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Marc Levy: Et si s'etait vrai...

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- On ne dit rien, on ne râle pas, je rentre tôt demain et je vous range pour la semaine !

Puis elle attrapa un crayon et un papier et rédigea la note suivante, avant de la coller sur la porte du réfrigérateur avec un gros aimant en forme de gre-nouille :

Maman,

Merci pour la chienne, surtout ne range rien, je m'occupe de tout en rentrant.

Je passe chercher Kali directement chez toi dimanche vers 5 heures. Je t'aime, ta Docteur pré-

férée.

Elle enfila son manteau, caressa tendrement la tête de sa chienne, posa un baiser sur son front, et claqua la porte de la maison.

Elle descendit les marches du grand escalier, passa par l'extérieur pour rejoindre le garage, et sauta presque à pieds joints dans son vieux cabriolet.

- Partie, je suis partie, se répétait-elle. Je ne peux pas y croire, c'est un vrai miracle, reste encore à ce que tu veuilles bien démarrer. Amuse-toi ne serait-ce qu'à tousser une fois, je noie ton moteur avec du sirop avant de te jeter à la casse et je te remplace par une jeune voiture tout électroni-que, sans starter et sans états d'âme quand il fait froid le matin, tu as bien compris, j'espère ?

Contact !

Il faut croire que la vieille anglaise fut très impressionnée par la conviction des propos de sa maîtresse, car son moteur se mit en route au premier tour de clé. Une belle journée s'annonçait.

Lauren démarra lentement pour ne pas réveiller le voisinage. Green Street est une jolie rue bordée d'arbres et de maisons. Ici, les gens se connaissent, comme dans un village. Six croisements avant Van Ness, l'une des deux grandes artères qui traversent la ville, elle passa la vitesse supérieure. Une lumière pâle, se chargeant de couleurs au fil des minutes, réveillait progressivement les perspectives éblouis-santes de la ville. Dans les rues désertes la voiture filait à vive allure. Lauren goûtait à l'ivresse de ce moment. Les pentes de San Francisco sont particulièrement propices à ces sensations de vertige.

Virage serré dans Sutter Street. Bruit et cliquetis dans la direction. Descente abrupte vers Union Square, il est six heures trente, la platine cassette déroule une musique lue à tue-tête, Lauren est heureuse, comme elle ne l'a pas été depuis fort longtemps. Chassés le stress, l'hôpital, les obligations.

Un week-end tout à elle s'annonce, et il n'y a pas une minute à perdre. Union Square est calme. Dans quelques heures les trottoirs déborderont de touristes et de citadins faisant leurs courses dans les grands magasins qui longent la place. Les cable-cars1 se succéderont, les vitrines seront éclairées, une longue file de voitures se formera à l'entrée du parking central enterré sous les jardins où des groupes de musique échangeront quelques notes et refrains contre des cents et des dollars.

En attendant, en cet instant très matinal le calme règne. Les devantures sont éteintes, quelques clo-chards dorment encore sur les bancs. Le gardien du parking somnole dans sa guérite. La Triumph avale l'asphalte au rythme des impulsions du levier de vitesses. Les feux sont au vert, Lauren rétrograde en seconde, pour mieux engager son tournant dans Polk Street, l'une des quatre rues qui bordent le square. Grisée, un foulard en guise de serre-tête, elle amorce son virage devant l'immense façade de l'immeuble de Macy's. Courbe parfaite, les pneus crissent légèrement, bruit étrange, succession de cliquetis, tout va très vite, les cliquetis se confondent, se mélangent, se disputent.

Claquement brusque ! Le temps se fige. Il n'y a plus aucun dialogue entre la direction et les roues, la communication est définitivement interrompue.

La voiture part de travers et dérape sur la chaussée encore humide. Le visage de Lauren se crispe. Ses mains s'accrochent au volant devenu docile, accep-tant de tourner sans fin dans un vide compromettant pour la suite de la journée. La Triumph continue de glisser, le temps semble prendre son aise et s'étirer tout à coup comme dans un long bâillement. Lauren a la tête qui tourne, en fait c'est le décor qui tourne autour d'elle, à une vitesse surprenante. La voiture s'est prise pour une toupie. Les roues viennent bru-1. Tramway utilisé à San Francisco.

talement buter contre le trottoir, l'avant se soulève et embrasse une bouche d'incendie. Le capot continue de se hisser vers le ciel. Dans un dernier effort l'automobile tourne sur elle-même, expulse sa conductrice, devenue beaucoup trop lourde pour cette pirouette qui défie les lois de la gravitation.

Le corps de Lauren est projeté en l'air, avant de retomber contre la façade du grand magasin. L'immense vitrine explose alors et se répand en un tapis d'éclats. Le drap de verre accueille la jeune femme qui roule sur le sol, puis s'immobilise, la chevelure défaite au milieu des débris, pendant que la vieille Triumph finit sa course et sa carrière, couchée sur le dos, à moitié sur le trottoir. Une simple vapeur qui s'échappe de ses entrailles et elle exhale son dernier soupir, son dernier caprice de vieille anglaise.

Lauren est inerte. Elle repose, paisible. Ses traits sont lisses, sa respiration lente et régulière. La bouche à peine ouverte, on pourrait y deviner un léger sourire, les yeux fermés, elle semble dormir. Ses longs cheveux encadrent son visage, sa main droite est posée sur son ventre.

Dans sa guérite le gardien du parking cligne des yeux, il a tout vu, « comme au cinéma », mais là

« c'est pour de vrai », dira-t-il. Il se lève, court au-dehors, se ravise et retourne sur ses pas. Fébrilement il décroche le téléphone et compose le 911. Il appelle au secours, et les secours se mettent en route.

Le réfectoire du San Francisco Hospital est une grande pièce au sol de carrelage blanc, aux murs peints en jaune. Une multitude de tables rectangu-laires en Formica sont dispersées le long d'une allée centrale qui conduit aux distributeurs de nourriture sous vide et de boissons. Le docteur Philip Stern somnolait allongé sur l'une de ces tables, une tasse de café froid dans sa main. Un peu plus loin, son coéquipier se balançait sur une chaise, le regard perdu dans le vide. Le beeper sonna au fond de sa poche. Il ouvrit un œil et regarda sa montre en râlant ; il finissait sa garde dans un quart d'heure.

« C'est pas possible ! Je n'ai vraiment pas de bol, Frank, appelle-moi le standard. » Frank attrapa le téléphone mural suspendu au-dessus de lui, écouta le message qu'une voix lui délivra, raccrocha et se retourna vers Stern. « Lève-toi, mon grand, c'est pour nous, Union Square, un code 3, il paraît que c'est sérieux... » Les deux internes affectés à l'unité EMS1 de San Francisco se levèrent, se dirigeant vers le sas où l'ambulance les attendait, moteur en route, rampe lumineuse étincelante. Deux coups brefs de sirène marquèrent le départ de l'unité 02.

Il était sept heures moins le quart, Market Street était totalement déserte, et la fourgonnette filait à vive allure dans le petit matin.

- Putain, et dire qu'il va faire beau aujourd'hui.

- Pourquoi râles-tu ?

- Parce que je suis claqué, que je vais dormir et je ne vais pas en profiter.

- Tourne à gauche, on va prendre le sens interdit.

Frank s'exécuta, l'ambulance remonta Polk Street vers Union Square. « Tiens, fonce, je l'ai en vue. »

Arrivés sur la grande place, les deux internes aper-1. L'EMS ou « Emergency Médical System » équivaut à notre « SAMU ».

curent d'abord la carcasse de la vieille Triumph, avachie sur la bouche d'incendie. Frank coupa la sirène.

- Dis donc, il ne s'est pas raté, constata Stern en sautant de la camionnette.

Deux policiers étaient déjà sur place, l'un d'eux dirigea Philip vers la vitrine défaite.

- Où est-il ? demanda l'interne à l'un des policiers.

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