— J’ai une question hyper importante à te poser, me dit brusquement Judith.
— Je t’écoute.
— Félix est-il toujours gay ?
Je pouffai.
— Plus que jamais, finis-je par lui répondre.
— Merde ! Parce que c’est l’homme de ma vie, tu t’en rends compte, au moins ?
Elle me prit par le bras, et nous récupérâmes nos places au comptoir, où elle commanda notre troisième ou quatrième pinte, je commençais à ne plus savoir ! Le quart d’heure qui suivit, j’eus droit aux dernières aventures de Judith-qui-tombe-amoureuse-tous-les-jours. Mon téléphone sonna, interrompant notre conversation. C’était Olivier.
— Attends deux minutes, lui dis-je, avant de m’adresser à Judith. Excuse-moi…
Elle ricana gentiment et fit un signe de tête vers le coin fumeurs dehors. Je chopai mes cigarettes et traversai le pub, suivie de près par Judith, qui entama la conversation avec les autres fumeurs.
— Ça y est ! Je suis là.
— Tu es où ? Il y a un de ces bruits !
— Au pub avec Judith. Il y a un concert, comme tous les samedis soir.
— Tu as retrouvé ta copine ?
— Oui, on a passé une journée magnifique. Abby était heureuse, c’était génial !
— Tu te sens bien, là-bas…
Une pointe de culpabilité me traversa, j’avais oublié de l’appeler aujourd’hui, toute à ma joie de retrouver Judith.
— C’est vrai… et toi, comment vas-tu ?
— Très bien, ici, tout est OK. Là, je suis chez moi, et je glande tout seul. Je ne vais pas t’embêter plus longtemps…
— Tu ne me déranges pas, idiot !
— Fais la fête. Je voulais juste savoir si tu allais bien. C’est chose faite ! Je t’embrasse fort.
— Moi aussi. À demain, je te téléphone demain, promis.
Judith devait garder un œil sur moi, car elle fut à mes côtés sitôt mon téléphone rangé dans ma poche.
— Alors, comment va ton mec ?
— Très bien. On y retourne ?
En tant qu’invitées d’honneur, nous retrouvâmes encore une fois nos places au bar. Judith ne comptait pas lâcher l’affaire.
— C’est sérieux entre vous ?
— Je ne sais pas, je crois… oui… en fait, ça l’est…
— Et mon frère ?
— Quoi, ton frère ?
— Tu ne l’aimes plus ? N’essaye pas de me dire que tu ne l’aimais pas autrefois, je ne te croirais pas.
— Oh, Judith, s’il te plaît…
— Il faut bien qu’on l’ait, cette conversation !
Je soupirai.
— Je n’étais pas prête pour lui, je lui aurais fait encore plus de mal, un jour ou l’autre, si j’étais restée.
— Et maintenant ?
— Maintenant, il s’est passé plus d’un an. J’ai repris ma vie à Paris, chez moi, et j’ai rencontré quelqu’un avec qui je suis bien.
— Je comprends, je suis contente pour toi.
Elle finit d’une traite sa pinte, et commanda une nouvelle tournée. Non sans oublier de me lancer un regard en coin.
— Qu’est-ce que tu as à me dire ?
— Ça doit te faire drôle, tout de même, de le revoir !
— Ce n’est pas faux… Mais Judith, je t’arrête tout de suite, ne te fais pas de film…
— OK, OK ! Enfin… tu ne me feras pas croire que tu n’as pas envie de jouer la curieuse et d’en savoir un peu plus…
— Tu as raison… je m’inquiète pour lui…
— Tu n’es pas la seule !
— Je m’en doute…
— Il mérite mieux que d’être bloqué avec son fils ! Comment veux-tu qu’il refasse sa vie maintenant ?
— L’arrivée de Declan te pose problème ?
— Bien sûr que non. Comment ne pas l’aimer, ce gosse ? J’en ai simplement marre de voir mon frangin enchaîner les emmerdes. Il a la guigne ! Ce n’est pas un reproche, Diane… mais il en a sacrément chié après ton départ…
Je piquai du nez. J’eus un flash du moment où je lui avais annoncé que je le quittais. Je l’avais tellement fait souffrir.
— Il s’est lancé à corps perdu dans son boulot, il était tout le temps en vadrouille, il fuyait Mulranny, tout ce qui pouvait lui rappeler toi. C’était un mal pour un bien, il était vraiment en train de percer. Et puis, patatras, il tombe sur cette nana ! Sa première réaction a été de se voir comme le méchant de l’histoire… tu connais ses principes ! Heureusement, la mère de Declan était une fille bien, sérieuse, compréhensive. Elle n’en a jamais voulu à Edward d’être parti, elle l’a déculpabilisé, et apprivoisé, aussi, pour savoir si elle pouvait vraiment lui confier leur fils.
— Je la comprends, elle ne le connaissait pas, après tout !
J’avalai une grande rasade de bière et soupirai.
— Mais comment va-t-il vraiment ? Que pense-t-il de la situation dans laquelle il est ?
— Diane, tu vis au pays des Bisounours ou quoi ? Tu crois qu’il s’épanche sur ses états d’âme ?
Ce fut plus fort que moi, j’éclatai de rire.
— Tu vois que tu es curieuse ! enchaîna-t-elle, en riant à son tour.
— Tu as raison ! Tu es contente ?
— J’adore ! Écoute, ce que je peux te dire c’est qu’il a quand même légèrement déraillé quand il a eu les résultats du test de paternité. Ça faisait des années que je ne l’avais pas vu dans un état pareil !
— C’est-à-dire ?
— Il s’est pris une cuite monumentale, barricadé chez lui. À se demander comment il n’est pas tombé raide mort. J’ai dû passer par la fenêtre pour entrer. Et là, je l’ai écouté délirer pendant des heures… tout y est passé : notre père, la salope, la maladie d’Abby, et toi en long, en large et en travers ! Alors que ça faisait six mois que tu étais partie, et que personne n’avait le droit de prononcer ton prénom sans déclencher une guerre nucléaire. Il parlait de coups de téléphone de toi, de messages…
Je décrochai un bref instant ; cela correspondait à mes appels…
— Et maintenant ? lui demandai-je.
— Il est plus vivant grâce à son fils, il va lui consacrer sa vie… il l’aime comme un fou, mais ce qui le rendra toujours malade c’est d’avoir fait un enfant à une femme qu’il n’aimait pas.
— J’aimerais tant faire quelque chose pour lui…
— N’aie pas pitié de lui.
— Ça n’a rien à voir…
Elle eut un sourire en coin.
— Je sais bien, je te provoque… Tu as beau dire, il y aura toujours un truc entre vous, c’est comme ça. Vous avez fait vos choix, l’un comme l’autre. Toi, tu as quelqu’un. Et lui, il a son fils et ça lui suffit. Mais je pense que ça vous ferait du bien d’en parler… Allez, tournée !
Nouvelle pinte. Judith avait mûri, elle était beaucoup plus responsable et lucide qu’avant. Ce qui ne l’empêcha pas de me faire danser sur les rythmes endiablés de la musique traditionnelle.
La fermeture du pub se préparait. Heureusement, nous étions à cinq minutes à pied de chez Abby et Jack. Aussi pompettes l’une que l’autre, nous parcourûmes le chemin bras dessus, bras dessous. Je dessaoulai en moins de deux secondes en découvrant la voiture d’Edward toujours garée devant la maison.
— Qu’est-ce qu’il fout encore là ? brailla Judith tout en étouffant un rot, avec sa grande classe légendaire.
Nous entrâmes à pas de loup et nous dirigeâmes vers le séjour. Une petite lumière était allumée sur un guéridon. Je finis par distinguer la silhouette d’Edward ; il était assis sur le canapé, les pieds sur la table basse, un verre dans une main, l’autre posée sur le dos de son fils, qui dormait la tête sur ses genoux.
— Pourquoi tu es encore là ? lui demanda Judith.
Il ne prit pas la peine de se tourner vers nous pour répondre.
— Declan a fait une crise d’angoisse quand il a compris qu’il ne vous reverrait pas. Le seul moyen de le calmer a été de lui promettre de vous attendre. Il a fini par s’endormir.
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