Greg jeta un œil et vit le message.
— Excusez-moi, mais qu’est-ce que c’est ?
— C’est la formule codée.
— J’avais compris. Mais où est le message déchiffré ?
Tomás indiqua la première ligne.
— Vous voyez ce See sign ?
— Oui.
— C’est une anagramme. En changeant l’ordre des lettres, on découvre que See sign se transforme en Genesis . Autrement dit, Einstein a voulu dire : See the sign in Genesis . C’est-à-dire : « Regardez le signe dans la Genèse ».
— Le signe dans la Genèse ? Quel signe ?
Le cryptologue serra les lèvres.
— En effet, c’est le problème. Quel signe ?
Il désigna du doigt le ! ya ovqo de la seconde ligne.
— Cette formule finale devrait répondre à cette question. Il ne s’agit pas d’une anagramme, mais d’un code par substitution, ce qui complique beaucoup les choses car il faut une clé pour le déchiffrer. On m’a dit que la clé était le nom d’Einstein, ce qui supposait un code de type César. Mais toutes mes tentatives avec le code de César et le nom d’Einstein se sont révélées infructueuses.
— Et quelle est la tentative qui a réussi ?
Tomás prit un air embrassé.
— Eh bien… aucune n’a réussi.
— Pardon ?
— Aucune n’a réussi.
Greg afficha une mine perplexe.
— Excusez-moi, mais vous vous moquez de moi ? Vous n’avez toujours pas décodé le message ?
— Non.
Une rougeur d’irritation monta au visage de l’Américain.
— Bon Dieu Tomás ! Que m’avez-vous raconté au téléphone ? Ne m’avez-vous pas dit que vous aviez réussi ? Hein ? Que vous aviez trouvé la clé ?
— En effet.
— Et alors ? Qu’est-ce que je fais ici ?
Tomás sourit pour la première fois ce jour-là, particulièrement satisfait d’avoir irrité son interlocuteur.
— Vous êtes ici pour assister au déchiffrage du code.
Greg cligna des yeux, interloqué.
— Excusez-moi, je ne comprends pas.
— Écoutez, j’ai trouvé la clé, soyez tranquille. Le problème, c’est qu’avec la mort de mon père, je n’ai pas encore eu le temps, ni l’humeur pour déchiffrer le code, vous comprenez ?
— Ah… OK.
— Nous allons le déchiffrer maintenant, d’accord ?
— Très bien.
Tomás tira une enveloppe de sa poche, son papier était jauni par le temps, et son cachet déchiré. Il glissa ses doigts à l’intérieur et en sortit une petite feuille également jaunie. Au recto de la feuille figurait la référence Die Gottesformel avec la signature d’Einstein dessous, et au verso apparaissait une suite de lettres griffonnées à l’encre.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Greg avec une grimace.
— C’est la clé.
— La clé du code ?
— Oui. Il se redressa. Il semblerait qu’Einstein ait remis au professeur Siza le manuscrit intitulé Die Gottesformel , à la condition que son disciple ne le rende public que s’il parvenait à découvrir une seconde voix scientifique pour prouver l’existence de Dieu. Il va de soi que l’auteur des théories de la relativité ne voulait pas se couvrir de ridicule. Il lui fallait une preuve qui confirme ce qu’il avait découvert par son analyse relativiste des six jours de la Création ; il désigna le feuille froissée avec les deux lignes codées. Il prit la précaution supplémentaire de coder la formule de Dieu. Le problème, c’est que le code était complexe et qu’il craignait qu’on ne puisse le déchiffrer. Il glissa alors la clé dans une enveloppe et la cacheta, avant de la remettre au professeur Siza à la condition qu’il ne l’ouvre qu’après avoir découvert la seconde voie. Il agita la note qu’il avait sortie de l’enveloppe cachetée. Or, les hommes du Hezbollah qui ont enlevé le professeur et emporté le manuscrit à Téhéran ne connaissaient pas l’existence de cette enveloppe. Le collaborateur du professeur Siza, le professeur Luís Rocha, ne connaissait pas non plus l’histoire de cette enveloppe, mais il savait que son tuteur lui attachait beaucoup d’importance, aussi, craignant que les voleurs reviennent pour la chercher, il l’a remise à mon père.
— C’est votre père qui l’avait ?
— Oui, je ne l’ai appris qu’au cours de notre dernière conversation ; mon père était très ami avec le professeur Siza, dont il était le collègue à l’université de Coimbra, c’est pourquoi le professeur Luís Rocha avait pensé que l’enveloppe serait en sécurité entre les mains de mon père.
— Et votre père savait de quoi il s’agissait ?
— Non, il n’en avait pas la moindre idée. Comme c’était un homme très curieux, il avait décacheté l’enveloppe et regardé à l’intérieur. Il montra le côté de la feuille où se trouvait la signature d’Einstein. Il avait compris qu’il s’agissait d’une note écrite de la main d’Einstein, ainsi que le prouve cette signature, mais il avait pensé qu’il ne s’agissait que d’une simple relique, rien d’important.
— Je vois.
— C’est par hasard qu’il m’en a parlé, élucidant ainsi le mystère.
— Par hasard ? demanda Greg. Cela existe ?
Tomás sourit.
— Vous avez raison, il n’y a pas de hasard. C’était prédestiné.
L’Américain avala une gorgée de whisky.
— OK, c’est une jolie histoire, s’exclama-t-il. Et maintenant ?
— Et maintenant nous allons déchiffrer le message.
— Parfait !
Tomás indiqua le mot en haut de la feuille avec la clé.
— Vous voyez ce nom ?
— Alberti ?
— Oui.
— Qu’est ce qu’il a ?
— C’est une idée intelligente, vous savez ? Einstein joue ici avec son propre prénom, Albert. Un profane penserait qu’il s’agit là d’une simple référence italianisée à son prénom, mais un cryptologue remarque aussitôt qu’il s’agit de bien d’autre chose.
— Ha, oui ? Quoi ?
— Léon Battista Alberti était un artiste florentin du XV esiècle. Ce fut un imminent personnage de la Renaissance italienne, une sorte de petit Leonard de Vinci. Il était philosophe, compositeur, poète, architecte et peintre, auteur de la première analyse scientifique de la perspective, mais aussi d’un traité sur la mouche domestique. Il sourit. C’est lui qui a conçu la première fontaine de Trévise de Rome. Greg secoua la tête et incurva ses lèvres.
— Je n’en ai jamais entendu parler.
— Peu importe, dit le cryptologue avec un geste vague. Un jour, Alberti se promenait dans les jardins du Vatican, lorsqu’il rencontra l’un de ses amis qui travaillait pour le Pape. Leur conversation se porta sur quelques points intéressants de cryptographie et incita Alberti à préparer un essai sur la question. Enthousiasmé, Alberti proposa un nouveau type de code. Son idée était d’utiliser deux alphabets codés, où chaque lettre alterne entre l’un et l’autre alphabet, de manière à confondre les cryptologues. C’était une idée géniale, dans la mesure où cela impliquait que la même lettre du texte original n’apparaissait pas nécessairement avec la même lettre de l’alphabet codé, ce qui compliquait le déchiffrage.
— Je ne comprends pas.
Tomás redressa la feuille avec la clé et indiqua les lignes avec les alphabets.
— C’est simple, dit-il. La première ligne correspond à l’alphabet normal. Les deux lignes en-dessous représentent les alphabets codés. Imaginez que je veuille écrire aacc . La lettre du premier alphabet codé correspondant au a est f et celle correspondant au c est b . Et dans le second alphabet codé il s’agit respectivement des lettres g et x . Si bien que le message aacc , déchiffré à travers ce système, devient fgbx , vous me suivez ? En faisant alterner le message original entre les deux alphabets, il n’y a pas de répétitions de lettre, ce qui complique le décodage.
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