— Que savez-vous sur lui, à part sa disparition ?
— Il y a peu de choses dans le dossier. Un gentil garçon, plutôt réservé. Il a eu un accident quand il avait quinze ans. Il a été fortement commotionné. Il en a peut-être gardé des séquelles, bien qu’il ait été reconnu apte à faire son service militaire. C’est en tout cas une des thèses qui figurent dans le dossier.
Dominique était songeur.
— Il est revenu après quarante-sept ans ? Pourquoi ? Pour dire pardon à sa mère et déposer une gerbe de fleurs sur sa tombe ?
— Il se sentait peut-être partir, ce genre de réaction se rencontre souvent chez les criminels, un ultime besoin de soulager sa conscience.
— Non, ce n’est pas ça. Je ne le sens pas comme ça.
— Dans ce cas, continuez à communiquer avec lui pour en savoir plus. De mon côté, je vais voir s’il lui reste de la famille et contacter la fille de son frère. Je vous rappelle si j’ai du nouveau.
Dominique ne tint pas compte de son jour de congé et se rendit à la clinique le lendemain matin.
Il entra dans la chambre de X Midi sans préalable, le prit à bras le corps et le mit en position assise dans le lit. Il déposa ensuite son ordinateur portable sur la table de soins et le plaça face à l’homme. Il lança le programme images et ouvrit la photo qu’il avait prise la veille.
Il s’assit ensuite sur le lit et lui prit la main.
Les yeux de l’homme se troublèrent.
Dominique sentit pour la première fois la main de X Midi se refermer sur la sienne.
75
Le mal que je t’ai fait
Ton sourire est celui que j’ai toujours connu. Les années n’ont pas eu de prise sur toi. À présent, je peux m’en aller. J’espère que tu me pardonneras le mal que je t’ai fait.
Après sa visite à Reynolds, Michael Stern comprit que la mort des membres de Pearl Harbor était due à l’apparition malencontreuse de Jacques Berger dans le studio.
Ce dernier n’avait pas été la proie d’hallucinations, les hommes dont il avait parlé à Mary Hunter n’étaient pas imaginaires. Ils étaient présents dans le studio et trafiquaient les bandes magnétiques.
Stern était également convaincu que les événements de Ramstein et la mort du disc-jockey de la boîte étaient liés à cette affaire.
Mais son intime conviction ne suffisait pas. Dans son métier, il était hors de question de porter un sujet au grand jour sans avancer un minimum de faits avérés et il n’avait aucune preuve tangible à fournir à son rédacteur en chef pour le faire changer d’avis.
À l’heure qu’il était, Jacques Berger avait peut-être été assassiné, lui aussi. Les hommes qui se trouvaient dans le studio ignoraient qu’il n’était pas le batteur titulaire du groupe, ce qui expliquait l’élimination de Paul McDonald, mais ils s’en étaient certainement rendu compte par la suite et lui avaient donné la chasse.
Quant au mobile de ces actes, il était cousu de fil blanc. Féru d’histoire, Stern savait que de tout temps, les grandes puissances avaient expérimenté nombre de méthodes visant à galvaniser leurs troupes ou à affaiblir les défenses de l’ennemi. Les livres d’histoire regorgeaient de témoignages allant en ce sens.
Dans l’ Art de la Guerre , le livre écrit quelques siècles avant Jésus-Christ par l’énigmatique Sun Tzu, l’auteur déclarait que l’art de la guerre reposait sur la duperie.
Il préconisait l’utilisation de méthodes de propagande et de désinformation pour convaincre l’ennemi que la défaite était inévitable. Il suggérait d’autres tactiques pour leur saper le moral ou à accroître leur niveau de stress.
Au onzième siècle, les ismaéliens professaient une science secrète censée procurer des pouvoirs magiques, science à laquelle les initiés accédaient par degrés. L’apprentissage du premier degré consistait à se familiariser avec l’usage du haschich dans le but d’accroître le courage physique et de connaître l’illumination.
Gengis Khan, le chef mongol, était connu pour avoir mené des hordes de cavaliers sanguinaires à travers la Russie et l’Europe. Sa réputation de domination totale avait été renforcée par le conditionnement psychologique qu’il exerçait sur ses troupes.
Même si rien ne valait la haine de l’ennemi, certains stratagèmes se révélaient utiles pour doper le moral des troupes, telle la liberté de piller, de tuer et de violer, butin de guerre affectionné par ses hommes.
Plus récemment, durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis avaient injecté de la testostérone à leurs soldats pour augmenter leur agressivité et les médecins de la Wehrmacht avaient distribué des dizaines de millions de doses de méthamphétamines aux troupes pour les tenir éveillées et les rendre plus combatives.
Après la guerre, l’armée américaine avait fait appel à des psychiatres comportementalistes suite à une étude qui démontrait que la majorité des combattants avait désormais des scrupules à tuer, même sur un champ de bataille.
Dans le but de diminuer le sentiment de culpabilité et d’accroître l’agressivité des soldats, ils avaient mis en place une batterie de drills qui avaient pour objectif de conditionner l’individu à faire corps avec le groupe et à considérer les autres comme non humains, les transformant de la sorte en machine à tuer.
Le bruit courait que l’armée américaine avait expérimenté le LSD au début de la guerre du Vietnam.
Après l’absorption de cette drogue, les hommes de troupe présentaient les symptômes du psychotique schizophrène et pouvaient être poussés à commettre des actes violents envers autrui.
Une autre rumeur disait que cette expérience avait été un fiasco et que les autorités militaires testaient à présent des méthodes plus sophistiquées, comme les armes psychotroniques, des engins qui faisaient appel aux ondes électromagnétiques et privaient l’être humain de sa conscience de veille tout en décuplant son agressivité.
Pour Michael Stern, le drame qui s’était déroulé à Ramstein résultait de l’expérimentation d’une nouvelle technologie destinée à programmer les êtres humains, un système perfectionné qui stimulait l’agressivité d’une partie de l’assistance tout en affaiblissant les défenses de l’autre.
Il lui restait à réunir des faits pour étayer sa thèse.
77
Le numéro que je connaissais par cœur
Je serais rentré chez moi si l’on ne m’avait ôté ma liberté, ma crise d’identité touchait à sa fin, je n’étais plus révolté, je me réconciliais peu à peu avec l’humanité.
Chaque jour, je pensais à ma mère, à la douleur qu’elle devait ressentir, cette même douleur qui m’arrachait les tripes. Je pensais aussi à mon père et à mon frère. La distance et le temps avaient fini par effacer les griefs que j’avais accumulés contre eux.
Je serais rentré chez moi, j’aurais pris ma mère dans mes bras, je l’aurais serrée dans mes bras sans dire un mot. Elle ne m’aurait rien demandé.
J’aurais surmonté les obstacles. Je me serais justifié, j’en étais capable désormais. J’aurais expié mes fautes. J’aurais fait confiance à la Justice. J’aurais assumé mes responsabilités et accepté la peine que je méritais.
Le reportage de la télévision suisse m’avait ébranlé. Je savais à présent ce qui se tramait, je connaissais le but de leur manipulation. J’avais envie de le hurler, d’en parler à chaque client que je rencontrais, mais je n’avais personne à qui le dire.
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