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GAVALDA Anna: Billie

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GAVALDA Anna Billie

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Anna Gavalda

Billie

le dilettante

19, rue Racine

Paris 6e

www.ledilettante.com

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Titre

Table

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aux clandestins

Фото

On s’est regardés méchamment. Lui parce qu’il devait penser que tout était de ma faute et moi parce que ce n’était pas une raison pour me regarder comme ça. Des bêtises, j’en ai tellement fait depuis qu’on se connaît, et il en a tellement profité, et il s’est tellement marré grâce à moi, que c’était minable de sa part de me reprocher celle-ci juste parce qu’elle allait mal finir…

Merde, comment je pouvais le savoir ?

Je pleurais.

– Ça y est ? T’as des remords ? il a murmuré en fermant les yeux. Non… Je suis bête… Les remords, tu…

Il était trop épuisé pour avoir la force de m’en vouloir jusqu’au bout. Et puis c’était inutile. Là-dessus, on serait toujours d’accord. Moi, les remords, je ne sais même pas comment ça s’écrit…

Nous étions au fond d’une crevasse ou de je ne sais quoi de géographiquement très embêtant. Un genre de… de déboulis dans le Parc national des Cévennes où les portables ne captaient pas, où y avait pas la queue d’un mouton – et encore moins celle d’un berger – et où personne ne nous trouverait jamais. Moi, je m’étais bien amoché le bras, mais je pouvais encore le bouger, alors que lui, c’était clair, il était en mille morceaux.

J’ai toujours su qu’il était courageux, mais là, vraiment, il me donnait une leçon.

Encore une…

Il était allongé sur le dos. Au début, j’avais essayé de lui bricoler un oreiller avec mes pompes, mais vu qu’il est quasi tombé dans les pommes quand j’ai soulevé sa tête, je l’ai reposée direct et je n’y ai plus touché. C’est le seul moment où il a flippé d’ailleurs, il pensait que sa moelle avait trinqué et il était tellement terrifié à l’idée de finir intouchable qu’il m’a soûlée pendant des heures pour que je l’abandonne dans ce trou ou que je l’abrège.

Bon. Comme j’avais rien sous la main pour le buter proprement, on a joué au docteur.

Hélas, on ne s’était pas rencontrés assez tôt, tous les deux, pour y jouer en cachette, mais c’est sûr qu’on n’aurait pas été les derniers dans la salle d’attente… De le lui rappeler, ça l’a amusé et ça tombait bien parce que moi, que ce soit en enfer ici ou de l’autre côté, c’était tout ce que je voulais emporter : des petits sourires déjà mort-nés et tirés à l’arrache comme celui-là.

Le reste, franchement, ça pourra bien rester à la consigne…

Je l’ai pincé partout et de plus en plus fort. Dès qu’il souffrait, je bichais. C’était la preuve que le cerveau s’en mêlait et que je n’aurais pas besoin de rouler son fauteuil jusqu’à Saint-Pierre. Sinon, pas de problème, j’étais OK pour lui défoncer le crâne. Je l’aimais assez.

– Bon, ben ça a l’air d’aller… Tu fais que de couiner, c’est que tout baigne, non ? À mon avis, en plus de la jambe, tu t’es cassé la hanche ou le bassin. Enfin, un truc dans ce périmètre, quoi…

– Mhmm…

Il n’avait pas l’air convaincu. On sentait que quelque chose le chiffonnait. On sentait que je n’étais pas du tout crédible sans ma blouse blanche et mon trucoscope autour du cou. Il regardait le ciel en fronçant les sourcils et en mâchouillant sa vieille chique de scrogneugneux.

Je lui connaissais bien cet air-là, je les connaissais tous de toute façon, et je comprenais qu’il y avait encore un nœud à défaire.

C’était le mot, tiens…

– Naaan, Francky, naaan… j’ai halluciné, j’y crois pas… Hé, tu veux quand même pas que je te tripote pour la checker aussi ?

– …

– Si ?

Je le voyais bien, qui luttait de toutes ses forces pour garder son faciès de mourant, mais moi, mon problème, c’était pas du tout une question de convenances. Plutôt d’efficacité. L’heure était grave et je pouvais quand même pas prendre le risque de lui régler son compte juste parce que j’étais pas son genre…

– Ho… C’est pas que je veux pas, hein ? Mais enfin, tu…

Je me faisais penser à Jack Lemmon dans la dernière scène de Certains l’aiment chaud. Comme lui, je commençais à être à bout d’arguments et je devais dégoupiller ce que j’avais de plus définitif en magasin pour qu’on arrête de me casser les couilles :

– Je suis une fille, Franck…

Et là, vous voyez… là, si j’étais en train de donner une conférence très approfondie sur l’Amitié, genre en coupe transversale avec schémas, diapos, mini bouteilles d’eau et tout le bazar pour expliquer d’où ça venait, en quelle matière c’était fait et comment se méfier des contrefaçons, eh bien, je demanderais un arrêt sur image et avec ma souris de prof, je pointerais sa réplique.

Ces trois petits mots tout crevards et tout guillerets murmurés dans un sourire hyper mal imité par un être humain qui ne savait même pas s’il allait vivre ou mourir, ou continuer de souffrir, mais sans plus jamais baiser :

Well… Nobody’s perfect…

Oui, pour une fois, j’aurais été sûre de moi et tant pis pour ceux qui ne l’ont pas vu, qui ne comprennent rien au film et qui ne sauront donc jamais reconnaître un pur ami d’un pauvre travelo, je ne peux rien faire pour eux.

Alors que là, parce que c’était lui, parce que c’était moi, et parce que nous arrivions encore à voltiger ensemble et à nous rattraper dans les hauteurs dans un moment aussi minable, je l’ai enjambé pour pouvoir poser mon bras valide sur son bas-ventre.

Je l’ai juste frôlé.

– Bon, il a grogné au bout d’un moment, je te demande pas le grand jeu, mémère… Juste tu la touches et on n’en parle plus.

– J’ose pas…

Il a poussé un profond soupir.

Je comprenais son accablement. Ensemble, nous avions vécu des situations tellement plus embarrassantes où j’avais été si peu à mon avantage et je l’avais bercé de tant d’histoires bien fauves, bien rêches et bien chaudasses que, là encore, je n’étais pas du tout crédible…

Mais alors pas du tout, du tout, du tout !

Pourtant ce n’était pas du chiqué… Je n’osais pas.

On ne peut jamais savoir à l’avance où va aller se nicher le sacré. La main toujours en équilibre, je réalisai soudain qu’il y avait un monde entre mes histoires de cul et sa tobinette. J’aurais bien pu toutes les palper s’il avait fallu, mais pas la sienne, non, pas la sienne et cette leçon-là, c’était moi qui me la donnais toute seule pour une fois.

J’ai toujours su que je l’adorais, mais je n’avais encore jamais eu l’occasion de mesurer à quel point je le respectais, eh bien, la réponse, je la tenais, elle : quelques millimètres…

Soit l’infini de ma pudeur. De notre pudeur.

Bien sûr, je savais déjà que je n’allais pas me laisser entraver très longtemps par cette gêne de minouchette à la con, mais en attendant, j’étais la première étonnée. Sérieux, ça me trouait le péteux de me voir si délicate. Intimidée, craintive, presque revierge, quoi ! C’était Noël.

Bon. Allez. Trêve de blabla. Au charbon, la pucelle…

Pour le détendre, j’ai commencé par pianoter autour de son nombril en chantonnant « Picoti, picota, lève la queue et puis s’en va », mais ça ne l’a pas tellement détendu. Ensuite je me suis allongée près de lui, j’ai fermé les yeux, j’ai posé mes lèvres sur son conduit… euh… auditif, je me suis concentrée et je lui ai susurré tout bas, non, plus bas que ça encore, en lui explosant des bulles de salive dans l’oreille et avec tout ce qu’il fallait de petits couinements bien énervants, ce que je devinais être le pire ou le meilleur de ses fantasmes les mieux cadenassés tout en longeant d’un ongle distrait, paresseux, démotivé, bon… branleur disons-le, le U que formaient les coutures de sa braguette.

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