Max Gallo - 1941-Le monde prend feu

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Dans les deux jours qui suivent, ils seront rejoints par une quinzaine de milliers d’hommes, largués, déposés par des planeurs puis des avions de transport.

Aguerris, déterminés – quatre mille tués et deux mille blessés –, ces soldats d’élite contraindront les Anglais à une nouvelle évacuation.

Humiliante, comme si le modèle Dunkerque s’imposait répétitivement à l’armée anglaise, opposée aux Allemands encore et toujours victorieux.

Second printemps de guerre calamiteux !

Plus de trente mille hommes sont abandonnés aux Allemands. Pour évacuer les seize mille autres, la Royal Navy perdra deux mille hommes, trois croiseurs et six destroyers. Et seize autres navires dont le seul porte-avions anglais en Méditerranée seront endommagés.

Mais les pertes allemandes, si lourdes, et frappant les troupes d’élite de la seule division de parachutistes de la Wehrmacht, marquent le Führer.

Le général Student, commandant des troupes aéroportées, ne réussit pas à convaincre Hitler de prendre d’assaut Chypre ; puis par un nouveau bond de s’emparer du canal de Suez. Student insiste, appuyé par l’amiral Raeder.

« Mais, confie Student, après le choc des lourdes pertes de Crète, le Führer refuse de tenter un autre grand effort aéroporté. »

En fait, Hitler, comme il le répète à ses interlocuteurs, est convaincu qu’« avant toute chose il nous faut détruire la Russie ». Déjà, l’action contre la Yougoslavie et la Grèce a retardé la mise en œuvre de l’opération Barbarossa , de près de cinq semaines. Elle était prévue le 15 mai.

Maintenant que les troupes allemandes sont à Belgrade, à Athènes, en Crète, le flanc sud de l’Europe est contrôlé, et les troupes de la Russie ne seront pas menacées sur leurs arrières. Hitler peut donc fixer la date de mise en route de Barbarossa.

Ce sera le 22 juin 1941.

8.

Barbarossa : c’est l’obsession de Hitler en ce printemps de 1941.

Les victoires remportées depuis 1939 ne constituent que le prologue glorieux et nécessaire à ce grand affrontement avec le foyer du judéo-bolchevisme, cette Russie soviétique qui, depuis 1917, a tenté d’infecter le Reich.

L’heure de la guerre est venue. Et il faut que ceux qui auront la charge de la conduire sur le terrain dans ce qui sera, après la victoire, le Lebensraum – l’espace vital – de la race germanique comprennent que l’enjeu est tel qu’il faut abandonner les vieilles règles du combat, armée contre armée.

Cette guerre sera le heurt de deux idéologies. Le national-socialisme contre le bolchevisme, les hommes contre les sous-hommes.

La pitié doit être exclue dans ce corps à corps qui décidera du destin du Reich, de l’Europe, du monde.

Il faut que les chefs d’état-major des trois armes – Wehrmacht, Kriegsmarine, Luftwaffe – soient convaincus qu’il n’est plus temps de conserver les préjugés de caste que les officiers, souvent des aristocrates, appellent l’honneur du soldat.

Il n’y a qu’un seul honneur, il s’appelle Victoire et pour l’obtenir tous les moyens sont bons.

Hitler a réuni les chefs d’état-major. Ils sont assis devant lui. Ils devront comprendre, obéir.

« Le caractère que présente notre guerre contre la Russie, commence Hitler, est tel qu’il doit exclure les formes chevaleresques.

« Il s’agit d’une lutte entre deux idéologies, entre deux conceptions raciales. Il importe donc de la mener avec une rigueur sans précédent et implacable.

« Tous, vous allez devoir vous libérer de vos scrupules périmés. »

Il s’interrompt, dévisage l’un après l’autre ces généraux, ces Feldmarschall, ces amiraux.

Tous baissent les yeux comme s’ils ne pouvaient soutenir son regard. Il est le Führer. Ils lui ont prêté serment. Il est le chef des armées du Reich.

Hitler en est persuadé : à la fin tous obéiront.

« Je sais que l’obligation où nous sommes d’adopter cette façon de faire la guerre vous échappe, reprend-il, chargeant sa voix de colère et de mépris.

« Mais je tiens formellement à ce que mes ordres soient obéis sans discussion.

« L’idéologie soviétique est aux antipodes de celle qui régit le national-socialisme. Par conséquent… »

Il laisse le silence se répandre, jusqu’à ce que la tension dans la salle devienne palpable.

« Par conséquent, les Soviétiques doivent être liquidés ! Liquidés !

« Les soldats allemands coupables de contrevenir aux lois internationales de la guerre seront innocentés. »

Il ricane :

« Innocentés ! L’Union soviétique n’ayant pas adhéré à la Convention de La Haye ne pourra s’en réclamer ! »

Les von Manstein, les von Rundstedt, les Halder, les Brauchitsch, les Keitel vont juger scandaleuse, outrageante, cette Kommissarbefehl – cette directive qui vise les « commissaires politiques », ces membres du parti communiste chargés de surveiller, d’encadrer soldats et officiers.

Ces « Soviets »-là, souvent juifs, comment ces généraux, ces maréchaux pourraient-ils les défendre, eux qui, depuis 1917, dénoncent les « bolcheviques » qui ont voulu détruire l’armée allemande, comme ils avaient décomposé l’armée du tsar !

Et pourtant, ces généraux murmurent, protestent auprès du commandant en chef von Brauchitsch.

Mais, Hitler en est persuadé, tous plieront, ou laisseront faire leurs subordonnés, détournant les yeux, ne voulant ni voir ni savoir.

Et sur son ordre, d’autres directives vont compléter, préciser la Kommissarbefehl.

Elles se succèdent tout au long du mois de mai 1941.

Pour fusiller toute personne soupçonnée d’un acte criminel, il n’est plus nécessaire de réunir un conseil de guerre ou une cour martiale.

« Un officier jugera s’il y a lieu de fusiller. »

On sera indulgent avec les Allemands. On se souviendra du mal causé au Reich par les bolcheviques depuis leur révolution.

Hitler précise aussi le sort réservé à la Russie Elle sera dépecée émiettée - фото 19Hitler précise aussi le sort réservé à la Russie. Elle sera dépecée, émiettée.

Il charge Himmler, Rosenberg, Goering de préparer le démembrement de la Russie, dans le but de renforcer définitivement le « Grand Reich allemand ».

Rosenberg – compagnon de Hitler depuis Munich et le « putsch de la brasserie », cette tentative de prise de pouvoir en 1923 – déclare :

« Nos conquêtes à l’est doivent tenir compte avant tout d’une nécessité primordiale : nourrir le peuple allemand. »

Goering, chargé de l’exploitation économique de la Russie, est plus explicite.

Il faudra dépouiller la population de toutes réserves alimentaires. Qu’elle se remette à des « cultures agricoles primitives ».

Et, entre-temps, qu’elle subisse la famine.

« Que ceci soit compris clairement une fois pour toutes ! insiste-t-il.

« Sans aucun doute si nous enlevons à la Russie les stocks de vivres qui sont nécessaires à l’Allemagne, la famine sévira et plusieurs millions de Russes mourront. »

Mais ce sont des Untermenschen, et ces sous-hommes peuvent, doivent être exterminés ! Comme l’ont été par dizaines de milliers les débiles mentaux, les vieillards, des Allemands pourtant, mais que le Führer avait jugés indignes de vivre.

Comme l’avaient été aussi par centaines de milliers déjà les Juifs et les notables polonais.

Cette politique d’extermination est une politique de purification, conclut Goering.

Dans les bureaux des ministères du Reich, de paisibles fonctionnaires complètent les directives, dressent des listes, rassemblent des données statistiques. On évalue l’importance des communautés juives. On demande la construction de camps pour les regrouper.

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