Le ciel était sombre et profond, contrastant avec le paysage nu et exubérant dans sa débauche de couleurs. On aurait dit qu’ici la lumière obéissait à des lois différentes ; comme si la clarté ne descendait pas du ciel, mais montait de la terre, comme si l’arc-en-ciel était un phénomène terrestre et non pas aérien.
— J’ai froid, se plaignit Ariana.
Presque sans réfléchir, comme s’il obéissait à un instinct de mâle protecteur, Tomás s’approcha d’elle, ôta sa veste et la posa sur ses épaules. Puis il la pressa contre son corps. Un geste tendre et innocent, destiné à la réchauffer. Un geste qui déclencha bien autre chose. Il sentit sa peau douce, sa respiration plus rapide, le parfum de lavande dans ses cheveux. Il la regarda, vit ses lèvres s’entrouvrir et se pencha lentement, le corps frémissant de plaisir.
D’abord, ils s’embrassèrent tendrement, avec une infinie douceur, puis leur baiser devint gourmandise, comme s’ils en voulaient encore et encore, le premier contact timide se mua en une étreinte fougueuse, la tendresse se changea en désir, l’amour devint volupté.
Tomás sentit le gonflement de la poitrine d’Ariana contre son torse et, sans plus se contenir, il caressa la rondeur soyeuse de ses seins. Les mains d’Ariana se mirent à le déshabiller fébrilement. Tomás retroussa sa robe et se glissa entre ses cuisses brûlantes. Ariana se cambra dans un gémissement. L’ivresse de ses sens exacerbait les sensations dégagées par le corps d’Ariana, son parfum de lavande était plus grisant, le jaune de ses yeux plus doré, sa peau plus veloutée, la chaleur de son corps plus intense, sa bouche plus douce. Les montagnes, le lac, les couleurs, le froid, la lumière, tout cela disparut, se volatilisa devant l’intensité du moment.
L’univers se réduisait à présent à deux choses et seulement deux. Tomás et Ariana, le vert et le doré, le fer et le velours, les épines et la rose, la prose et la poésie, la voix et la mélodie, le ying et le yang, deux corps fondus en un seul, dissous sur la roche, unis dans un mouvement rythmé, une danse haletante et langoureuse, aux gestes coordonnés.
Toute l’éternité s’était condensée en un bref instant sans fin et Tomás sut que sa quête était achevée, que ces yeux étaient sa perdition, que ce corps était sa maison.
Que cette femme était son destin.
Shigatse apparut au détour d’un virage, c’était une longue enfilade de bâtiments aux fenêtres alignées et aux portails bleus. Tomás était au volant, Ariana sommeillait sur son épaule. Il ralentit, le 4x4 passa devant des rangées de pükhang , les maisons traditionnelles tibétaines en torchis badigeonné de chaux, avec leurs typiques fenêtres noires aux rideaux colorés et leurs drapeaux recouverts de prières fixés sur les toits, dans l’espoir d’attirer un bon karma. Ils s’engagèrent sur une grande avenue, flanquée de stations essence PetroChina et de murs rouges aux portes gardées par des sentinelles chinoises. Des arbres appelés gadjan jetaient de grandes ombres sur la route ; il y avait peu de voitures, mais on voyait circuler beaucoup de bicyclettes et quelques camions déchargeant leur cargaison.
Ariana se réveilla et observa à son tour la ville qui s’étendait dans la vallée. Considérant l’ampleur de l’avenue et la laideur des constructions, les deux amants conclurent qu’ils se trouvaient dans la partie chinoise de la ville. Ils s’arrêtèrent près d’un groupe d’hommes et Ariana baissa la vitre.
— Hôtel Orchard ? demanda Tomás, en se penchant sur elle.
— Uh ? répondit l’un d’entre eux.
De toute évidence, l’homme ne comprenait pas la question.
— Hôtel ?
L’homme pointa son doigt droit devant. Tomás le remercia et redémarra. Ils finirent effectivement par croiser un hôtel, mais ce n’était pas l’Orchard. Ariana sortit de la voiture et alla se renseigner à la réception.
Ils parcoururent les larges rues de la partie chinoise de Shigatse jusqu’à ce que les rues rétrécissent, signe qu’ils entraient dans le quartier tibétain. Une colline où se dressaient des ruines entourées d’échaffaudages signalait le Shigatse Dzong, le vieux fort de la ville, une structure qui ressemblait au magnifique Potala, mais plus petite et réduite à des décombres, sous les vents destructeurs de la répression chinoise.
Ils tournèrent à nouveau, longèrent une rue déserte et aperçurent une façade richement ornée, dont l’enseigne lumineuse annonçait Tibet Gang-Gyan Shigatse Orchard Hôtel .
Ils se garèrent devant l’hôtel et pénétrèrent dans le hall de la réception. Au centre se dressait une énorme table recouverte de dragons polychromes ; à gauche se trouvait une vitrine de souvenirs, à droite de confortables canapés noirs.
Derrière le comptoir de la réception, un jeune Tibétain, au teint hâlé, les accueillit avec un sourire.
— Tashi deleh , salua-t-il.
Tomás lui répondit en inclinant la tête.
— Tashi deleh . Il fit un effort pour se rappeler les instructions que Jinpa lui avait données au Potala. Je voudrais parler avec le bodhisattva Tenzing Thubten.
Le garçon eut l’air interloqué.
— Tenzing ?
— Oui, acquiesça Tomás. J’ai besoin que Tenzing me montre le chemin.
Le Tibétain parut hésiter un instant. Il regarda autour de lui, fixa de nouveau Tomás de ses yeux sombres, jeta un œil sur Ariana et, s’étant apparemment décidé, leur fit signe de s’installer sur les canapés du hall. Puis il s’empressa de sortir de l’hôtel et Tomás le vit traverser la rue et entrer dans le petit jardin de l’autre côté.
Un moine arriva à la porte de l’hôtel, conduit par le réceptionniste, et s’inclina devant les inconnus. Ils échangèrent les traditionnels tashi deleh et le Tibétain les pria de le suivre. Ils se dirigèrent vers un énorme monument religieux qui se dressait, splendide, juste en face, au pied d’une colline verdoyante ; les bâtiments blancs et rouges étaient coiffés de toits dorés, aux pointes incurvées à la manière des pagodes, avec des fenêtres noires qui regardaient la ville.
— Gompa ? demanda Tomás, employant le mot « monastère », qu’il avait mémorisé à Lhassa, tandis qu’il pointait l’édifice.
— La ong , acquiesça le moine, en rajustant son drap rouge autour de son corps. Tashilhunpo gompa .
— Tashilhunpo, dit Ariana. C’est le monastère de Tashilhunpo.
— Tu connais ?
— Oui, j’ai déjà entendu parler de ce monastère. Je crois que c’est ici qu’est enterré le premier Dalaï-Lama.
— Ah, oui ?
— Et c’est aussi le monastère où vit le Panchen-Lama.
— Qui c’est celui-là ?
— Le Panchen-Lama ? C’est le personnage le plus important du bouddhisme, après le Dalaï-Lama. Je crois que panchen signifie « grand maître ». Les Chinois cherchent à utiliser le Panchen-Lama pour affaiblir l’autorité du Dalaï-Lama, mais sans grand succès. On dit que le Panchen-Lama finit toujours par virer anti-chinois.
Le soleil frappait fort et l’air était sec. Un relent de déchets et d’urine flottait dans les rues, mais, à l’approche du monastère, l’odeur fétide fit place à la senteur parfumée de l’encens. Ils franchirent le portail et débouchèrent sur une grande cour intérieure donnant sur l’ensemble du monastère ; de là, on pouvait prendre la pleine mesure de la splendeur de l’édifice. Au pied de la butte où se dressait Tashilhunpo étaient groupés des bâtiments blancs, sans doute là où résidaient les moines, et au-dessus s’élevaient des pavillons rouges aux ostensibles toits dorés.
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