En fin d’après-midi, il retéléphona à l’heure prévue et put parler à la femme en question. Il baragouina quelques mots d’allemand et finit par se faire comprendre.
Elle entérina les déclarations qu’elle avait faites lors de sa visite à Berlin. Peu avant la disparition des quatre hommes, l’un d’eux était resté à l’appartement durant la soirée. Elle l’avait entendu se déplacer. Elle avait perçu des quintes de toux et des haut-le-cœur.
En revanche, elle ne pouvait préciser la date à laquelle l’incident s’était produit.
Stern tenta de lui rafraîchir la mémoire en lui posant des questions sur son emploi du temps ce soir-là. Il lui suggéra des pistes comme la composition de son repas, les visites qu’elle avait reçues ou la nature de l’activité qui avait occupé sa soirée.
À force de tâtonnements, elle se rappela avoir dressé un parallèle entre les vomissements qu’elle entendait à l’étage et la chronique médicale qu’elle parcourait à ce moment-là dans Der Spiegel . L’article en question rapportait que les Allemands mangeaient trop gras au petit déjeuner.
Elle précisa qu’elle recevait le magazine le mardi et consacrait sa soirée à sa lecture.
Un court appel à la rédaction du magazine allemand permit à Stern d’apprendre que l’article en question s’intitulait Reiner Tisch , qu’il avait été rédigé par un journaliste de la rubrique santé et qu’il était paru dans le numéro 12 de l’année. L’hebdomadaire avait été mis en vente le lundi 13 mars et distribué aux abonnés dès le lendemain.
Cela signifiait que l’incident rapporté par la femme s’était produit pendant la soirée du mardi 14 mars 1967.
Stern en conclut qu’un des quatre hommes n’avait pas participé à l’enregistrement, cloué à son domicile par une indigestion ou un malaise passager.
Même si ce détail était d’une importance secondaire, il indiquait que seuls trois d’entre eux auraient dû être éliminés s’ils avaient été témoins de quelque fait obscur.
Stern reprit ses notes, les relut une nouvelle fois et se mit en devoir d’identifier l’absent. Face au casse-tête que cela représentait, il prit contact avec Birgit, la compagne de Jim Ruskin et lui demanda de l’aider à remonter l’emploi du temps du groupe.
Ruskin avait passé la soirée du mercredi 15 mars chez elle. Il en avait fait de même le jeudi 16, le vendredi 17 et le samedi 18, comme le groupe s’était mis en congé et ne travaillait pas ces soirs-là. Jim avait logé chez elle ces quatre nuits, mais elle l’avait prié de rentrer chez lui le dimanche soir. Elle accusait un peu de fatigue et reprenait le travail le lendemain matin.
Michael Stern nota les informations et en tira ses déductions.
L’enregistrement avait eu lieu le mardi 14 mars 1967. Seuls trois des quatre musiciens y avaient assisté. Le quatrième était resté dans l’appartement, victime d’un malaise. Le mercredi 15 mars, hormis Jim qui était resté chez Birgit, les trois autres hommes avaient dormi dans leur lit. Le jeudi 16 se présentait vraisemblablement de la même manière.
Le vendredi 17, Steve Parker avait pris le train pour Hambourg en fin de matinée. Restaient dans l’appartement Larry Finch et Paul McDonald. Le samedi 18, Larry Finch et Paul McDonald étaient partis respectivement à Majorque et Londres.
Cette nuit-là, le samedi 18, personne n’avait logé dans l’appartement. Seul Jim Ruskin y était revenu le dimanche soir. Sa présence avait été confirmée par l’épicier qui l’avait réveillé le lundi en fin de matinée.
Stern examina ses notes.
Elles ressemblaient à un problème de logique qui le ramenait à ses premières années d’étude.
Il griffonna un tableau, y mit le nom des quatre hommes en colonnes, les dates en ligne, puis remplit la grille à l’aide des informations qu’il avait récoltées, détaillant les lieux où chacun était censé se trouver.
De nombreux points d’interrogation émaillaient le document.
Qui était resté à l’appartement le soir de l’enregistrement ? Pourquoi ce quatrième homme, l’absent, était-il mort ? S’il n’avait pas participé à l’enregistrement, pourquoi était-il, lui aussi, en possession d’une importante somme d’argent ?
Il ne pouvait exclure l’éventualité que le logement ait été occupé par une personne étrangère au groupe le soir de l’enregistrement, mais cela lui semblait une option peu réaliste.
47
À destination de Berlin
Brian avait le nez cassé. Il est parti se faire soigner. Quand il est rentré, il n’est plus revenu sur le sujet. Cette nuit-là, Mary a dormi avec moi. Nous avons fait l’amour et elle a crié plus fort que d’habitude.
Hormis dans ces moments-là, nous nous parlions peu, nous étions réservés de nature.
Elle chantait pour exorciser ce qu’elle taisait. Les paroles de ses chansons traduisaient sa détresse, ses colères et ses espoirs déçus. Ses couplets dénonçaient l’abandon, la violence, la servilité et l’enfance qu’elle n’avait pas eue.
J’en faisais de même lorsque je jouais de la batterie, avec mes mots à moi. Je frappais pour oublier la peur que m’inspirait la folie dans laquelle je m’enfonçais.
Nous buvions jusqu’à l’écœurement. Nous commencions dès le matin par quelques bières innocentes et du vin. En fin de soirée venaient les alcools plus forts. Nous fumions de l’herbe et carburions aux amphétamines.
Lors de son retour à Londres, Mary avait consommé de l’héroïne et m’en avait vanté les effets. Elle rêvait d’en reprendre, de m’initier, mais nous n’avions pas la somme suffisante pour nous en procurer.
Je ne lui avais pas dit que j’avais mis de l’argent de côté, je ne voulais pas de cette substance. Depuis Paris, je l’associais au viol, au malheur et à la mort.
L’image de Floriane, prisonnière des deux hommes, la main tendue, continuait de me hanter.
Il nous arrivait de passer de longues heures, allongés sur le lit, l’un à côté de l’autre, à retourner mille pensées sans échanger un mot. Nous écoutions nos souffles, les Stones ou les bruits qui circulaient dans la maison. Quand le silence devenait trop lourd, nous faisions l’amour.
Nous avons passé la soirée du réveillon dans ma chambre. C’était notre havre. Mary fêtait ses vingt ans. La maison était calme.
Dans la rue, les gens riaient, criaient, sifflaient. Les voitures roulaient plus vite que de coutume. Nous entendions la cacophonie des avertisseurs, le crépitement des feux d’artifice au loin.
Nous avons fait l’amour à en perdre haleine.
Au petit matin, je lui ai dit que je l’aimais. Les mots sonnaient étrangement dans ma bouche. Je les entendais sans cesse dans les chansons, mais je les prononçais pour la première fois.
Elle n’a pas dit un mot, elle m’a pris dans ses bras et m’a serré longuement. Elle paraissait songeuse.
Après un moment, elle a pris son souffle et m’a avoué avoir été enceinte.
Quelques semaines après leur mariage, son mari avait invité l’un de ses amis pour le dîner. Ils avaient mangé, ri et bu plus que de raison. En fin de soirée, ils avaient baisé à trois. Elle n’avait pas trouvé l’expérience désagréable, mais elle pensait qu’il ne s’agissait que d’un concours de circonstances. La semaine suivante, il a recommencé. Et la semaine suivante. Son appétit était insatiable. Sans cesse, il ramenait d’autres hommes, certains qu’elle ne connaissait pas. Il lui arrivait de devoir satisfaire trois hommes dans la soirée.
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