— Un chien ? Hillel…
— Oui, M'an, je te promets. Il s'accrochait tellement à mon pantalon qu'il a fini par le déchirer et partir avec.
— Et avec ton slip ?
— Oui, M'an.
— Hillel chéri, qu'est-ce qui se passe ?
— Rien, M'an.
— On t'embête à l'école ?
— Non, M'an. Je te jure.
Hillel, profondément humilié, décida qu'il fallait se venger de la vengeance de la vengeance. L'occasion se présenta quelques jours plus tard lorsque Porc fut absent de l'école deux jours, suite à une grosse indigestion. Les élèves préparaient un spectacle pour les parents à l'occasion de Thanksgiving sous la forme de plusieurs tableaux, racontant les actions de grâce offertes par les colons anglais aux Indiens Wampanoag en remerciement de leur aide, et qui continuaient à être célébrées quatre cents ans plus tard par l'octroi de trois jours de liberté pour les braves élèves américains. Cette allusion à l'aspect moderne de la fête devait clore le spectacle sous la forme d'un poème déclamé par un élève. Et comme aucun des enfants présents ne voulait se porter volontaire pour réciter la poésie, ce fut Porc qui fut désigné d'office par le professeur. La poésie était la suivante :
Les bons ingrédients de Maman, par William Sharburgh
C'est Thanksgiving,
La fête des familles.
Une bonne odeur se répand dans la maison.
Maman fait rôtir une belle dinde.
Attirés par les effluves,
Papa, l'enfant et le chien vont tous dans la cuisine.
Maman aux fourneaux s'active,
Tous hument et la félicitent de cette délicieuse odeur.
Papa se réjouit,
L'enfant applaudit.
Le chien se lèche les babines,
Vivement le repas !
L'enfant, gourmand, demande s'il peut goûter.
Maman plonge une cuillère dans la casserole de sauce et l'enfant goûte.
— C'est si bon ! s'exclame-t-il. Qu'y a-t-il dedans ?
— Des ingrédients… répond Maman.
— Quels ingrédients ?
— Mes ingrédients à moi. Tu aimes ?
— C'est si bon ! j'en veux encore ! Je veux tout manger !
— Non, petit gourmand, tu devras attendre le repas.
L'enfant boude et plonge le visage dans la tunique de sa mère.
C'est tout doux. Il sourit.
Il sait qu'un jour sa mère lui livrera
Le secret de ses ingrédients,
Pour qu'il puisse aussi les mettre dans la dinde,
Qu'il fera cuire pour ses enfants.
Par souci de réconciliation, l'enseignante chargea Hillel d'apporter la poésie à Porc et de lui annoncer son rôle dans le spectacle de Thanksgiving. Hillel se rendit chez Porc le jour même. C'est sa mère qui lui ouvrit la porte et le conduisit à la chambre de son fils. Il le trouva dans son lit, en train de lire des bandes dessinées. Après lui avoir expliqué les consignes, il lui donna le texte.
— Montre-moi ! hurla la mère de Porc au comble de l'excitation de savoir que son fils allait apparaître seul sur scène.
— Ne regarde pas ! beugla Porc. Personne ne doit voir ! Ce sera la grande surprise pour le spectacle !
Il se dressa sur son lit et après avoir mis Hillel et sa mère à la porte, il fit de bruyantes vocalises. Il avait toujours eu le sens du spectacle, il allait impressionner tout le monde. Sa mère lui acheta un costume trois pièces pour l'occasion et convoqua toute la famille pour voir son Porc réciter si bien. Son petit garçon était spécial et tout le monde allait enfin s'en rendre compte.
Le jour du spectacle, l'auditorium de l'école était comble. Les Reddan au premier rang, filmant, photographiant, battant des mains à tout rompre. La série de tableaux sur les Wampanoag remporta un vif succès, ceux sur l'approche moderne de Thanksgiving aussi. Puis Porc apparut sur scène, la lumière se braqua sur lui, il prit une ample respiration et récita sa poésie :
Les bons excréments de Maman, par William Sharburgh
C 'est Thanksgiving,
La fête des familles.
Une bonne odeur se répand dans la maison.
Maman fait rôtir une belle dinde.
Attirés par les effluves,
Papa, l'enfant et le chien vont tous dans la cuisine.
Maman aux fourneaux s'applique à flatuler,
Tous hument et la félicitent de cette délicieuse odeur.
Papa se réjouit,
L'enfant applaudit.
Le chien se lèche les testicules,
Vivement le repas !
L'enfant, gourmand, demande s'il peut goûter.
Maman plonge une cuillère dans la casserole de sauce et l'enfant goûte.
— C'est si bon ! s'exclame-t-il. Qu'y a-t-il dedans ?
— Des excréments… répond Maman.
— Quels excréments ?
— Mes excréments à moi. Tu aimes ?
— C'est si bon ! j'en veux encore ! je veux tout manger !
— Non, petit gourmand, tu devras attendre le repas.
—
L'enfant boude et plonge le visage dans le pubis de sa mère.
C'est tout doux. Il sourit.
Il sait qu'un jour sa mère lui livrera
Le secret de ses excréments.
Pour qu'il puisse aussi les mettre dans la dinde,
Qu'il fera cuire pour ses enfants.
Son poème terminé, Porc effectua une courbette pour saluer le public et récolter la salve d'applaudissements qu'il attendait. Un silence terrifiant envahit la salle. Le public, interdit et muet, dévisageait Porc, qui ne comprenait pas ce qu'il avait fait de faux. Il s'enfuit dans les coulisses et découvrit l'enseignante et le principal Hennings qui le dévisageaient.
— Mais qu'est-ce qui se passe, enfin ? gémit Porc.
— Vincent, sais-tu ce que sont des excréments ? interrogea Hennings.
— J'en sais rien, principal Hennings. Moi j'ai juste appris la poésie qu'on m'a donnée.
Hennings vira au pourpre. Il se tourna vers l'enseignante :
— Mademoiselle, pouvez-vous m'expliquer cela ?
— Je ne comprends pas, Monsieur le principal, j'avais confié à Hillel Goldman le soin de transmettre le texte à Vincent. Il en a certainement changé les mots.
— Et vous n'avez pas jugé bon de répéter le spectacle entre-temps ? hurla Hennings dont on entendait les cris jusque dans la salle.
— Si, bien sûr ! Mais Vincent refusait de réciter devant les autres enfants. Il disait qu'il voulait faire la surprise.
— Pour une surprise, c'est une surprise !
— C'est quoi des excréments ? demanda Porc.
L'enseignante se mit à pleurer.
— C'est vous qui nous dites de laisser faire les élèves comme ils veulent ! gémit-elle.
— Arrêtez de pleurer, voulez-vous, lui dit Hennings en lui tendant un mouchoir. Ça n'arrangera rien. Nous allons convoquer cet enquiquineur d'Hillel !
Mais tandis que le spectacle continuait avec la classe suivante, Porc s'était déjà lancé aux trousses d'Hillel. On les vit quitter l'auditorium par l'issue de secours, traverser la cour de récréation, puis le terrain de basket avant de se diriger vers le quartier d'Oak Park. Il y avait la silhouette malingre d'Hillel qui galopait, juste derrière lui Porc, dans son magnifique complet-cravate, qui chargeait comme un animal fou, et un peu plus en arrière un groupe d'élèves qui suivaient Porc pour assister à la scène.
« Je vais te tuer ! hurlait Porc. Je vais te tuer pour toujours ! »
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