Donc ce serait pratiquement pas juste, parce que c’est pas bien d’encourager quelqu’un à continuer dans une profession où il a pas d’avenir. Surtout dans une profession artistique, qui demande à la personne de s’investir au plus profond de soi-même, puisqu’on passe par nos sentiments propres pour jouer la comédie, et donc ça peut mener des gens au suicide. Facilement, parce qu’il y a une confusion avec la personnalité qui réussit pas dans les personnages qu’on pourrait jouer, et tout ça… Si on n’a pas le moral, on peut pas être gai dans notre métier…
Maintenant pour ce qui est de l’impact qu’on a sur le public par rapport aux hommes politiques, il faut bien savoir que, dans l’ensemble, les artistes qui ont du succès font plus de public en nombre que les hommes politiques dans l’année, et que d’autre part, ils sont payants, les nôtres. Non seulement on fait plus de monde qu’eux, mais nous on fait payer.
Il ne faut pas oublier que, pour parler de deux vedettes internationales, le pape a fait 40 000 personnes de moins au Bourget que Bob Marley. Et le pape, c’était gratuit.
QUESTION : Cher Coluche, si vous le permettez, pourquoi ne pas revenir un petit peu au sujet du débat de ce soir, qui portait sur votre pouvoir. Vous nous avez donné une démonstration magnifique de votre pouvoir, et je crois qu’ici tout le monde ne peut que s’en féliciter, et vous féliciter.
Vous, avec votre générosité, vous faites un tabac, et ce tabac est magnifique, et cela débouche sur les Restaurants du Cœur… Vous nous avez dit aussi que les vedettes étaient périssables. N’avez-vous pas peur qu’un jour une vedette de votre talent, avec une sensibilité Le Pen, fasse un tabac qui porterait sur l’égoïsme et la rancœur ? Est-ce qu’il n’y a pas un danger, et comment justement pouvez-vous, vous, prévenir ce danger-là ?
COLUCHE :J’ai pas le pouvoir de le prévenir. Effectivement, quelqu’un qui aurait une sensibilité tout à fait opposée pourrait s’en servir à contresens. Je voudrais le voir, quand même… Par rapport au public, c’est un petit peu vite préjuger de ses réactions. Moi je pense qu’on ne peut pas les abuser. Je pense que c’est vraiment précis le créneau où on peut les avoir. Pour l’instant, ils n’ont pas compris que ça leur donnait accès à un petit peu de pouvoir par rapport à l’État, cette loi. Mais ils ont compris que, quand on les mobilise, avec des gens qu’ils reconnaissent comme étant pas seulement généreux, mais honnêtes en tout cas, ils savent que ça va réussir.
Moi, ce que j’attends, en arrêtant le 21 mars, c’est que le 22, les 126 000 personnes qu’on a nourries le jour avant aillent à la mairie et disent : alors, Coluche y arrive, et vous vous y arrives pas ! C’est ça que je veux voir une fois. Je veux voir le public prendre conscience du fait que quand il s’unit autour d’une idée, il est fort. Et je pense pas qu’on pourra réunir facilement des gens autour de l’idée qu’il faut pendre des Noirs, ou des Arabes… je crois pas. Je crois justement que le défaut de Le Pen, par rapport à son talent médiatique… Parce que le talent de Le Pen, la capacité énorme qu’a ce type-là de passer à la télévision, s’il n’avait pas fait la connerie de s’enfermer dans le racisme, qui le limite dans son audience future, et qui lui fait une casserole au cul qui se détachera jamais comme on dit, ce mec-là aurait pu aller plus loin. Et si jamais il dépasse 10 %…
Il faut pas oublier qu’aujourd’hui il s’agit d’intentions de vote, qu’il s’agit aussi de vote législatif à la proportionnelle, quand il s’agira des présidentielles, on verra s’il fait 10 %…
Parce que pour l’instant, ce type-là, il s’est quand même mis sur le dos cette énormité qu’est le racisme. Si par réaction aux hommes politiques, on est capable de voter pour Le Pen comme on avait l’intention de voter pour Coluche en 1981, pour la même raison de rejet, c’est-à-dire faire preuve d’une espèce d’abstentionnisme supplémentaire marqué d’un caractère particulier, je crois pas que pour autant 10 % de Français soient racistes au point de s’inscrire à un parti qui n’est que ça.
Moi, j’ai personnellement été élevé comme un Rital. Comme vous le savez, les Italiens étaient associés à Hitler pour faire la guerre (encore que, évidemment, l’Europe rêvait d’être envahie par l’Italie plutôt que par l’Allemagne), mais en tout cas, après la guerre, ça le foutait très mal d’avoir été Italien pendant, ce qui était le cas de mon père, et donc le racisme s’exerçait… J’ai jamais eu un physique d’Italien, donc je m’en suis sorti…
Mais… il faut pas faire un monde, sous prétexte que le Figaro-Magazine fait sa couverture toutes les semaines avec le racisme, il faut pas croire que ça intéresse le public pour autant.
Je cite le Figaro-Magazine parce que j’ai des affaires personnelles avec eux… et puis c’est vraiment une bande d’enfoirés… Je peux le dire… au sens ancien du terme… Ces gens-là s’imaginent que le monde va de leur salon jusque… le mercredi à l’imprimerie, quand le Figaro sort, et que c’est le plus important. Je crois qu’ils se gourent, le plus important n’est pas là.
Le plus important, en France, c’est pas le racisme. Vous savez, si on devait partager Paris comme on a fait à Los Angeles, en quartiers d’origines différentes, les seuls qui demanderaient à être à côté des Arabes, c’est probablement les Juifs. Parce qu’ils s’entendent très bien, ces gens-là.
On nous fait chier, avec des histoires de racisme, qui n’existe pas… Il y a des poissons volants aussi dans la mer, mais on n’en voit pas beaucoup… Non, moi j’y crois pas. Je crois pas au retour d’une catastrophe…
QUESTION : Coluche, dans le domaine de l’art, les seuls qui ne laissent rien derrière eux, contrairement aux pianistes qui souvent sont connus même après leur mort, ou les musiciens, oh les littéraires, les seuls qui ne laissent rien derrière eux, sinon quelquefois un nom gravé comme à la Comédie-Française, des noms gravés que tout le monde ignore, les seuls, ce sont les artistes, les comédiens… En ce qui vous concerne, que souhaiteriez-vous laisser, ou qu’on dise de vous après votre mort ?
COLUCHE :Moi, personnellement, j’ai mis dans une enveloppe ce que je mettrai sur mon épitaphe en partant : c’est « démerdez-vous ! » Moi, j’ai fait ce que j’ai pu, je vais faire ce que je peux pour faire marrer, je vais faire ce que je peux pour intéresser les gens, les surprendre, les amuser… Je vais faire mon métier. En fait, on n’en a pas parlé, mais finalement si vous regardez bien, c’est ça.
Si vous regardez bien ma carrière, j’ai commencé par être célèbre au music-hall. J’ai pas été à plaindre au café-théâtre parce qu’on a lancé un genre aussi, j’ai fait partie de la génération qui l’a créé, et non pas de ceux qui ont seulement suivi un mouvement. Ça c’est vachement fort dans le public. Au music-hall j’ai vraiment démodé pas mal de monde…
De toute façon, il faut faire ce qu’on sait faire, et pas ce qu’on voudrait savoir faire. Qu’on cherche à améliorer, c’est normal, mais qu’on essaie de faire… Il y a beaucoup d’exemples d’artistes qui avaient un rêve de jeunesse, qui sont devenus connus avec quelque chose et qui ont fait autre chose.
Par exemple, je connaissais Michel Berger, qui marchait très bien avec ses chansons. Tout d’un coup, il a voulu faire un opéra, et il s’est ramassé. Là-dessus, il m’a dit : « Ben, écoute, j’ai fait une connerie, j’en ferai plus d’opéra, c’était un rêve de jeunesse. »
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