— Arrête, ce n’est pas ça l’important.
— Que lui as-tu dit ? C’est la seule nuit où il n’a pas fait de cauchemars depuis qu’il est avec moi.
— Pas grand-chose, je lui ai simplement parlé de Clara. C’est tout.
Ma voix flancha légèrement, j’allumai une cigarette en tremblant. Edward me laissa quelques minutes pour me reprendre avant de poursuivre :
— Depuis qu’on se connaît, tu es la seule à ne pas chercher à m’épargner, alors je compte sur toi. Dis-moi ce que je fais de mal avec lui ? Je veux qu’il aille bien, qu’il oublie, je ne veux pas qu’il finisse comme moi.
Ma main attrapa la sienne et la serra, comme si elle agissait en parfaite indépendance de mon esprit.
— Il n’oubliera jamais, mets-toi bien ça dans la tête. Une maman, comme un enfant, ça ne s’oublie pas. Tu ne fais rien de mal avec lui. Tu apprends, c’est tout. Je n’ai pas de conseil à te donner. Tous les parents font des erreurs. Donnez-vous le temps de vous apprivoiser. La seule chose que je sais, c’est que Declan te regarde comme un demi-dieu, et qu’il est terrifié à l’idée de te perdre. Je te connais… tu n’es pas un grand bavard, mais rassure-le tant que tu peux. Passe du temps avec lui… apprends-lui la photo, c’est magique pour lui quand tu as ton appareil entre les mains, enfin, c’est ce que j’ai vu hier… Et… s’il finit comme toi, il aura beaucoup de chance.
Une dernière pression autour de sa main, et je la lâchai. Je me levai, descendis du rocher, et m’approchai des vagues. Je regardai Judith et Declan au loin, consciente de la présence d’Edward dans mon dos. Je soufflai un grand coup. Le vent fouettait mon visage. Décidément, je ne reviendrais pas indemne de ce séjour.
— Tu pars quand ? me demanda-t-il, alors que je ne l’avais pas entendu arriver derrière moi.
— Après-demain.
— On passera te dire au revoir après l’école.
— Si tu veux.
Il s’éloigna, je le suivis des yeux tandis qu’il récupérait son fils et son chien. Ils grimpèrent en voiture et démarrèrent dans un nuage de poussière. Judith me rejoignit, et me prit par le cou en appuyant sa tête sur la mienne.
— Ça va ?
— On va dire que oui.
Le reste de la journée passa à toute vitesse. Avec Judith, nous savions que le temps nous manquait. Elle utilisa la meilleure défense contre le cafard : le rire. Lors du déjeuner chez Abby et Jack, elle assura le spectacle en racontant des âneries. Je l’accompagnai à sa voiture lorsqu’il fut l’heure pour elle de reprendre la route pour Dublin.
— On évite de passer un an sans se donner des nouvelles ?
— J’aurais bien envie de venir te voir à Paris, mais avec Abby, j’aurais peur de rompre ma promesse. Alors…
— Je te téléphonerai, lui répondis-je. Tiens-moi au courant pour sa santé.
— Ça, je peux faire.
L’armure de Judith se fendilla ; elle leva les yeux au ciel, elle échoua à dissimuler ses larmes. Je la pris dans mes bras.
— Ça va aller, tu vas tenir le coup, lui dis-je à l’oreille.
— Tu es vraiment con, toi ! Tu arrives à me faire pleurer… Tu sais, peu importe avec qui tu fais ta vie… tu es ma…
— Je sais… c’est pareil pour moi…
Elle se détacha, se tapota les joues, et leva les pouces.
— Allez, Judith, on se reprend, tu n’es pas une fillette ! s’admonesta-t-elle. Quand faut y aller, faut y aller !
— Sois prudente sur la route.
Elle fit un salut militaire, monta dans sa voiture et fila.
Je consacrai ma dernière journée à Abby. Elle me demanda si j’accepterais de lui faire les ongles et un brushing ; elle avait encore envie d’être coquette, et n’osait pas demander ça à Judith, par pudeur. Elle avait remarqué que je prenais à nouveau soin de moi et estimait que j’étais parfaite pour cette tâche. Cette intimité entre femmes nous rapprocha davantage. Nous étions installées dans leur chambre. Des photos d’Edward et de Judith enfants ornaient le dessus des commodes. Les voir en uniforme scolaire me fit sourire.
— Es-tu heureuse d’être venue nous voir ? me demanda Abby alors que je lui posais son vernis, toutes deux assises sur son lit.
— Oh que oui ! Sois tranquille.
— Et avec Edward ?
— Ils vont passer me dire au revoir après l’école, enfin, c’est ce qu’il m’a dit hier…
— Et c’est tout ?
— Bah oui…
Nous fûmes interrompues par Jack, qui m’appelait du rez-de-chaussée. Declan et son père venaient d’arriver, justement. Il était l’heure des au revoir. Abby m’accompagna en me tenant par le bras, je sentais ses yeux scrutateurs sur moi. En bas de l’escalier, elle me lâcha pour s’asseoir dans son fauteuil, échangeant avec Jack un coup d’œil qui ne présageait rien de bon.
— Salut, me contentai-je de dire à Declan et à Edward.
Je fuis le regard du père et décidai d’affronter plutôt celui du fils, qui s’approcha de moi pour me faire un bisou.
— C’était bien l’école aujourd’hui ?
— Oui !
— Approche-toi, fiston, j’ai quelque chose à te montrer, l’apostropha Jack.
Declan s’exécuta. Je n’eus d’autre choix que de me tourner vers Edward.
— Bon retour à Paris, me dit-il sobrement.
— Merci.
— C’est quand même dommage que vous ne vous soyez pas plus vus, tous les deux, glissa subtilement Abby.
— C’est vrai, ça ! intervint Jack à son tour. Les enfants, vous ne voulez pas aller au pub tous les deux, ce soir ? On peut garder Declan.
Nous nous regardâmes dans les yeux.
— Tu en as envie ? me demanda Edward.
— Euh… oui, avec plaisir…
— Papa ?
Nous n’avions pas remarqué que Declan s’était à nouveau rapproché de nous.
— Tu pars, papa ?
Les épaules d’Edward s’affaissèrent, il passa la main dans les cheveux de son fils en lui souriant.
— Non… ne t’inquiète pas, on va rentrer… Diane, je suis désolé… ce n’est que partie remise…
Nous savions l’un comme l’autre que c’était faux.
— C’est normal, je te comprends.
— Ou alors… Tu veux venir dîner chez nous ?
— Oh…
Mon regard se tourna automatiquement vers Abby et Jack, comme si j’avais besoin de leur autorisation. Ils me fixaient avec toute la douceur et la bienveillance qui les habitaient.
— Ne te gêne pas pour nous.
— Tu viens manger à la maison ? insista Declan. Dis oui !
J’aperçus le regard tendre d’Edward pour son fils. Ce fut ce qui me fit flancher.
— D’accord, je viens.
— À tout à l’heure, me dit Edward. Declan, on y va ?
Ils embrassèrent Abby et Jack, et se mirent en route. Je restai de longues minutes immobile, debout au milieu du séjour.
— Viens là, ma petite fille, m’appela Abby, ce qui eut le mérite de m’extirper de mes songes.
Je m’avachis sur le canapé, elle changea de place et vint à côté de moi en prenant ma main dans la sienne.
— Qu’est-ce que vous me faites faire tous les deux ? Vous êtes de vrais intrigants !
Jack éclata de rire.
— C’est surtout elle, me dit-il, en désignant sa femme.
— Tu n’es pas mieux ! lui rétorquai-je du tac au tac en souriant. À quoi cela va-t-il servir ?
— À mettre les choses à plat, me répondit Abby.
— Peut-être, mais c’était notre dernière soirée ensemble.
Elle tapota le dessus de ma main.
— Diane, tu n’aurais pensé qu’à eux si tu étais restée avec nous, tu le sais au fond de toi. Et nous avons bien profité… Ne t’inquiète pas… Et puis, quand tu es avec eux, c’est un peu comme si tu étais avec nous, en plus, tu leur fais du bien…
J’appuyai la tête sur son épaule et profitai de sa chaleur maternelle.
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