Marc Levy - Une autre idée du bonheur

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– Tu vas bien ?

– Oui, tout va bien, je rentrerai bientôt et nous irons voir deux films à la suite si tu veux. Et toi, comment vas-tu ?

– Je n'ai pas le moral, soupira Jo, j'ai reçu une nouvelle lettre de refus d'un éditeur qui ne veut pas de mon recueil de poésies. Je devrais peut-être tout brûler et renoncer.

– Je t'interdis de penser ça, Jo ! Ta poésie est magnifique, ce n'est pas parce que des crétins n'y comprennent rien que tu dois te mettre à douter.

– Les crétins, comme tu dis, sont unanimes.

– Les esprits obtus sont majoritaires, et alors !

– D'accord, dit Jo, ne t'énerve pas à ma place, je le suis déjà suffisamment. Tu fais ce voyage toute seule ?

– Non, je conduis une amie qui avait besoin de se rendre en Californie, lâcha Milly.

– Depuis quand as-tu une amie ? Et je ne la connais pas ?

– Une vieille copine de Santa Fe, je ne l'avais pas revue depuis mon départ, mentit Milly en se mordant les lèvres.

– Une copine que tu n'as pas vue depuis longtemps débarque et toi tu prends le large en mentant à ta patronne ? Tu es trop gentille.

– Ne dis pas ça, Jo, je n'aime pas ce mot, je n'avais pas le choix, c'est tout.

– Qu'est-ce qu'il lui arrive à cette amie pour que tu traverses le pays ?

– C'est une histoire qui lui appartient, répondit Milly.

– Comme tu voudras, après tout, ça te regarde, mais je n'aime pas le son de ta voix.

– Ma voix va très bien, je suis juste un peu fatiguée, j'ai beaucoup roulé.

– Et tu en es où de ton voyage ?

– Quelque part en Virginie. C'est très beau, ça te plairait. Tout à l'heure nous nous sommes arrêtées pour visiter une grotte, il y avait un organiste qui jouait à l'intérieur d'une caverne, la sonorité était incroyable.

Jo resta silencieux.

– Il jouait comme un pied, reprit Milly en souriant.

– Sois prudente et donne-moi de tes nouvelles, tu me promets ?

– Je te le promets, répondit-elle en raccrochant.

Le soleil commençait à décliner, le dernier groupe de touristes de la journée se formait près de l'entrée et Milly se demanda ce qu'Agatha pouvait bien faire.

*

Le guide profitait de son temps de pause à l'abri d'une anfractuosité. Agatha s'approcha de lui

– Avec cette barbe, j'ai bien failli ne pas te reconnaître, lui dit-elle.

– Je vous demande pardon ? dit le guide.

– C'est moi, Brian... Hanna.

Le guide ouvrit grand les yeux et hoqueta, comme s'il avait vu un fantôme.

– Hanna ? Qu'est-ce que tu fais là ? dit-il d'une voix chevrotante.

– Je passais dans le coin, je suis venue te saluer.

– Je croyais que tu étais...

– En taule ? Tu croyais bien, j'y étais encore avant-hier, j'en suis sortie.

– Ils t'ont enfin libérée ?

– Je me suis enfin évadée. Il était temps.

– Le temps de quoi ? interrogea le guide inquiet.

– De rétablir la vérité. Si j'avais attendu que l'un de vous s'en occupe, je serais morte derrière les barreaux. Ça vous aurait tous arrangés, n'est-ce pas ?

– Ne dis pas des choses comme ça, Hanna. Pour les autres je ne sais pas, mais moi, je ne pouvais rien faire, je suis resté caché pendant dix ans avant de refaire surface, et encore, c'est un grand mot, dit-il en regardant le plafond de la grotte. C'était bien plus compliqué que tu ne le penses.

– Ça ne pouvait pas être plus compliqué que pour moi, Brian. En trente ans, pas un de vous n'est venu me voir, à part Max.

– Lui ne risquait rien, nous ce n'était pas pareil. Bon sang, Hanna, regarde de quoi ma vie est faite, je passe mes journées enfoui comme une taupe sous terre.

– Mais le soir tu sors, tu te promènes à l'air libre, tu choisis ce que tu manges, tu dors dans ton lit, je n'ai eu droit à rien de tout ça.

– Il faut que j'aille chercher le prochain groupe, je vais me faire rappeler à l'ordre, mon temps de pause est limité.

– Tes touristes peuvent patienter quelques minutes, j'ai attendu trente ans.

– Qu'est-ce que tu veux, Hanna ?

– Retrouver Lucy, retrouver le carnet. Max m'a dit qu'elle s'était installée dans la région, mais il n'a ni son adresse ni sa nouvelle identité. Ne me dis pas que vous ne vous êtes pas revus !

– Et moi, comment m'as-tu trouvé ? C'est Max ?

Agatha hocha de la tête.

– Nous nous sommes tous fabriqué de nouvelles identités, nous n'avions pas le choix. Max peut faire le malin, il est le seul à s'en être tiré blanc comme neige. Il ne t'a pas sortie de prison que je sache.

– Non, mais lui au moins venait me rendre visite, il m'envoyait des colis, me donnait des nouvelles, de vos nouvelles.

– Max a toujours été un fouineur et un manipulateur.

– Je ne suis pas venue ici pour le critiquer ni pour faire son apologie, mais juste pour que tu me renseignes ; à moins que tu ne préfères que je me mette à raconter tes exploits dans cette grotte, il paraît que l'écho y est remarquable.

– Ne fais pas l'idiote, j'ai un fils, je suis divorcé et la vie n'est pas facile. Tu crois que ça m'amuse de jouer au traîne-couillons, à huit cents pieds sous terre ?

Brian regarda Agatha fixement avant de baisser les yeux.

– Lucy Garbel s'appelle désormais Lucy Wise, elle tient un bed and breakfast avec son mari à la sortie de Roanoke, c'est à moins d'une heure d'ici. Tu ne peux pas le rater, il est au bord de la 11.

– Tu vois, ce n'était pas difficile. Et toi, quel est ton nouveau prénom ?

– Ronald.

– C'est assez moche, mais ça te va bien.

– Ne dis pas à Lucy que je t'ai donné son adresse.

– Sous cette longue barbe, tu n'as pas changé, tu es toujours le même garçon, pathétique et pitoyable. Sois tranquille, je ne dirai rien, je ne suis pas une balance. J'ai fait trente ans pour cette raison précise.

– Nous n'y sommes pour rien, ces trente ans, tu les as faits parce que...

– Tais-toi, Brian, avant que je ne change d'avis et que je me mette à hurler.

Agatha s'en alla, mais le guide l'attrapa par le bras.

– Ne réveille pas les démons du passé, profite de ta liberté, n'anéantis pas ce que nous avons essayé de faire de nos vies chacun de notre côté.

Agatha dévisagea le guide, libéra son bras et quitta la grotte sans se retourner.

Milly l'attendait, adossée à la voiture.

– Vous comptiez les stalactites ? J'ai cru que vous ne reviendriez jamais.

– Eh bien, me voilà, répondit sèchement Agatha, monte dans la voiture.

– Un problème ? demanda Milly.

– Aucun, nous sommes aussi fatiguées l'une que l'autre, allons nous reposer.

– Alors nous sommes d'accord, au premier hôtel, nous nous arrêtons pour de bon.

– Non, prends la route 11, nous arriverons à destination dans une heure.

– Chez vos amis ?

– Oui.

– Ils sont au courant de notre arrivée ? Vous m'avez promis un lit. Ce soir, je ne dors pas sur la banquette arrière ou sur un canapé.

– Ne t'inquiète pas, ils tiennent un petit hôtel, nous aurons chacune notre chambre.

Milly démarra sans attendre la fin de sa phrase.

*

Tom traversa York sans s'y arrêter. Un peu plus tôt, un motard de la Highway Patrol avait repéré l'Oldsmobile alors qu'elle entrait en Virginie, ce qui lui posait un problème de taille. La voiture qu'il conduisait n'était pas censée quitter l'État. Il se rangea sur le bas-côté et interrogea l'ordinateur de bord. L'antenne la plus proche de l'USMS se trouvait à Chambersburg. Il alluma les gyrophares dissimulés derrière le pare-brise et accéléra.

*

Il présenta son insigne et son mandat en entrant dans le bureau des marshals et requit un véhicule auprès de l'officier de permanence. Aussitôt après, il appela le commissariat central de Philadelphie pour communiquer l'adresse où récupérer leur voiture.

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