Pierre Beaumarchais - Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile
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- Название:Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile
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Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile
MONSIEUR,
J'ai l'honneur de vous offrir un nouvel Opuscule de ma façon. Je souhaite vous rencontrer dans un de ces momens heureux où, dégagé de soins, content de votre santé, de vos affaires, de votre Maîtresse, de votre dîner, de votre estomac, vous puissiez vous plaire un moment à la lecture de mon Barbier de Séville , car il faut tout cela pour être homme amusable et Lecteur indulgent.
Mais si quelque accident a dérangé votre santé, si votre état est compromis, si votre Belle a forfait à ses sermens, si votre dîner fut mauvais ou votre digestion laborieuse, ah! laissez mon Barbier ; ce n'est pas là l'instant; examinez l'état de vos dépenses, étudiez le Factum de votre Adversaire, relisez ce traître billet surpris à Rose, ou parcourez les chef-d'œuvres de Tissot 1 1 Tissot (Simon-André), illustre médecin, né en Suisse en 1728, mort en 1797. Ses œuvres choisies forment 8 vol. in-8º (Paris, 1809). Beaumarchais fait ici allusion à deux de ses principaux écrits: De la santé des gens de lettres (1769, in-32), et Essai sur les maladies des gens du monde (1770, in-12), dont le succès fut populaire et considérable.
sur la tempérance, et faites des réflexions politiques, économiques, diététiques, philosophiques ou morales.
Ou si votre état est tel qu'il vous faille absolument l'oublier, enfoncez-vous dans une Bergère, ouvrez le Journal établi dans Bouillon 2 2 Allusion à un journaliste de Bouillon qui avait fort malmené Beaumarchais et sa pièce. Il avait déjà parlé de ces critiques aux comédiens eux-mêmes dans une lettre intime qu'il leur adressait quelque temps avant d'écrire cette épître-préface: «Tant qu'il vous plaira, Messieurs, de donner le Barbier de Séville , je l'endurerai avec résignation. Et puissiez vous crever de monde, car je suis l'ami de vos succès et l'amant des miens… Si le public est content, si vous l'êtes, je le serai aussi. Je voudrais bien pouvoir en dire autant du Journal de Bouillon ; mais vous avez beau faire valoir la pièce, la jouer comme des anges, il faut vous détacher de ce suffrage; on ne peut pas plaire à tout le monde. «Je suis, Messieurs, avec reconnaissance, etc… « Signé : Caron de Beaumarchais.» ( Lettre citée par M. de Loménie , tome II)
avec Encyclopédie, Approbation et Privilége, et dormez vîte une heure ou deux.
Quel charme auroit une production légère au milieu des plus noires vapeurs, et que vous importe, en effet, si Figaro le Barbier s'est bien moqué de Bartholo le Médecin en aidant un Rival à lui souffler sa Maîtresse? On rit peu de la gaieté d'autrui, quand on a de l'humeur pour son propre compte.
Que vous fait encore si ce Barbier Espagnol, en arrivant dans Paris, essuya quelques traverses, et si la prohibition de ses exercices a donné trop d'importance aux rêveries de mon bonnet? On ne s'intéresse guères aux affaires des autres que lorsqu'on est sans inquiétude sur les siennes.
Mais enfin, tout va-t-il bien pour vous? Avez-vous à souhait double estomac, bon Cuisinier, Maîtresse honnête et repos imperturbable? Ah! parlons, parlons; donnez audience à mon Barbier .
Je sens trop, Monsieur, que ce n'est plus le temps où, tenant mon manuscrit en réserve, et semblable à la Coquette qui refuse souvent ce qu'elle brûle toujours d'accorder, j'en faisois quelque avare lecture à des Gens préférés, qui croyoient devoir payer ma complaisance par un éloge pompeux de mon Ouvrage.
O jours heureux! Le lieu, le temps, l'auditoire à ma dévotion et la magie d'une lecture adroite assurant mon succès, je glissois sur le morceau foible en appuyant les bons endroits; puis, recueillant les suffrages du coin de l'œil, avec une orgueilleuse modestie, je jouissois d'un triomphe d'autant plus doux que le jeu d'un fripon d'Acteur ne m'en déroboit pas les trois quarts pour son compte.
Que reste-t-il, hélas! de toute cette gibeciere? A l'instant qu'il faudroit des miracles pour vous subjuguer, quand la verge de Moïse y suffiroit à peine, je n'ai plus même la ressource du bâton de Jacob; plus d'escamotage, de tricherie, de coquetterie, d'inflexions de voix, d'illusion théâtrale, rien. C'est ma vertu toute nue que vous allez juger.
Ne trouvez donc pas étrange, Monsieur, si, mesurant mon style à ma situation, je ne fais pas comme ces Ecrivains qui se donnent le ton de vous appeller négligemment Lecteur , ami Lecteur , cher Lecteur , benin ou Benoist Lecteur , ou de telle autre dénomination cavaliere, je dirois même indécente, par laquelle ces imprudens essaient de se mettre au pair avec leur Juge, et qui ne fait bien souvent que leur en attirer l'animadversion. J'ai toujours vu que les airs ne séduisoient personne, et que le ton modeste d'un Auteur pouvoit seul inspirer un peu d'indulgence à son fier Lecteur.
Eh! quel Ecrivain en eut jamais plus besoin que moi? Je voudrois le cacher en vain. J'eus la foiblesse autrefois, Monsieur, de vous présenter, en différens tems, deux tristes Drames 3 3 Eugénie et les Deux Amis.
, productions monstrueuses, comme on sait, car entre la Tragédie et la Comédie, on n'ignore plus qu'il n'existe rien; c'est un point décidé, le Maître l'a dit, l'Ecole en retentit, et pour moi, j'en suis tellement convaincu, que si je voulois aujourd'hui mettre au Théâtre une mère éplorée, une épouse trahie, une sœur éperdue, un fils déshérité, pour les présenter décemment au Public, je commencerois par leur supposer un beau Royaume où ils auroient régné de leur mieux, vers l'un des Archipels ou dans tel autre coin du monde; certain, après cela, que l'invraisemblance du Roman, l'énormité des faits, l'enflure des caractères, le gigantesque des idées et la bouffissure du langage, loin de m'être imputés à reproche, assureroient encore mon succès.
Présenter des hommes d'une condition moyenne, accablés et dans le malheur, fi donc! On ne doit jamais les montrer que baffoués. Les Citoyens ridicules et les Rois malheureux, voilà tout le Théâtre existant et possible, et je me le tiens pour dit; c'est fait, je ne veux plus quereller avec personne.
J'ai donc eu la foiblesse autrefois, Monsieur, de faire des Drames qui n'étoient pas du bon genre , et je m'en repens beaucoup.
Pressé depuis par les évènemens, j'ai hasardé de malheureux Mémoires 4 4 Mémoires judiciaires contre les sieurs de Goëzmann, Marin, Lablache et d'Arnaud (1774).
, que mes ennemis n'ont pas trouvé du bon style , et j'en ai le remords cruel.
Aujourd'hui, je fais glisser sous vos yeux une Comédie fort gaie, que certains Maîtres de goût n'estiment pas du bon ton , et je ne m'en console point.
Peut-être un jour oserai-je affliger votre oreille d'un Opéra 5 5 Ce sera l'opéra de Tarare .
, dont les jeunes gens d'autrefois diront que la musique n'est pas du bon françois , et j'en suis tout honteux d'avance.
Ainsi, de fautes en pardons et d'erreurs en excuses, je passerai ma vie à mériter votre indulgence, par la bonne-foi naïve avec laquelle je reconnoîtrai les unes en vous présentant les autres.
Quant au Barbier de Séville , ce n'est pas pour corrompre votre jugement que je prends ici le ton respectueux; mais on m'a fort assuré que, lorsqu'un Auteur étoit sorti, quoiqu'échiné, vainqueur au Théâtre, il ne lui manquoit plus que d'être agréé par vous, Monsieur, et lacéré dans quelques Journaux, pour avoir obtenu tous les lauriers littéraires. Ma gloire est donc certaine si vous daignez m'accorder le laurier de votre agrément, persuadé que plusieurs de Messieurs les Journalistes ne me refuseront pas celui de leur dénigrement.
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