— Que la lumière soit ? murmura-t-il enfin. Je ne comprends pas…
Tomás se pencha en avant, approchant son visage excité de la face opaque de l’Américain.
— C’est la preuve biblique de l’existence de Dieu. « Que la lumière soit ! »
Son interlocuteur secoua la tête, toujours sans comprendre.
— Excusez-moi, mais ça n’a pas de sens. Comment cette expression peut-elle prouver l’existence de Dieu ?
Le cryptologue soupira, agacé.
— Écoutez, Greg. L’expression en elle-même ne prouve pas l’existence de Dieu. Elle doit être interprétée dans le contexte des découvertes faites dans le domaine de la science. C’est la véritable raison pour laquelle Einstein n’a pas voulu divulguer son manuscrit. Il savait que cet énoncé biblique ne suffisait pas, il fallait une confirmation scientifique. Il se cala dans son siège et écarquilla les yeux, dans une excitation croissante. Cette confirmation existe à présent. Cette confirmation montre que la Bible, aussi incroyable que cela puisse paraître, renferme des vérités scientifiques profondes. C’est dans ce sens que l’expression « Que la lumière soit ! » prouve l’existence de Dieu.
— Excusez-moi, mais je ne vois toujours pas de preuve. Expliquez-moi ça plus clairement.
— Très bien, s’exclama Tomás, en se massant le visage du bout des doigts tandis qu’il remettait de l’ordre dans ses pensées. Il inspira profondément et fixa son interlocuteur. La Bible dit que l’univers a commencé par une explosion de lumière, vous êtes d’accord ? « Dieu dit : que la lumière soit ! Et la lumière fut ».
— Oui.
— Einstein pensait que cet énoncé biblique était vrai. Quelques années après sa mort, la découverte de la radiation cosmique de fond a apporté la preuve que l’hypothèse du Big Bang était correcte. L’univers est bien né d’une sorte d’explosion initiale, ce qui signifie que la bible avait raison : tout a commencé quand la lumière se fit.
— Oui.
— La question est alors de savoir quelle entité a obligé la lumière à se faire.
— Vous voulez parler de Dieu…
— Appelez-la Dieu si vous voulez, peu importe le nom. Ce qui compte est la chose suivante : l’univers a commencé avec le Big Bang et va se terminer avec le Big Freeze ou avec le Big Crunch. Einstein soupçonnait que ce serait le Big Crunch.
— Ce qui est le Big Bang à l’envers.
— Exact, confirma Tomás. Il se pencha à nouveau en avant, très excité. À présent, écoutez bien. La révélation du principe anthropique, associée à la découverte que tout est déterminé depuis le commencement des temps démontre qu’il y a eu une intention de créer l’humanité. Le mystère est de savoir pourquoi. Pour quelle raison avoir créé l’humanité ? Quel est le but ? Pourquoi diable sommes-nous ici ? Pour quelle raison avons-nous été créés ?
— Ce sont là des mystères insondables…
— Peut-être qu’ils ne sont pas aussi insondables que cela.
— Que voulez-vous dire ? Y aurait-il des réponses à ces questions ?
— Bien sûr que oui. Il agita la feuille griffonnée, avec la ligne « Yehi or ! » clairement visible sur le papier. La réponse est inscrite ici dans la formule de Dieu. « Que la lumière soit ! » Einstein a conclu que l’humanité n’était pas l’ endgame de l’univers mais un instrument pour atteindre cet endgame .
— Un instrument ? Je ne saisis pas.
— Regardez l’histoire de l’univers. L’énergie génère la matière, la matière génère la vie, la vie génère l’intelligence. Il fit une pause. Et l’intelligence que va-t-elle générer ?
— Je n’en ai aucune idée.
— En identifiant le « Que la lumière soit ! » avec la formule divine, Einstein a été le premier à répondre à cette question.
— Ha, oui ? Et qu’en a-t-il conclu ?
— Dieu.
— Quoi ?
— L’intelligence génère Dieu.
Greg fronça les sourcils et secoua la tête.
— Je ne suis pas sûr de vous suivre…
— C’est très simple, murmura Tomás. L’humanité a été créée pour développer une intelligence encore plus sophistiquée qu’une intelligence biologique. L’intelligence artificielle. Les ordinateurs. Dans plusieurs centaines d’années, les ordinateurs seront plus intelligents que l’homme et dans quelques millions d’années, ils seront en mesure d’échapper aux changements cosmiques qui provoqueront la fin de la vie biologique. Les êtres vivants basés sur l’atome de carbone ne seront pas viables dans plusieurs millions années, lorsque les conditions cosmiques se modifieront, mais les êtres vivants basés sur d’autres atomes pourront l’être. Ce sont les ordinateurs. Ils vont se répandre aux quatre coins de l’univers et, établis en réseaux dans quelques milliers de millions d’années, ils deviendront une seule identité, omnisciente et omniprésente. Le grand ordinateur universel sera né. Le problème, c’est que sa survie sera menacée par le Big Crunch. Le grand ordinateur universel sera alors placé face à ce problème : comment échapper à la fin de l’univers ? La réponse apparaîtra d’une manière terrible. Il fit une pause. Il n’y a pas d’échappatoire, la fin est inexorable.
— Alors tout sera fini.
Tomás sourit, malicieux.
— Pas exactement. Il existe un moyen pour que le grand ordinateur universel puisse survivre.
Le cryptologue s’arrêta, comme s’il voulait créer un suspens.
— Lequel ? s’enquit l’Américain.
— Le grand ordinateur universel devra contrôler en détail la manière dont le Big Crunch se produira. Il devra tout contrôler selon une formule qui lui permettra de recréer le même univers après le Big Crunch, de sorte que tout puisse à nouveau exister. Tout, y compris lui-même.
— Tout recréer ?
— Oui, le grand ordinateur universel va disparaître avec le Big Crunch, mais, entre-temps, il concevra une formule qui lui permettra de réapparaître dans le nouvel univers. Cette formule impliquera une distribution de l’énergie d’une telle précision qu’elle permettra que réapparaissent dans le nouvel univers la matière, puis la vie et finalement l’intelligence, pour appliquer à nouveau le principe anthropique.
— Et quelle sera cette formule ?
Tomás haussa les épaules.
— Nous l’ignorons, c’est quelque chose de si complexe que seule une super intelligence pourrait la concevoir. Mais la formule existera un jour et sa conception est métaphoriquement inscrite dans la Bible.
— « Que la lumière soit ! » chuchota Greg, les yeux brillants.
— Tout à fait. Tomás sourit. « Que la lumière soit ! » Il inclina la tête. La formule de Dieu.
— Attendez un moment, coupa l’Américain, en levant les mains comme quelqu’un demande une pause. Vous insinuez que Dieu est un ordinateur ?
— Toute intelligence est informatique, répliqua le cryptologue sur un ton condescendant. C’est une chose que m’ont apprise les physiciens et les mathématiciens. Il tapota son doigt sur son front. L’intelligence est informatique. Les êtres humains, par exemple, sont des sortes d’ordinateurs biologiques. Une fourmi est un ordinateur biologique simple, nous sommes plus complexes. C’est la seule différence.
— Cette définition me semble un peu tirée par les cheveux….
Tomás haussa les épaules.
— Si cela vous gêne qu’on l’appelle grand ordinateur universel, nous pouvons aussi l’appeler… Je ne sais pas… intelligence créatrice, grand architecte, entité supérieure, ce que vous voudrez. Peu importe le nom. Ce qui importe, c’est que cette intelligence est le noyau de tout.
— Je vois.
— Einstein a conclu que l’univers existe pour créer l’intelligence qui générera le prochain univers. Tel est le software de l’univers, tel est l’e ndgame de l’existence. « Que la lumière soit ! » est une métaphore biblique pour la formule de la Création de l’univers, la formule que le grand ordinateur universel devra appliquer quand se produira le Big Crunch, la formule qui provoquera un nouveau Big Bang et qui recréera tout. Tout, y compris Dieu. Le but ultime de l’univers est de recréer Dieu et nous ne sommes que l’instrument de cet acte.
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