BÉGEARSS, vivement
Et moi, je n'en veux point. Croyez-vous que, sur des soupçons… peut-être encor très peu fondés, j'irai me rendre le complice de la spoliation entière de l'héritier de votre nom? d'un jeune homme plein de mérite; car il faut avouer qu'il en a…
LE COMTE, impatienté
Plus que mon fils, voulez-vous dire? Chacun le pense comme vous; cela m'irrite contre lui!..
BÉGEARSS
Si votre pupille m'accepte; et si, sur vos grands biens, vous prélevez, pour la doter, ces trois millions d'or, du Mexique, je ne supporte point l'idée d'en devenir propriétaire, et ne les recevrai qu'autant que le contrat en contiendra la donation que mon amour sera censé lui faire.
LE COMTE le serre dans ses bras
Loyal et franc ami! quel époux je donne à ma fille!..
SCÈNE VII
SUSANNE, LE COMTE, BÉGEARSS
SUSANNE
MONSIEUR, voilà le coffre aux diamans; ne le gardés pas trop long-temps; que je puisse le remettre en place avant qu'il soit jour chez madame!
LE COMTE
Susanne , en t'en allant, défends qu'on entre, à moins que je ne sonne.
SUSANNE, à part
Avertissons Figaro de ceci. ( Elle sort. )
SCÈNE VIII
LE COMTE, BÉGEARSS
BÉGEARSS
QUEL est votre projet sur l'examen de cet écrin?
LE COMTE tire de sa poche un bracelet entouré de brillans
Je ne veux plus te déguiser tous les détails de mon affront; écoute. Un certain Léon d'Astorga , qui fut jadis mon page, et que l'on nommait Chérubin …
BÉGEARSS
Je l'ai connu; nous servions dans le régiment dont je vous dois d'être major. Mais il y a vingt ans qu'il n'est plus.
LE COMTE
C'est ce qui fonde mon soupçon. Il eut l'audace de l'aimer. Je la crus éprise de lui; je l'éloignai d'Andalousie, par un emploi dans ma légion. – Un an après la naissance du fils… qu'un combat détesté m'enlève. ( Il met la main à ses yeux. ) Lorsque je m'embarquai vice-roi du Mexique ; au lieu de rester à Madrid , ou dans mon palais à Séville , ou d'habiter Aguas frescas , qui est un superbe séjour; quelle retraite, Ami, crois-tu que ma femme choisit? Le vilain château d' Astorga , chef-lieu d'une méchante terre, que j'avais achetée des parens de ce page. C'est-là qu'elle a voulu passer les trois années de mon absence; qu'elle y a mis au monde… (après neuf ou dix mois, que sais-je?) ce misérable enfant, qui porte les traits d'un perfide! Jadis, lorsqu'on m'avait peint pour le bracelet de la Comtesse, le peintre ayant trouvé ce page fort joli, desira d'en faire une étude; c'est un des beaux tableaux de mon cabinet…
BÉGEARSS
Oui… ( Il baisse les yeux. ) à telles enseignes que votre épouse…
LE COMTE, vivement
Ne veut jamais le regarder? Eh bien! sur ce portrait, j'ai fait faire celui-ci, dans ce bracelet, pareil en tout au sien, fait par le même jouaillier qui monta tous ses diamans; je vais le substituer à la place du mien. Si elle en garde le silence; vous sentez que ma preuve est faite. Sous quelque forme qu'elle en parle, une explication sévère éclaircit ma honte à l'instant.
BÉGEARSS
Si vous demandez mon avis, Monsieur, je blâme un tel projet.
LE COMTE
Pourquoi?
BÉGEARSS
L'honneur répugne à de pareils moyens. Si quelque hasard, heureux ou malheureux, vous eût présenté certains faits, je vous excuserais de les approfondir. Mais tendre un piége! des surprises! Eh! quel homme, un peu délicat, voudrait prendre un tel avantage sur son plus mortel ennemi?
LE COMTE
Il est trop tard pour reculer; le bracelet est fait, le portrait du page est dedans…
BÉGEARSS prend l'écrin
Monsieur, au nom du véritable honneur…
LE COMTE a enlevé le bracelet de l'écrin
Ah! mon cher portrait, je te tiens! J'aurai du moins la joie d'en orner le bras de ma fille, cent fois plus digne de le porter!.. ( Il y substitue l'autre. )
BÉGEARSS feint de s'y opposer. Ils tirent chacun l'écrin de leur côté; Bégearss fait ouvrir adroitement le double fond, et dit avec colère :
Ah! voilà la boîte brisée!
LE COMTE regarde
Non; ce n'est qu'un secret que le débat a fait ouvrir. Ce double fond renferme des papiers!
BÉGEARSS, s'y opposant
Je me flatte, Monsieur, que vous n'abuserez point…
LE COMTE, impatient
«Si quelque heureux hasard vous eût présenté certains faits, me disais-tu dans le moment, je vous excuserais de les approfondir»… Le hasard me les offre, et je vais suivre ton conseil. ( Il arrache les papiers. )
BÉGEARSS, avec chaleur
Pour l'espoir de ma vie entière, je ne voudrais pas devenir complice d'un tel attentat! Remettez ces papiers, Monsieur, ou souffrez que je me retire. ( Il s'éloigne. )
LE COMTE tient des papiers et lit
BÉGEARSS le regarde en dessous, et s'applaudit secrètement
LE COMTE, avec fureur
Je n'en veux pas apprendre davantage; renferme tous les autres, et moi je garde celui-ci.
BÉGEARSS
Non; quel qu'il soit, vous avez trop d'honneur pour commettre une…
LE COMTE, fièrement
Une?.. Achevez; tranchez le mot, je puis l'entendre.
BÉGEARSS, se courbant
Pardon, Monsieur, mon bienfaiteur! et n'imputez qu'à ma douleur l'indécence de mon reproche.
LE COMTE
Loin de t'en savoir mauvais gré, je t'en estime davantage. ( Il se jette sur un fauteuil.
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Elle fut représentée, pour la première fois, au Théâtre du Marais, le 26 Juin 1792.