, j’aurai tout le loisir de les traiter de menteurs pour le restant de leurs jours, et que ça, c’est quelque chose que je risque de leur faire payer un peu cher. Donc, peut-être qu’ils feront pas les cons.
Mais c’est vrai que le R.P.R. pur et dur, venant fort au pouvoir, pourrait très bien dire que finalement c’est injuste de ne le faire que pour les Restaurants du Cœur, profitant du fait que c’est plus maintenant mais au mois d’octobre, et que la sensibilisation faite aujourd’hui va s’estomper… Voilà, c’est vrai, il y a des risques, et puis, c’est leur jeu de dire ça. Mais, à mon avis, c’est une connerie… Moi j’aurais été conseiller en communication de Chirac, je lui aurais pas fait dire ça. J’aurais pas fait dire non plus à Fabius qu’il avait fait le sale boulot… ni qu’il aimait les pauvres, parce qu’on le croit pas…
QUESTION : Coluche, je sais que vous avez un métier difficile, où il y a peu d’élus. Il y a aussi dans votre métier beaucoup de misère. Avec votre générosité et votre pouvoir — j’en parle parce que je ne suis pas dans le métier — est-ce que vous pensez faire quelque chose pour tous vos collègues qui ont des difficultés à vivre !
COLUCHE :Non. Je peux vous répondre nettement non. Pour une raison simple, c’est qu’on a une profession dans laquelle on ne peut pas aider qui que ce soit. C’est pas nous qui jugeons. Il n’y a pas de piston dans notre métier. C’est sûr qu’il y a des filles qui se font baiser par les producteurs, pour réussir, mais elles réussissent qu’à se faire baiser… C’est tout ce qu’on leur connaît comme réussite ! Celles qui ont réussi se sont fait baiser aussi, c’est bien la preuve que c’est pas un critère…
Donc, vous dites que c’est un métier difficile, c’est difficile pour ceux qui arrivent pas, c’est facile pour ceux qui arrivent. Moi j’ai jamais trouvé que c’était un métier difficile. J’ai entendu dire toute ma vie qu’il fallait tous les soirs conquérir le public. Moi j’ai vu des gens qui avaient payé leur place, qui s’entassaient là, ils étaient conquit d’avance, ils étaient ravis d’être là, j’étais ravi qu’ils soient là, j’ai jamais eu de problème de lutte.
QUESTION : Je parlais… on vieillit. Il y a des anciens artistes, je parlais de ceux-là, bien sûr, je parle pas de la nouvelle génération…
COLUCHE :Oui, mais ça c’est un problème de société en général, c’est qu’est-ce qu’on fait de nos vieux, qu’est-ce qu’on fait de nos infirmes, qu’est-ce qu’on fait de nos pauvres ? Et qu’est-ce qu’on fait des pauvres du monde même, parce que de plus en plus les jeunes générations nous poussent au cul… On n’est plus des citoyens français, on est des citoyens du monde, de plus en plus… S’il y avait un peu de poussière à enlever partout, ce serait celle-là. On est de plus en plus des citoyens du monde.
Alors dans l’ensemble, c’est un problème qui se pose à la profession en général, et à toutes les professions.
Je pensais que vous vouliez dire : qu’est-ce qu’on fait des 92 % de chômeurs dans notre profession ? On ne peut pas les aider. C’est le public qui décide de savoir… Moi j’ai débuté en même temps que cinq autres comiques, dont au moins trois sont totalement inconnus, et pourquoi le public m’a choisi moi… je veux pas faire la gueule, mais franchement j’en sais rien…
Alors vous savez comment c’est notre métier, quand on fait un bide tout le monde sait pourquoi, quand on fait un succès personne sait pourquoi. Voilà. Quand on fait un bide, tout le monde dit : mais c’est normal, ils ont pris l’autre con, regarde-moi cette affiche, et le nom du film, et le costume de l’acteur, et ça va pas, et tout ça, tout le monde sait pourquoi.
Mais quand on fait un succès, ils disent : c’est extraordinaire, on comprend rien. Ça les arrange, de pas comprendre, aussi.
Non, c’est un métier où on ne peut pas aider les gens et même, je vais vous dire, par rapport à l’honnêteté humaine, je considère pas que c’est une profession où il faut essayer de les aider… enfin, je veux dire de les aider contre leur talent… Si vous reconnaissez du talent à quelqu’un, évidemment vous l’aidez. Bon, ça évidemment, je l’exclus d’autorité. Mais je veux dire que par charité chrétienne, ou par charité professionnelle, de dire il faut aider les gens, 92 % de chômeurs qu’il y a dans ma profession, on peut rien faire pour eux. C’est un mensonge de dire qu’on va le faire. Et puis même, il y a au moins 92 % de chômeurs, parce que le métier est au gré à gré. Alors c’est pas normal qu’il y ait 92 % de gens qui n’ont pas du tout de travail, et que les 8 % qui restent soient milliardaires. Ou enfin… presque tous. Parce que c’est tout le temps les mêmes qui travaillent.
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