Un mouvement de clé dans la serrure surprit Tomás. Il n’avait pas entendu de bruit de pas, comme si quelqu’un s’était approché furtivement.
La porte s’ouvrit et Tomás leva la tête, cherchant à identifier le visiteur. Mais il était plongé dans l’ombre et l’inconnu n’avait pas de lampe.
— Qui est-ce ? demanda-t-il, assis sur la couverture tibétaine.
— Chut !
Un son émis dans un souffle précipité, mais sur un ton doux et familier. Il pencha la tête, écarquilla les yeux afin de discerner le moindre détail.
— Ariana ?
— Oui, chuchota la voix féminine. Ne faites pas de bruit.
— Que se passe-t-il ?
— Ne faites pas de bruit, implora-t-elle. Venez avec moi, je vais vous sortir d’ici.
Tomás ne se fit pas prier. D’un bond, il se leva et observa la silhouette avec attention.
— Et les autres ?
Il sentit le doux contact de la main d’Ariana.
— Chut. Suivez-moi en silence.
La main chaude d’Ariana serra la sienne et le conduisit vers la porte. Le prisonnier se laissa guider dans l’obscurité, tous deux marchaient à pas lents, presque à tâtons. Ils grimpèrent un escalier, traversèrent une cour, s’engagèrent dans un couloir chauffé et sortirent par une porte dérobée.
Tomás sentit l’air froid de la nuit frapper son visage et aperçut enfin de la lumière. Un lampadaire public dégageait une lumière jaunâtre qui laissait deviner les contours de la route, de la végétation alentour et d’un 4x4 sombre. Ils étaient à l’air libre. Ariana le prit par la main. Elle débloqua l’ouverture des portes et fit signe à Tomás de monter.
— Vite, murmura-t-elle. Dépêchez-vous avant qu’ils se réveillent.
Il faisait encore nuit quand ils quittèrent le secteur, roulant dans les rues poussièreuses de Lhassa, le bitume éclairé par les phares du 4x4 et les lampadaires clairsemés de la ville. Tomás se retourna et tout lui sembla calme, personne ne les suivait. Son attention fut attirée par le chargement à l’arrière du 4x4 ; il y avait des jerrycans d’essence, deux bidons d’eau et un panier apparement rempli de provisions. La fuite semblait avoir été soigneusement planifiée.
Le 4x4 vira à droite et prit la direction de l’ouest, vers l’aéroport, s’éloignant du centre-ville.
— Où allons-nous ? S’enquit-il.
— Nous allons d’abord sortir de la ville. C’est trop dangereux de rester ici.
— Attendez, s’exclama-t-il. Il faut que je passe à l’hôtel prendre mes affaires.
Ariana le regarda d’un air effrayé.
— Tomás, avez-vous perdu la tête ? Quand ils s’apercevront de notre disparition, c’est le premier endroit où ils iront, que croyez-vous ? Elle fixa de nouveau la route. D’ailleurs, l’un des réceptionnistes est payé pour nous informer de tous vos faits et gestes. Il est donc hors de question d’aller à votre hôtel.
— Alors, où allons-nous ?
Ariana pressa brusquement la pédale de frein et le 4x4 grinça jusqu’à s’arrêter sur le bord de la route, près d’une station essence PetroChina. Ariana laissa les phares allumés et tira le frein à main, avant de se tourner vers son passager.
— C’est à vous de me le dire Tomás.
— Comment ça, c’est à moi ? C’est vous qui avez organisé cette évasion, pas moi.
L’Iranienne soupira.
— Tomás, cette évasion ne mènera nulle part si nous ne sommes pas conséquents.
— Que voulez-vous dire ?
— Je veux dire qu’il ne suffit pas de fuir. Où que nous allions, ils nous retrouveront. Aujourd’hui, demain, la semaine prochaine, dans un mois ou dans un an, peu importe. Ils nous rattraperont, vous comprenez ?
— Et alors ? Que suggérez-vous ?
— Je suggère de leur prouver qu’ils n’ont pas de raisons de nous poursuivre.
— Et comment pourrions-nous le leur prouver ?
— Hier, vous m’avez donné une idée, dit-elle, ses yeux caramel luisant dans l’obscurité. Vous avez dit que le manuscrit d’Einstein n’avait rien à voir avec les armes nucléaires ?
— Oui.
— Est-ce bien vrai ?
— Je suis convaincu que oui, mais c’est vous qui avez lu le manuscrit. De quoi parle-t-il ?
Ariana secoua la tête et fit une moue.
— C’est un texte très étrange. Nous n’avons pas vraiment compris ce qu’il voulait dire. Mais Einstein indique clairement le moyen de provoquer la grande explosion. Il a écrit « See sign » et ensuite la formule codée en six lettres, divisée en deux éléments et précédée d’un point d’exclamation. Il y a si peu de lettres que je les ai toutes mémorisées. « ! Ya ovqo », récita-t-elle. Eh bien, je ne pense pas qu’une formule aussi importante puisse être aussi courte. C’est pourquoi nous pensons qu’il s’agit d’une clé qui donne accès à la seconde partie du manuscrit.
— Hmm… Je vois.
— Vraiment, insista Ariana, vous pensez que ce n’est pas la formule de la bombe atomique ?
— Écoutez, je n’en suis pas certain, dit-il prudemment. Mais je crois que non.
— Alors, il ne nous reste qu’une chose à faire.
— Quoi ?
— Il faut leur en apporter la preuve.
— La preuve ?
— Il faut leur apporter la preuve que le manuscrit ne cache pas le secret d’une bombe atomique facile à concevoir. C’est bien ce qu’ils cherchent, non ? Si nous leur prouvons que cette recherche est sans issue, ils nous laisseront en paix.
— Je comprends.
Il y eut un long silence dans la voiture.
— Alors ? demanda Ariana.
Tomás soupira.
— Alors, allons-y.
— Mais peut-on le prouver ?
— Je ne sais pas. On peut toujours essayer.
— Très bien, dit-elle. Alors, qu’est-ce qu’on fait ?
— On part.
— On part où ?
Tomás ouvrit la boîte à gants du 4x4 et trouva une carte du Tibet. Il la déplia, l’examina quelques secondes et posa son doigt sur un point à environ deux cents kilomètres à l’ouest de Lhassa.
— Shigatse.
Le soleil se leva au loin. Un éclat qui d’abord éclaira le ciel étoilé et aussitôt après, surgissant de l’horizon sombre, une lumière cristalline, annonçant l’aurore.
La clarté du matin révéla un paysage superbe, mais prévisible ; des montagnes arides, enneigées et escarpées encerclaient la route, s’ouvrant parfois en vallées verdoyantes, pittoresques, d’une sérinité contagieuse. Ils virent des troupeaux de moutons en train de paître, un nomade qui passait, un yack chargé de paquets, une tente plantée au sol, un tracteur et une charrette avançant lentement dans un champ ; pour l’essentiel, la nature était encore intacte, sauvage, évoluant au rythme millénaire de ce vaste plateau semblant dominer le monde.
Tomás était fatigué, mais aussi trop nerveux et excité pour pouvoir se reposer. Il ressentait une certaine méfiance à l’égard d’Ariana et, après un long silence, il décida de dissiper ses doutes.
— Qu’est-ce qui me dit que vous ne me menez pas en bateau ?
Ariana, qui jusque-là fixait la route, écarquilla ses grands yeux.
— Pardon ?
— Comment puis-je être sûr que vous n’êtes pas en train de me leurrer encore une fois ? Après tout, vous m’avez organisé une belle supercherie à Téhéran…
L’Iranienne ralentit et le regarda dans les yeux.
— Vous pensez vraiment que je cherche à vous tromper, Tomás ?
— Eh bien… Ce ne serait pas la première fois ! Qu’est-ce qui me dit que tout ça n’est pas encore une mise en scène montée avec la complicité du… colonel Dracula ?
Ariana fixa à nouveau la route.
— Je comprends que vous ayez des doutes, dit-elle. C’est parfaitement normal étant données les circonstances. Mais, maintenant, vous pouvez être sûr qu’il n’y a aucune mise en scène.
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