Est-ce que c’est plus apte à véhiculer le truc ? Peut-être… oui. De toute manière, en politique comme en médias, avec la multiplication des médias, il faudra de plus en plus compter sur les hommes. C’est-à-dire que, quel que soit le média dans l’avenir, quelles que soient la Cinq, la Quatre, la Six ou la Deux, quand on se réunira pour faire un événement médiatique, on le fera. Je crois davantage aux hommes qu’aux moyens.
QUESTION : Coluche vous avez avec talent dénoncé l’incohérence du monde fou dans lequel on vit, et vous le faites depuis longtemps, depuis le Café de la Gare, on s’en amusait follement… Maintenant, ça devient plus sérieux, parce que vous avez quand même un public un peu plus large, bravo…
Parfois on est affolé par la télé. Il y a pas encore longtemps, on a vu des tonnes de pommes de terre en Bretagne, des tracteurs qui passaient dessus, de temps en temps dans le Midi on fout les pommes aussi en l’air… Finalement, la France est un pays très riche, où on détruit la nourriture. Quel gâchis ! Et encore nous, on est un peu rodés. Mais faut se mettre à la place des pays du tiers-monde, quand ils voient ce travail, en se disant les Français, les Européens sont devenus fous…
Alors la question que je voulais vous poser est la suivante : quelle est la réaction des grands groupes alimentaires ? Est-ce que vous les avez contactés, je pense à des groupes comme Nestlé, à tous ces groupes qui détruisent pratiquement la surabondance…
Également est-ce que vous avez des contacts avec la F.N.S.E.A., la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, parce que ceux-là commencent aussi à pousser un peu j’ai l’impression, et sont à l’origine des destructions, en Bretagne, en Normandie, ça joue aussi dans le Midi…
Compte tenu de l’impact que vous avez, du travail que vous faites, est-ce que vous avez pris contact avec eux, quelle est la nature de ces contacts, et est-ce qu’on pourra peut-être arrêter un peu le gâchis ?
COLUCHE :Alors, il faut que je vous dise, pour ce qui est du spectaculaire vu à la télévision, les tonnes de pommes de terre déversées sur la route, c’est rien. Ça n’existe pas. C’est des quantités négligeables, et c’est simplement spectaculaire. Si on récupérait les pommes de terre au lieu de les jeter sur la route, on n’en aurait pas assez. Donc, c’est pas un problème.
Par contre en Europe, il y a 5 500 000 tonnes de pommes de terre en excédent cette année, et les Restaurants du Cœur de France, aujourd’hui, en achètent 50 tonnes par semaine.
Ça veut dire que, l’Europe, s’ils donnaient tout, il leur en resterait encore énormément. Alors, c’est là qu’il faut viser. Plutôt que d’aller demander à la F.N.S.E.A. s’ils peuvent nous réunir des agriculteurs qui en ont trop…
Parce que les agriculteurs qui en ont trop ne peuvent pas nous les donner. La F.N.S.E.A., c’est des gens charmants, avec qui on a de très bons rapports, mais elle ne nous sert à rien, parce que le producteur qui a un excédent le vend à l’État pour un prix cassé déjà, qui le dédommage du fait que sa production n’entre pas sur le marché au prix fort. Donc, l’État paie cette première somme.
Puis la Communauté européenne doit stocker un certain nombre de mois, trois mois pour la viande, vingt-quatre mois pour le beurre, les œufs et le lait, des produits qui lui coûtent énormément en stockage. C’est le stockage le plus cher.
Pour vous donner un exemple, nous on a acheté nos dernières 50 tonnes de la semaine (on les achète par 50 tonnes, parce qu’on a peu d’entrepôts qui nous sont prêtés), dans le Var, puisque c’est là qu’elles étaient stockées. Il y en avait 250 000 tonnes qui ont gelé. Et les 50 tonnes qu’on a achetées, on les a encore. C’est sur des quantités énormes que ça se joue.
Il y a autre chose. Là où on tape, c’est-à-dire dans les excédents de la Communauté, au-delà des délais de conservation obligatoires, c’est normalement revendu hors de la Communauté. Ça n’a pas le droit d’être vendu dedans. Ce qui veut dire que c’est revendu en priorité je crois à l’Algérie, après ça à l’U.R.S.S., et après ça à l’Afrique.
Or, quand on vend de la nourriture à des gouvernements, ils s’en servent pour nourrir l’armée. Alors moi, je suis pas plus antimilitariste qu’un autre, mais pas moins, et j’ai rien contre l’Afrique. Mais enfin… nourrir les militaires, je m’en fous, il faut bien le dire, surtout si on n’a pas mangé avant, parce que quand même ça nous appartient…
Alors effectivement, il y a un rapport intéressant à faire entre le fait qu’on sensibilise le public sur le gâchis, mais ça ne représente pas des quantités intéressantes.
Pourtant, il faut quand même savoir qu’aujourd’hui, grâce à la F.N.S.E A., on a le blé… on a grâce à l’État le blé à un prix préférentiel, et que pour toutes les quantités données aux minoteries de France, ils nous le transforment en farine gratuitement. On a aussi pas mal de boulangers industriels qui nous rendent du pain à la place de la farine, pour le même poids aussi. Ce qui est un beau truc.
Le deuxième volet de la question, c’est ce qu’on pourrait demander à Nestlé. Il y a beaucoup de gens qui sont intéressés à avoir le label Restaurants du Cœur. Par exemple, un grossiste de la chaussure française, qui donc m’intéressait pas du tout (je bouffe pas de grolles !), a trouvé cette combine de mettre dans chaque paire de chaussures « en achetant les chaussures Machin, vous venez de donner un repas, ou de participer à un repas pour les Restaurants du Cœur », et donc il a pu nous débloquer de l’argent de son budget de publicité.
C’est-à-dire qu’on pourrait envisager dans l’avenir d’avoir des tas de gens qui nous servent tout au long de la chaîne bénévolement, qui auraient le droit d’utiliser le logo « Restaurants du Cœur ».
Par exemple, on a mis les grosses banques sur le coup, parce que évidemment la publicité qu’on leur fait, elle vaut de l’argent. Le Crédit Agricole pourrait bien avoir l’affaire. Pour ça, ils nous ont fait des avantages qu’ils ne donnent jamais, le crédit « a remere » par exemple, c’est-à-dire l’intérêt maximum sur toutes les sommes qui vous restent, sans avoir à les bloquer trois mois ou six mois.
Ça, déjà, c’est très important, parce que ça nous a tout de suite permis d’augmenter notre chiffre à trois mois. On a demandé aux entreprises de les payer à trois mois, et on a eu tant de repas en plus à distribuer pendant les trois mois.
D’autre part, ils nous ont donné en cadeau, pour les avoir choisis, un million de francs, et ils ont fait travailler des entreprises privées à ouvrir notre courrier 24 heures sur 24, en faisant les 3x8.
Ils ont été vraiment très sympas, ils ont fait leur métier au-delà de ce qu’ils font pour leurs clients riches.
Parce que c’est un truc qui les intéresse, d’être liés en tant que sponsors à une affaire qui a ce retentissement national. Ça nous permet aussi d’envisager de tenir dans l’avenir avec d’autres choses que des dons. Il y a un bénévolat qui est intéressé par une espèce de sponsoring. Il y a des routiers qui voudraient bien avoir le droit de mettre sur leurs camions « Restaurants du Cœur ». Il y aura aussi de plus en plus de restaurateurs qui feront le hachis Parmentier une fois par semaine, c’est-à-dire que ça nous coûtera pas un rond, à trois heures de l’après-midi, à l’heure où de toute façon ils ont pas de clients, et dans leur ville ou dans leur quartier, ils seront le Restaurant du Cœur. Ça les intéresse.
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