Max Gallo - Caïn et Abel
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Couverture : Atelier Didier Thimonier
Peinture de Tiziano Vecellio dit Le Titien : Caïn tuant Abel
© Cameraphoto Arte Venezia / Bridgeman Giraudon
© Librairie Arthème Fayard, 2011
ISBN : 978-2-213-66710-2
Les ouvrages de Max Gallo
sont cités p.299
« L’Homme a connu Ève, sa femme ; elle conçut et enfanta Caïn… Elle donna aussi naissance à Abel, frère de Caïn…
Le temps passa…
Un jour, Caïn dit à son frère Abel : “Allons dehors”, et, comme ils étaient en pleine campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua. »
Genèse, IV, 1-8
« Écris donc ce que tu as vu, ce qui est et ce qui va être après. »
Apocalypse de Jean, I, 19
« En ces jours-là les hommes chercheront la mort et ne la trouveront pas, ils désireront mourir et la mort les fuira. »
Apocalypse de Jean, IX, 6
Table des matières
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Page de Copyright
Table des matières
Première partie : La grotte de l’Apocalypse
Chapitres 1 à 10
Deuxième partie : Le sanctuaire de Paul Déméter
Chapitres 11 à 36
Troisième partie : Apocalypse et Espérance
Chapitres 37 à 47
Quatrième partie : La nuit de la trahison
Chapitres 48 à 51
Première partie
La grotte de l’Apocalypse
Si l’histoire d’un crime perpétré à l’origine des temps et annonçant tous les autres crimes ne vous fascine pas, suscitant en vous angoisse et effroi ;
Si, ne fût-ce qu’un jour, l’espérance n’a pas exalté votre âme ;
Si l’histoire des hommes et des femmes qui, depuis les commencements, ont voulu bâtir sur notre terre une cité idéale où régneraient l’amour et la justice, vous indiffère ;
Si vous ne voulez rien savoir de ces prophètes tourmentés qui voyaient Dieu et qui, à leur insu, étaient parfois habités et menés par le Diable ;
Si vous refusez de connaître ces hérétiques ou ces mécréants qu’on a traqués comme des bêtes sauvages dans les forêts, qu’on a torturés, écorchés vifs, brûlés, crucifiés comme le fut le Christ qu’ils invoquaient,
Alors, détournez le regard.
Mais si vous vous interrogez sur les causes et les circonstances du premier crime, ce fratricide ;
Si vous êtes émus par le sort de ces hommes et de ces femmes, bourreaux d’eux-mêmes, qui avançaient en tâtonnant dans les ténèbres et qui ont vu « le ciel ouvert, et un cheval blanc, et celui qui est dessus s’appelle Fidèle et Véritable »,
Alors, comme le dit l’apôtre Jean dans l’Apocalypse , vous êtes « dignes d’ouvrir le livre écrit au-dedans et au dos, et scellé de sept sceaux ».
Vous êtes dignes d’en rompre les sceaux.
1
Moi qui vous parle, mon nom est Di Pasquale.
Je suis commissaire de police principal à Paris, rattaché directement au ministre de l’Intérieur.
Il y a quelques mois, j’avais reçu mission d’enquêter, en collaboration avec la police grecque, sur la mort de Paul Déméter, un universitaire de quarante-sept ans, titulaire de la chaire d’histoire du christianisme au Collège de France, dont on avait retrouvé le corps sur l’île de Patmos, à quelques pas de la grotte de l’Apocalypse.
Je me suis rendu à Patmos. Je suis entré dans la grotte de l’Apocalypse.
C’est là que l’apôtre Jean, condamné à l’exil par le pouvoir impérial de Rome, avait dicté ses prophéties à son disciple Prochoros.
Dans la grotte, j’ai vu le rocher qui servait de pupitre à Prochoros et j’ai imaginé le scribe attentif à la parole du Maître, écrivant le troisième verset du chapitre premier de l’Apocalypse de Jean :
« Magnifiques, celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de cette prophétie et gardent ce qui y est écrit, car l’instant est proche. »
« Votre compatriote a été égorgé comme un agneau », m’a dit le commissaire Vassilikos en m’accueillant à Skala, le port de Patmos.
Il m’a invité à déjeuner et nous nous sommes installés à la terrasse d’un des restaurants que les frondaisons des platanes abritent du soleil.
Vassilikos n’a répondu à aucune des questions que je lui posais, préférant me montrer, à l’horizon, les îles du Dodécanèse, dont la plus proche, Samos, la côte et les sommets d’Asie Mineure, tout en évoquant Thucydide, les empereurs romains qui, tels Néron et Domitien, déportèrent sur ces îles ceux qu’ils étaient las de livrer aux bêtes.
L’apôtre Jean fut l’un de ces relégués.
Patmos était ainsi devenu un lieu de rencontre, une sorte de cratère où brûlaient la foi intense, la passion mystique, mais aussi les hérésies.
Là, Dieu était apparu à Jean et lui avait dit :
« Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises. »
J’ai interrompu Vassilikos et cité l’un des versets du chapitre premier qui fait écho à celui que Vassilikos venait d’énoncer :
« Écris donc ce que tu as vu, ce qui est et ce qui va être après. »
Le Grec m’a dévisagé, ne cherchant à cacher ni sa surprise, ni son irritation, ni même sa colère.
Je lui avais volé ce qui lui appartenait en propre.
« Comme un agneau… », a-t-il répété.
Et, détournant la tête, parlant d’une voix sourde, lasse et méprisante, il a égrené tout ce qu’il savait sur Paul Déméter.
Le Professeur, comme il l’appelait – « Déméter ? un nom allemand, n’est-ce pas ? » –, avait acheté une bergerie proche du monastère Haghios Ioannis Théologos, à deux kilomètres de la grotte de l’Apocalypse.
Il vivait là trois ou quatre mois chaque année, travaillant à la bibliothèque du monastère, l’une des plus riches de Grèce. Il avait consulté des dizaines de manuscrits et sa maison était remplie de carnets de notes et de dossiers, son ordinateur bourré de centaines de pages.
L’été, il recevait pendant plusieurs semaines des étudiants de nationalités différentes.
La police avait répertorié cette dernière année un Grec, un Allemand, une Italienne, une Polonaise, un Espagnol, un Français. Ils ne se quittaient pas, se promenant ensemble, s’asseyant sous les oliviers, parlant à voix basse, parfois toute la nuit. Ils n’étaient jamais allés en pèlerinage à la grotte de l’Apocalypse, et ne descendaient que rarement au port de Skala. Ils s’y étaient néanmoins rendus pour accueillir un homme vêtu, comme un adolescent, d’un jean et d’une chemise de toile bleue. Mais il ne faisait pas illusion, malgré son chapeau de toile et son sac à dos. Ce septuagénaire était ridé comme une vieille femme, ses cheveux mi-longs encadraient un visage à la peau flasque, aux traits indécis. Sa silhouette était celle d’un homme las, comme affaissé sur lui-même, à l’estomac proéminent et aux membres grêles.
Les étudiants et Paul Déméter, qui l’entouraient de prévenances, portant son sac, l’appelaient Platon et – mais avec affection – « le Vieux ».
J’ai une nouvelle fois irrité Vassilikos en murmurant le nom du « Vieux » : Louis Veraghen.
Les services de l’ambassade de France à Athènes m’avaient communiqué les principaux éléments de son dossier. Il avait séjourné en Palestine, surveillé par les services secrets israéliens. Alertés, les agents français avaient pris le relais. Veraghen était soupçonné d’inspirer des groupes prônant l’action violente et même le terrorisme. Il rédigeait leurs textes, leurs appels à la révolte des « Multitudes ». Veraghen avait créé et dirigé La Cité du Soleil , une revue qui reprenait le nom d’une société idéale imaginée au xvie siècle par le moine dominicain Tommaso Campanella, un fils de paysans calabrais.
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