— Oui, répondit le commissaire de la Ligue. Parce que vous avez trop mal pour jouer sans antidouleur. Je pense que vous avez pris du Talacen pour pouvoir jouer. Tout le monde sait que c'est un médicament efficace, et il est connu que ses traces disparaissent rapidement du sang. Je crois que vous le saviez très bien et que vous pensiez qu'en arrêtant les prises suffisamment tôt avant la finale du championnat, nous n'aurions rien trouvé au contrôle antidopage. Est-ce que je me trompe ?
Il y eut un long silence.
— Woody, est-ce que tu as pris cette merde ? finit par demander Patrick.
— Non ! Je le jure ! Le médecin a pu se tromper quand j'étais malade !
— Le médecin ne t'a pas prescrit de Talacen, Woodrow, répondit le commissaire. Nous avons vérifié. C'étaient des vitamines.
— Alors le pharmacien, en préparant les cachets !
— Ça suffit, Woodrow ! ordonna le recteur. Vous avez déshonoré cette université.
Il attrapa sur le mur un cadre dans lequel était affichée la couverture du magazine de l'université, avec le visage de Woody, et le jeta à la poubelle.
Patrick Neville se tourna vers le recteur.
— Qu'est-ce qui va se passer à présent ?
— Nous avons à discuter. Vous comprenez que c'est une situation extrêmement grave. Le règlement de la Ligue prévoit la suspension du joueur dans ce genre de cas, et le règlement de Madison prévoit l'exclusion de l'université.
— Avez-vous déjà un accord avec les Patriots de la Nouvelle-Angleterre ? demanda le commissaire.
— Non.
— Tant mieux, car ils auraient pu demander des dommages et intérêts pour atteinte à leur image si ç'avait été le cas.
Il y eut un silence pesant, puis le commissaire reprit la parole :
— Monsieur Neville, je me suis longuement entretenu avec le recteur. La réputation de Madison pourrait s'en trouver entachée, celle du championnat également. Tout le monde est accroché aux prouesses de Woody. Si le public apprend qu'il s'est dopé, nous souffrirons tous d'un énorme préjudice et nous voulons à tout prix éviter une telle situation. Mais nous ne pouvons pas fermer les yeux…
— Que proposez-vous alors ?
— Un compromis acceptable pour tous. Dites que Woody s'est blessé. Il s'est gravement blessé et ne pourra plus jouer. En échange, la Ligue ne poussera pas l'enquête plus loin, la réputation de Madison restera intacte. Ce qui veut dire que le conseil de discipline de l'université n'aura pas à se pencher sur Woodrow et qu'il pourra terminer ses études ici.
— Blessé, pour combien de temps ?
— Pour toujours.
— Mais s'il ne joue plus, aucun club de NFL ne voudra de lui.
— Monsieur Neville, je crois que vous n'avez pas compris la gravité de la situation. Si vous refusez, nous ouvrirons une procédure disciplinaire, tout le monde sera au courant. En cas de procédure disciplinaire, Woody sera exclu de l'équipe et certainement de l'université également. Vous auriez la possibilité de faire recours, mais vous perdriez car les tests sont formels. Je vous offre l'opportunité d'enterrer toute cette histoire maintenant. Donnant-donnant. La réputation des Titans est sauve, et Woody termine son cursus.
— Mais sa carrière de joueur de football sera terminée, dit Patrick.
— Oui. Si ce compromis vous semble acceptable, je vous laisse vingt-quatre heures pour organiser une conférence de presse et annoncer que Woody s'est blessé à l'entraînement et ne jouera plus jamais au football.
Le commissaire sortit de la pièce. Woody plongea son visage dans ses mains, muet de désarroi. Patrick et Hillel s'isolèrent.
— Patrick, dit Hillel, il y a bien quelque chose que l'on peut faire ! Enfin, c'est une histoire de fous !
— Hillel, il n'aurait jamais dû prendre du Talacen.
— Mais il n'a jamais pris cette merde !
— Hillel, je doute que le pharmacien se soit trompé en lui donnant des vitamines. Et il a des blessures avérées.
— Et alors, admettons qu'il ait volontairement pris du Talacen, ce n'est qu'un antidouleur après tout !
— C'est un produit interdit par la Ligue.
— Nous pouvons faire un recours !
— Tu as entendu : il perdra. Je le sais et toi aussi. Il a une chance unique de sauver sa place à l'université. S'il fait un recours, cette histoire de dopage deviendra publique. Il perdra tout : l'université le mettra dehors et aucune autre université n'acceptera de le reprendre. C'est un gamin plein de ressources, il faut qu'il finisse ses études. Au moins, avec ce compromis, il sauve sa tête.
À cet instant, Woody sortit du bureau et se planta devant Hillel et Patrick. Il leur dit en essuyant ses larmes du revers du bras :
— Nous ne ferons pas de recours. Je ne veux pas que ça se sache. Je ne veux pas que Saul et Anita sachent quoi que ce soit. J'aurais trop honte qu'ils sachent la vérité. Je porte le nom de Goldman sur le maillot. Je ne le salirai pas.
Patrick convoqua une conférence de presse pour le lendemain.
Mesdames et Messieurs, j'ai le devoir de vous faire part d'un coup dur pour l'université de Madison et l'équipe des Titans. Notre très prometteur capitaine, Woodrow Finn, s'est gravement blessé lors d'un entraînement solitaire en salle de musculation. Il souffre d'une déchirure des ligaments de l'épaule et du bras et ne pourra probablement plus jamais jouer au football. Un nouveau capitaine sera nommé à sa place. Nous souhaitons à Woody un prompt rétablissement et nos meilleurs vœux pour la réorientation de sa carrière.
À la demande de Woody, nous gardâmes le secret. En dehors de Patrick Neville, les seuls à connaître la vérité sur la fin de sa carrière de joueur furent Hillel, Alexandra, Colleen et moi.
Le jour de la conférence de presse, Tante Anita et Oncle Saul se précipitèrent à Madison, où ils restèrent quelques jours. Ignorant les véritables raisons du retrait de Woody, ils se mirent en tête de le soigner. « On va te remettre sur pied », promit Oncle Saul. Woody affirmait qu'il avait trop mal pour envisager de pouvoir rejouer un jour. Tante Anita insista pour lui faire passer des radios, qui révélèrent des lésions sévères : les ligaments du bras et de l'épaule étaient terriblement abîmés, et une échographie révéla même un début de déchirure.
— Woody, mon ange, comment as-tu pu jouer dans cet état ? s'épouvanta Tante Anita.
— C'est pour ça que je ne joue plus.
— Je ne suis pas spécialiste, dit-elle, je vais demander conseil à mes collègues à Johns Hopkins. Mais je ne pense pas que cela soit irréversible. Il faut y croire, Woody !
— Je n'y crois plus. Je n'ai plus envie.
— Qu'est-ce qui se passe, mon grand ? s'inquiéta Oncle Saul. Tu m'as l'air bien déprimé. Même si tu dois t'arrêter quelques mois, il y a toujours l'espoir qu'un club te recrute.
S'il nous avoua s'être blessé en s'entraînant au cours de l'été, Woody nous jura ne pas avoir pris de Talacen. Pourtant, les résultats des radios laissaient planer un doute sur sa capacité à avoir pu jouer sans antidouleur. Pour lui, la seule explication possible était que le médecin de l'équipe s'était mélangé les pinceaux en lui prescrivant des vitamines pour soigner son coup de froid.
— Son histoire ne tient pas debout, dis-je à Alexandra. Il peut à peine tenir sa fourchette à table. Je me demande vraiment s'il n'a pas pris du Talacen de son propre chef.
— Pourquoi nous mentirait-il ?
— Peut-être parce qu'il n'assume pas.
Elle eut une moue.
— J'en doute, dit-elle.
— Évidemment que tu en doutes ! Tu lui donnerais le bon Dieu sans confession ! T'arrêtes pas de le chouchouter !
— Est-ce que tu es jaloux de lui, Markie ? Je regrettais déjà ce que je venais de dire.
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