Emile Gary - Gros-Câlin
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- Название:Gros-Câlin
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- Издательство:Mercure de France & Atelier Panik éd. numérique
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- Год:2013
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Le matin d’un des jours suivants sans pouvoir préciser au juste, j’ai porté Gros-Câlin au Jardin d’Acclimatation car je n’avais plus besoin de lui, j’étais très bien dans ma peau sur toute la ligne. Il me quitta avec la plus grande indifférence et alla s’enrouler autour d’un arbre comme si c’était du pareil au même. Je suis rentré chez moi et me suis lavé le cul, après quoi, j’ai eu un moment de panique, j’avais l’impression de ne pas être là, d’être devenu un homme, ce qui est tout à fait ridicule lorsque, justement, vous êtes un homme et n’avez jamais cessé de l’être. C’est notre imagination qui nous joue des tours.
Vers trois heures de l’après-midi je fis une crise d’amitié et je suis descendu au Ramsès pour jeter un coup d’œil à Blondine mais la boîte était vide ; ou bien la patronne l’avait mise ailleurs ou bien elle l’avait déjà bouffée. Je suis rentré dans mon deux-pièces, mais j’avais de la fièvre et des pensées. Je me mis alors à rédiger des petites annonces, messages urgents et télégrammes réponse payée mais je ne les expédiai pas, car je connais la solitude des pythons dans le grand Paris et les préjugés à leur égard. Toutes les dix minutes, je courais me laver le cul au-dessus de tout reproche.
Vers cinq heures je compris que j’avais là un problème et qu’il me fallait quelque chose d’autre, de sûr et de dépourvu d’erreur humaine, mais je demeurai résolument antifasciste. J’éprouvais un tel besoin déchirant de première nécessité, avec quelque chose d’autre, de différent, de bien fait à tous égards que je courus chez un horloger rue Trivias où je suis entré en possession d’une montre de compagnie, au cadran blanc, franc et ouvert, avec deux aiguilles gracieuses. Le cadran me sourit tout de suite. L’horloger me proposa aussitôt une autre montre, qui était « supérieure ».
— Celle-là, vous n’avez même pas besoin de la remonter. Elle marche toute l’année sur quartz.
— Je désire au contraire une montre qui aurait besoin de moi et qui cesserait de battre, si je l’oubliais. C’est personnel.
Il ne comprenait pas comme tous ceux qui sont par habitude.
— Je veux une montre qui ne pourrait pas continuer sans moi, voilà. Celle-là…
J’ai refermé ma main dessus. Je pensais, je ne sais pas pourquoi, au bouquet de violettes. Je m’attache très facilement.
Je sentais la montre se réchauffer dans ma main. J’ouvris ma main et elle me sourit. Je suis parfaitement capable de susciter un sourire d’amitié chez une montre. J’ai ça en moi.
— C’est une Gordon, dit l’horloger avec un air important.
— C’est combien ?
— Cent cinquante francs, dit le marchand, et c’était un signe du ciel, car c’était autant que M lleDreyfus.
— Pour ce modèle, il n’y a pas de garantie, dit le marchand, avec tristesse, car il devait parfois y réfléchir.
Je suis rentré à la maison, je courus me laver le cul, et puis je me suis coulé sur le lit, avec la petite montre au creux de la main. Il y a des moineaux qui viennent ainsi se poser dans le creux de la main, il paraît qu’on y arrive avec de la patience et des miettes de pain. Mais on ne peut pas vivre ainsi sa vie avec des miettes de pain et des moineaux au creux de la main et d’ailleurs, ils finissent toujours par s’envoler, à cause de l’impossible. Elle avait un cadran tout rond avec un petit nez tout petit au milieu et les aiguilles s’ouvraient dans une sorte de sourire, mais cela dépendait de l’heure, on ne peut pas sourire tout le temps. Quand j’étais gosse au dortoir je faisais venir la nuit à l’Assistance un gros bon chien que j’avais inventé moi-même dans un but d’affection et mis au point avec une truffe noire, de longues oreilles d’amour et un regard d’erreur humaine, il venait chaque soir me lécher la figure et puis j’ai dû grandir et il n’y pouvait plus rien. Je me demande ce qu’il est devenu, car celui-là, il ne pouvait vraiment pas se passer de moi.
Je suis resté de longues heures avec la montre dans le creux de ma main. C’était quelque chose d’humain qui ne devait rien aux lois de la nature et qui était fait pour compter dessus. Parfois je me levais et je courais me laver le cul. Le matin, j’ai avalé la dernière souris, pour la bonne volonté et l’environnement. Dans un jour ou deux, je vais oublier de remonter Francine, je vais faire exprès pour qu’elle ait besoin de moi. J’ai appelé la montre Francine à cause de personne de ce nom.
J’ai peur de retourner au bureau, en raison de mon évidence, je ne peux plus faire semblant avec la conviction nécessaire. J’ai voulu faire la grève de la faim mais il n’y a pas que M lle Dreyfus au monde, il y a aussi le monde alors que voulez-vous. J’ai quand même réussi à tenir deux jours sans rien manger, mais les lois de la nature ont eu le dernier mot et lorsque madame Niatte est entrée pour me nourrir, je me suis dressé et je lui ai pris la boîte des mains. Il y avait là six souris et j’en ai tout de suite avalé une pour l’acceptation et le comme il faut, pour rassurer la brave personne sur mon caractère humain. Je ne veux pas d’histoires.
— Oh, monsieur Cousin ! s’exclama-t-elle.
Je n’ai pas relevé. Si elle veut m’appeler Cousin, ça la regarde.
Je me suis mis à rire, j’ai pris encore une souris par la queue et je l’ai avalée, avec démocratie.
Dans un agglomérat de dix millions d’habitués, il faut faire comme tout le monde. Il faut être et faire semblant des pieds à la tête.
Madame Niatte a dû être tout à fait rassurée parce qu’elle est partie en courant et elle n’est plus revenue.
Le lendemain, je me suis remis à fonctionner, j’allai à la STAT et je suis resté à mon IBM sans que personne s’aperçoive de mon absence. À la sortie du métro, le ticket ne me jeta pas et me garda à la main avec sympathie, il savait que je passais par des moments difficiles.
Je souffre toujours, lorsque je suis couché, de mon absence de bras autour de moi, j’ai très mal à M lleDreyfus, mais j’ai lu l’autre jour que c’est normal, les gens à qui on coupe une jambe continuent à avoir mal à la jambe qui n’est pas là, c’est un état de manque avec mutilation et déficience. J’ai remarqué un glou-glou bienveillant dans le radiateur et c’est encourageant. Le cinquième jour de la lutte du peuple français pour sa libération, j’ai commencé à éprouver de la philosophie : il y a les uns et les autres et les uns sont les autres mais ne le savent pas, faute de mieux. Mais ça a aussitôt fait un nœud de plus et pour rien.
Je prends maintenant des précautions pour ne pas me faire dénoncer. Je mets parfois astucieusement un disque de Mozart, très fort, pour ne pas inquiéter les voisins, pour qu’ils sachent qu’il y a là homme, puisque ça écoute du Mozart. La clandestinité était plus facile sous les Allemands, à cause des fausses cartes d’identité.
J’ai longuement parlé avec Jean Moulin et Pierre Brossolette, dans mon fort intérieur, je leur ai dit que je ne pouvais plus les cacher chez moi. Je leur ai dit qu’il fallait faire malin-malin et pseudo-pseudo. Ils ont très bien compris, l’un à cause du coup de Caluire et l’autre, à cause des cinq étages sans ascenseur. J’ai donc enlevé les deux portraits du mur et je les ai brûlés astucieusement, car ils étaient mieux cachés ainsi et couraient moins de risques, j’ai la chance de disposer de beaucoup de place dans mon fort intérieur. Il n’y a pas mieux, comme clandestinité. Je les ai assurés que j’allais les nourrir tous les jours de ce que j’avais de mieux et je suis même allé acheter des provisions de piles pour leurs torches électriques, parce qu’on ne peut pas rester tout le temps dans le noir, il faut de l’espoir.
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