QUESTION : Coluche, je voudrais connaître votre sentiment sur le texte d’une affiche politique que j’ai découverte il y a quelques jours sur les murs de ma commune. Voici le texte, il est très court, je pense que vous devez le connaître, mais enfin je le relis pour tout le monde : « Coluche et des milliers de braves gens ont collecté 20 millions de francs pour ceux qui ont faim. Le même jour, les hommes politiques qui se faisaient de la pub autour de lui — (donc on parle bien des médias, là), passaient commande de 1200 chars à 20 millions de francs chaque. Devinette : où sont les en foirés ? » Fin de citation de l’affiche. C’est signé L.O., je pense que ça veut dire « Lutte ouvrière ». Alors je voudrais connaître votre sentiment sur cette question.
Deuxième question, c’est une parenthèse : puisque vous êtes un pote à Goldman, j’aimerais que vous puissiez nous dire ce qu’il a bien pu faire à certains médias pour qu’on le traîne autant dans la boue, alors qu’a mon avis c’est quand même quelqu’un qui a une certaine valeur.
COLUCHE :Je crois que, pour ce qui est de Goldman, il s’adresse aux adolescents, qui se foutent absolument des médias, des forces et des pas forces, et que donc il a donné aucune interview. Et comme il a rempli le Zénith pour un mois, c’est-à-dire une chose qui avait à l’époque jamais été faite, sans coller aucune affiche, sans aucune publicité, sans donner aucun article, il y a pas mal de gens qui se sont sentis vexés, dans des professions annexes à la nôtre, parce qu’on trouve encore des journalistes professionnels qui aiment le succès, mais pas à ce point-là.
Je crois que vraiment… c’est de la bêtise… ces gens-là ont fait une connerie. Parce que ça n’a pas empêché Goldman de remplir… Balavoine, quand il est mort, il a vendu 80 000 disques le même jour, et Goldman, qui est vivant, 100 000 le même jour. C’est le seul mec qui a fait ça… Et personne le sait. C’est un très gros vendeur. Il fait beaucoup d’effet aux jeunes, et si ce mec-là disait aujourd’hui qu’il faut se désintéresser de la politique, j’aime autant vous dire que dans quinze ans pour leur enlever ça de l’idée aux gosses, eh bien… ça sera dur.
Pour ce qui est de l’exploitation qu’on peut faire des Restaurants du Cœur, il y a pas que Farce Ouvrière qui a essayé, y a tout le monde.
En tout cas, nous on n’exploite pas les pauvres, on leur donne à bouffer. Ça, c’est clair. Et j’ai pas l’intention d’entrer dans les ordres, ni de m’acheter une soutane, ni de passer le reste de ma vie à faire des œuvres comme ça, je fais ça parce que j’ai la possibilité de le faire, et que franchement, dans ma vie d’homme, comme disait le frère tout à l’heure, ça m’aurait fait chier d’avoir la possibilité de disposer d’un pouvoir pour faire quelque chose de sympa, et ne pas le faire.
En dehors de ça, des exploitations, il y en a eu. J’ai vu des affiches socialistes dans le Nord, où il y avait un ruban tricolore en forme de cœur, et c’était écrit «les socialistes solidaires du cœur ». J’ai vu aussi «T’as voulu voir Vesoul, t’as vu Paris » du R.P.R., où il y avait écrit «T’as voulu voir le pouvoir d’achat, et t’as eu les Restaurants du Cœur ». Tout le monde l’a exploité.
Mais il faut dire aussi que ça faisait partie de notre idée, comme le disait le frère tout à l’heure, on est récupérés un peu de partout. On l’a cherché, parce qu’on avait besoin d’une récupération. Il fallait que tout le monde s’en serve, pour que le poids de cette affaire d’aujourd’hui reste un peu au mois d’octobre de l’année prochaine. Il fallait absolument qu’on soit récupérés, mais par tout le monde, c’était ça le problème. Et effectivement, on l’a été.
Et à partir du mois d’octobre, si la loi passe, on le fera tous les jours de l’année, toute l’année.
QUESTION : Coluche, ma première question va rejoindre les aides qu’on apporte aux pays en voie de développement, et leur utilisation dans ces pays. Est-ce que vous pensez que l’exemple des Restaurants du Cœur, dans leur conception, dépassera les frontières européennes ? Si votre réponse est oui, sur quel plan pensez-vous que le monde entier devra vous situer ? Ma deuxième question : jusqu’où les Restaurants du Cœur iront dans les pays de la Communauté européenne, en tant que communautés fortement industrialisées ? Merci.
COLUCHE :Pour ce qui est du développement des Restos du Cœur dans la Communauté européenne, je vous ai dit il y en a 39 en Belgique. C’est très important, parce qu’il se trouve que par la coïncidence des langues, ça s’appelle aussi Restaurants du Cœur. C’est important parce que j’ai déjà fait, je crois, 22 télévisions étrangères sur le sujet, et ce matin j’ai été reçu par la presse étrangère à Paris, j’ai fait une petite conférence de presse pour eux, et ça les intéresse vachement Mais ça ne pourra pas sortir de la Communauté européenne sous cette forme, parce qu’on ne place dedans que les excédents de production européens.
Mon argument, c’est pourquoi les revendre alors qu’on en a tellement, et qu’on en consommerait si peu nous-mêmes. C’est ça l’argument.
Maintenant, pour ce qui est des pays en voie de développement, et principalement je dirais des pays en voie de pas développement, les pays les plus misérables du monde, j ai fait commencer un travail, mais j’aurai vachement besoin d’aide là-dessus, parce que j’ai pas trouvé les bons éléments.
Il existe à l’armée ce qu’on appelle un « biscuit de guerre », C’est-à-dire un truc immangeable, qui contient tout ce qu’il faut pour survivre. Sauf qu’il faut être à côté d’un robinet, parce que c’est un étouffe-chrétien que je vous raconte pas…
Moi, je vais faire faire un « biscuit de paix ». C’est un truc qui sera plus plat qu’un MacDo, et qui contiendra du miel, des noix, du sel, de tout ce qui faut… Enfin, je suis en train de le faire étudier, et… je peux pas vous dire, parce que là je m’avance un peut peu, on n’a pas fini vraiment de travailler dessus, mais ça va coûter 1,20 F au maximum, par pièce. Et ce sera un biscuit qui contient tout ce qu’il faut pour vivre.
Mais il va falloir vraiment m’aider, parce que là je suis planté là-dessus. J’ai l’idée, je le vois le truc, je sais bien comment il faut que ça soit, mais j’ai pas encore trouvé vraiment les spécialistes qui m’ont confirmé que ce truc-là n’allait pas vieillir d’abord, qu’il serait consommable toute sa vie, et que d’autre part, il n’y aurait pas de déperdition e ses qualités.
Pour l’instant, on est sur un produit qui est limité dans le temps. Mais enfin, de toute façon, avec le nombre de bouches qu’il y a à nourrir, je vois pas pourquoi on les entreposerait, hein… Enfin, c’est vrai qu’il y a d’autres idées à trouver là-dessus.
C’est certain, que par rapport à la misère du monde en général, puisqu’il y a même des peuplades en Afrique qu’il est impossible de nourrir du jour au lendemain (il faut d’abord les soigner, avant qu’on soit capable de les nourrir, puisque leur corps est tellement peu habitué, qu’il accepterait pas la nourriture — ça, c’est vraiment un autre travail qui est davantage à confier à la médecine), mais… c’est sûr qu’il y a des tas de misères dans le monde…
Moi, encore une fois, j’ai fait ce bel effet-là parce qu’il s’agit de nourriture, que c’est une tradition française, et qu’il faut savoir que ce sont les pauvres les plus généreux, et que c’est eux qui bouffent le plus aussi. Les riches achètent moins en poids de nourriture, individuellement, que les pauvres. Les gens les plus pauvres, dans une société, ont tendance à dépenser beaucoup dans un domaine où ils peuvent, c’est-à-dire ils se rattrapent sur la nourriture. Donc ça touche vraiment les gens à un truc précis.
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