Il avait d’emblée montré des dispositions pour l’instrument et avait rapidement progressé, sans pour autant connaître une note de musique ni avoir suivi le moindre cours.
À l’âge de treize ans, il s’était mis à écrire des textes qu’il mettait en musique et chantait en s’accompagnant de sa guitare. Pour la plupart, le contenu de ses compositions était haineux et acerbe. Il s’attaquait à la Couronne, au système scolaire, au gouvernement conservateur d’Harold Macmillan et à ce qu’il appelait la soumission aveugle du peuple britannique.
Aux critiques que ses détracteurs lui adressaient, il répondait par des propos orduriers et déclarait ne pas communiquer avec les gens normaux .
À quinze ans, il était affligé de nombreux tics. Des spasmes nerveux lui contractaient le visage. Il se grattait, se tirait les cheveux et se triturait les mains de manière convulsive. Les élèves de l’école qu’il fréquentait commencèrent à l’éviter, le traitèrent ensuite de névrosé et d’homosexuel.
Ses parents, inquiétés par son agressivité, son asocialité et ses sautes d’humeur, le forcèrent à consulter le médecin de famille.
Le praticien l’aiguilla vers un psychiatre qui décela la présence d’un désordre bipolaire et lui prescrivit un traitement à base d’antidépresseurs. En plus de ses symptômes maniacodépressifs, Steve souffrait d’une scoliose qui le faisait souffrir au plus haut point.
À dix-sept ans, il était devenu dépendant d’un cocktail chimique fait de neuroleptiques et d’antidouleurs dont il dépassait régulièrement les doses prescrites.
Steve Parker avait rejoint Larry Finch au printemps 1963.
À cette époque, il habitait à cinq kilomètres de Battersea, non loin du Hammersmith Odéon, la prestigieuse salle de concerts qui avait accueilli Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Il avait arrêté ses études et entamé un travail de nuit dans une boulangerie.
Un matin, il était tombé sur la petite annonce que Larry avait fait paraître dans le Jazz News . Ce dernier lançait un appel à des candidats désireux de former un groupe de rock. Sans trop y croire, Steve lui avait envoyé quelques démos.
À sa surprise, Larry l’avait convoqué la semaine suivante. Ils s’étaient vite entendus et avaient recruté un troisième guitariste pour former The Weapons, leur premier groupe. L’ensemble ne comptait pas de batteur, aucun n’ayant répondu à l’annonce, ce qu’ils avaient présagé, au vu du prix élevé de l’instrument et du peu d’amateurs qui s’y adonnaient.
Après quelques semaines, le troisième membre s’était fait congédier pour incompatibilité d’humeur et The Weapons avait été dissous.
Plutôt que de se mettre à la recherche d’un autre guitariste pour assurer la rythmique, Steve avait eu l’idée de réunir un groupe constitué d’une batterie, d’une basse et de deux guitares solos au lieu de se conformer à la structure classique dans laquelle la guitare rythmique soutenait le solo. Ces deux guitares solos se donneraient la réplique et établiraient une sorte de dialogue.
Deux ans plus tard, lorsqu’il découvrit The Last Time , le hit où Keith Richards et Brian Jones entremêlaient le son de leur instrument, Steve estima que les Rolling Stones leur avaient volé son idée. L’espace d’un instant, il envisagea de leur intenter un procès.
Ils mirent trois mois pour trouver un guitariste à la hauteur, quatre de plus pour dénicher un batteur et constituer en mai 1964 le line-up définitif de Pearl Harbor, avec Larry à la basse, Steve au chant et à la guitare, Jim à la seconde guitare et Paul à la batterie.
Steve, qui avait dix-huit ans à ce moment, avait commencé à fumer ses premiers joints.
Comme son dos le faisait de plus en plus souffrir, il avait passé un examen radiographique qui avait révélé un déplacement d’un disque intervertébral. Le médecin qui le soignait avait estimé que la position debout et le poids de la guitare aggravaient la pathologie. Il avait reçu pour consigne d’arrêter de jouer ou de ne jouer qu’en position assise.
Il s’était alors tourné vers les drogues dures pour lui permettre de supporter la douleur et de pouvoir jouer sans avoir à réprimer sa fougue.
À vingt ans, peu avant que Pearl Harbor ne décroche le contrat pour Berlin, il avait fait une fausse tentative de suicide en avalant vingt comprimés de Benzédrine.
La police mit quelques jours pour reconstituer l’emploi du temps de Steve Parker depuis son départ de Berlin, le vendredi 17 mars, jusqu’à sa mort à Hambourg, dans la nuit du 19 au 20 mars 1967.
Steve avait quitté Berlin en fin de matinée, après avoir acheté au marché noir des places pour le concert de Jimi Hendrix qui avait lieu au Star Club, le dimanche 19 mars.
Il avait pris le train et était arrivé à Hambourg en début de soirée. Il s’était installé à l’hôtel Kastanien, au cœur du quartier Saint-Pauli, dans une rue parallèle à la Reeperbahn, la célèbre artère de la ville où la fête battait son plein vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Durant la nuit du vendredi au samedi, de nombreux tenanciers de bars l’avaient vu entrer et sortir de leur établissement après avoir avalé un verre. L’un d’eux déclara que Steve donnait l’impression de chercher quelque chose. Un autre présuma qu’il voulait simplement visiter le plus d’endroits possible.
Il avait terminé sa virée nocturne à l’hôtel Luxor, une maison de passe bien connue. Friand d’Asiatiques, il s’était fait administrer une fellation par une jeune Thaïlandaise qui se souvenait de lui grâce au généreux pourboire qu’il lui avait laissé.
Il avait passé la journée du samedi dans sa chambre et avait quitté l’hôtel vers quinze heures.
En fin d’après-midi, il avait eu une brève altercation dans un bar avec un homme éméché qui l’avait bousculé. Des mots, ils en étaient venus aux insultes, des insultes, ils en étaient venus aux mains. L’empoignade s’était soldée par quelques coups de poing qui lui avaient laissé un œil au beurre noir.
Après s’être fait soigner dans une pharmacie, il s’était rendu dans un restaurant italien. Il avait ensuite consommé plusieurs bières au Top Ten Club et avait terminé la nuit dans une boîte de strip-tease.
Le portier de son hôtel l’avait vu rentrer vers cinq heures du matin.
Le dimanche, il n’était sorti de sa chambre que pour se rendre au concert de Jimi Hendrix. Après le spectacle, il était allé à l’Eros Center. La prostituée qui s’était occupée de lui déclara qu’il semblait dans un état second et qu’il n’était pas parvenu à éjaculer.
Il était rentré à l’hôtel à six heures trente.
L’un des résidents était descendu à la réception vers dix heures et avait déclaré avoir entendu une détonation aux environs de sept heures, sans pouvoir donner plus de précisions quant à sa provenance.
Les femmes d’étage qui s’étaient fait rabrouer les jours précédents vinrent frapper à la porte de Steve vers midi. Habituées à recevoir des insultes en retour, elles s’étonnèrent de son mutisme.
Devant la porte fermée, et sans réponse aux appels qu’elles lancèrent, elles s’étaient tournées vers le gérant de l’hôtel.
Celui-ci avait ouvert la porte.
Steve Parker était assis à même le sol, le dos contre le lit, la tête rejetée en arrière. Le plafond de la chambre était maculé de sang.
L’enquête de police conclut à un suicide.
Steve Parker s’était tiré une balle dans la bouche à l’aide d’un fusil de chasse de gros calibre. La police avança que le fusil avec lequel il s’était donné la mort provenait du commerce clandestin et qu’il était aisé de se procurer un tel modèle dans une ville comme Hambourg.
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