La vie reprit son cours dès le lendemain matin. J’avais dormi chez Olivier, la nuit avait été réparatrice. Il me raccompagna et monta mon sac de voyage chez moi, pendant que je retrouvais Les Gens. Je n’avais pas eu besoin de lui demander de me laisser seule, il l’avait compris de lui-même. Premier soulagement : tout était intact. Félix n’avait rien saccagé durant mon absence et c’était propre. Il avait dû sacrément prendre sur lui et exigerait sans doute des récupérations, ou une prime ! Second soulagement, et non des moindres : je m’y sentais bien, et j’étais excitée à l’idée de reprendre le travail. Mon séjour en Irlande n’avait pas brisé le cordon entre Les Gens et moi. Olivier frappa à la porte de derrière, j’allai lui ouvrir.
— Merci, lui dis-je avant de l’embrasser. Tu as le temps de prendre un café avec moi ?
— Quelle question !
Nous nous installâmes au bar, côte à côte. Olivier me tourna vers lui, me caressa la joue et prit une de mes mains.
— Tu vas bien ?
— Oui, je te le promets.
— Tu ne regrettes pas, alors ?
— Pas une seule seconde.
— Tant mieux… et le petit garçon ?
— Oh… Declan… j’ai géré, mieux que je le pensais.
— Peut-être parce que tu connais son père.
— Et toute sa famille… Je ne sais pas… il est attachant… Enfin… il va encore souffrir. Abby a pris la place de sa grand-mère… Quand elle va partir…
Ma voix flancha.
— Ne pense pas à ça.
— Tu as raison.
— Le principal, c’est que tu aies renoué avec tes amis. À toi d’entretenir le lien, maintenant.
Il finit son café et se prépara à partir.
— Je n’ai plus le choix !
C’est blottie contre lui que je l’accompagnai dans la rue.
— Tu veux te faire un ciné, ce soir ? me proposa-t-il.
— Pourquoi pas ! Mais on dort chez moi.
— OK.
Il m’embrassa et prit le chemin de son cabinet.
Comme je l’imaginais, Félix s’octroya une partie de la journée. Il arriva sans se presser vers 15 heures.
— La patronne fait fuir les clients ! Il y avait plus de monde quand j’étais à la barre.
— Moi aussi, je suis contente de te voir, Félix !
Il claqua un baiser sur ma joue, se servit un café et s’accouda au bar en m’observant.
— Que fais-tu ? lui demandai-je.
— L’état des lieux…
— Verdict ?
— À l’extérieur, tu passes le contrôle technique. Tu as dû tellement pleurer hier que tu es tombée comme une merde en te mettant au lit. Ce qui te permet d’exhiber tes couleurs et pas tes yeux explosés. À l’intérieur, par contre… c’est moins sûr que tu sois en état de marche…
— Effectivement, je ne vais pas te cacher que ç’a été violent de dire au revoir à Abby. Je ne la reverrai jamais… tu comprends ça ?
Il hocha la tête.
— Quant au reste, je suis en pleine forme, j’ai pris le grand air, je me suis marrée avec Judith. Bref, que du bonheur !
— Et Edward ?
— Quoi, Edward ? Il va comme il peut, on a tout mis à plat. C’est une bonne chose.
— Tu veux dire que tu n’as pas succombé à son charme bourru et sauvage pour la seconde fois !
— Félix, il est père de famille.
— Justement. Je veux bien me transformer en nounou, il doit être foutrement sexy avec son gamin !
Je levai les yeux au ciel.
— Tu oublies un détail : j’ai Olivier, j’aime Olivier.
— Bonne mise au point, me voilà rassuré !
Les semaines qui suivirent, le train-train quotidien reprit sa marche ; Les Gens tournaient à la hauteur de mes espérances, Félix était en pleine forme et je me sentais bien avec Olivier. Le truc en plus : j’avais une fois par semaine Abby et Judith au téléphone. Et ça me remplissait de joie, comme si je comblais un manque.
Nous étions vautrés devant la télévision, chez Olivier. Je somnolais dans ses bras, absolument pas intéressée par le film qui le captivait.
— Va te coucher, finit-il par me dire.
— Ça ne t’ennuie pas ?
— Es-tu bête !
Je l’embrassai dans le cou et fis un passage express par la salle de bains avant de me mettre au lit. Je n’étais pas complètement endormie lorsque Olivier se glissa sous la couette à son tour, et m’attira contre lui.
— Tu n’as pas regardé la fin ?
— Je la connaissais déjà. Tu as mis le réveil ?
— Merde !
— Quoi ?
— J’ai encore oublié mon sac sous le comptoir des Gens. Il faut que je repasse me changer chez moi avant d’ouvrir.
J’attrapai mon téléphone sur la table de nuit et mis l’alarme vingt minutes plus tôt. Je râlais encore en me rallongeant.
— Diane ?
— Oui.
— On pourrait peut-être chercher un appart ?
— Tu veux qu’on habite ensemble ?
— On peut dire ça comme ça aussi ! Écoute, on passe toutes les nuits ensemble et on a passé l’âge de vider un tiroir pour l’autre.
— Tu sais qu’en général ce sont les femmes qui demandent ça ?
— C’est mon côté féminin qui s’exprime ! Qu’en penses-tu ?
— Tu as peut-être raison…
Pourquoi repousser cette nouvelle étape ? Il se pencha au-dessus de moi, sincèrement surpris, avec un grand sourire aux lèvres. Je lui faisais plaisir…
— Tu es sérieuse ? Tu veux vivre avec moi ?
— Oui !
Il m’embrassa, puis posa son front contre le mien. J’avais toujours le sentiment d’être sa petite chose fragile tant il faisait attention à moi.
— J’aurais compris que tu ne sois pas prête… On va choisir un endroit pour nous.
— Ça va être bien…
Quelques jours plus tard, Olivier était aux Gens, il épluchait le PAP tout en appelant les agences immobilières du quartier. Il stabilotait, faisait des listes, s’énervait après les annonces bidons et s’enthousiasmait quand il nous décrochait une visite. Sa tâche était ardue ; il s’était mis en tête de nous trouver un appartement dans le quartier… Pour moi, pour me faciliter les choses.
— On a un problème ! déclara-t-il.
— Lequel ?
— Toutes les visites ont lieu samedi prochain.
— Ah…
— Comme tu dis !
Nous eûmes le même réflexe : nous tourner vers Félix qui avalait bonbon sur bonbon. Il s’était mis au régime « j’arrête de fumer » sans l’intention de se passer de cigarettes. « J’anticipe, je me prépare », me disait-il, très convaincu. Lorsqu’il remarqua que nous le fixions, il haussa un sourcil et lança un Dragibus dans sa bouche.
— Vous complotez quoi, au juste ?
— Il faudrait que tu rendes service à Diane.
— Ça se monnaie…
— Félix, s’il te plaît, insistai-je. On visite des apparts samedi.
— No problem ! Prenez tout le temps qu’il vous faut pour choisir votre nid ! Du moment qu’elle quitte son taudis ! Du coup, je me taille maintenant !
Il goba un dernier bonbon avant de venir prendre Olivier dans ses bras.
— Si tu n’existais pas, je ne sais pas ce que je serais devenu avec elle sur les bras !
— Bah, ça va ! m’énervai-je.
— Je t’aime, Diane !
Il partit en sautillant.
— On devrait trouver notre bonheur, dis-je à Olivier.
— J’espère ! Tu es vraiment sûre de toi ?
— Oui !
— Vivre ici ne va pas te manquer ?
— Bien sûr… mais je veux avancer avec toi.
Je l’embrassai en me penchant par-dessus le comptoir. Je devais continuer à franchir des étapes, même si, par moments, je me disais que cela allait trop vite ; j’avais peut-être accepté par confort et facilité, parce que je souhaitais que les choses restent simples, sans conflit, et je ne voulais pas faire un pas en arrière. C’était un interdit que je m’imposais. J’étais bien avec Olivier, tout était doux, paisible.
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