Voilà donc les fous dangereux du terrible bâtiment UMD?
Lucrèce s'empare de la souris baptisée Coué et la dépose dans un labyrinthe à épreuves.
Emile Coué, c'est l'inventeur de la méthode Coué?
– En effet. Il prétendait que si quelqu'un se répète mille fois: «Je vais gagner», il finirait par gagner. Sa méthode est
à la base de l'autosuggestion et donc de l'hypnose.
La petite souris se faufile au travers du labyrinthe et arrive au levier qu'elle abaisse avec détermination.
Lucrèce et Isidore choisissent une autre souris et la place face à une serrure à code.
En quelques secondes la porte s'ouvre.
–Umberto avait raison. Ces souris sont beaucoup plus intelligentes que la moyenne.
–Des super-souris…
–Des petits «Fincher» souris…
Confrontées aux différentes épreuves, les souris accomplissent des acrobaties, se faufilent dans des tubes transparents, nagent, sautent, trouvent des raccourcis. Les deux journalistes restent captivés par l'aisance et l'intelligence de ces cobayes.
Isidore montre une porte. Lucrèce sort son sésame et l'ouvre. Nouvelle salle. Elle ressemble à une salle d'opération. Deux ombres surgies de nulle part s'étirent derrière eux.
– On visite? s'enquiert une voix de baryton.
Lucrèce se retourne et aussitôt reconnaît le visage.
– Heu… celui de droite, c'est Takashi Tokugawa, surnommé le Japonais cannibale… dit-elle.
Comme pour confirmer ses dires, il fouille dans ses poches et brandit un couteau de cuisine.
– Celui de gauche est moins célèbre mais tout aussi redoutable, précise Isidore. C'est Pat l'étrangleur.
En signe d'approbation, l'homme fait claquer un épais lacet de cuir qu'il tient par les deux bouts.
– On voit ces types à la télé, mais ensuite il faut bien les mettre quelque part, remarque Lucrèce. Pas de chance, c'est
ici…
– Charybde et Scylla, les deux derniers monstres qu'affronta Ulysse.
Isidore saisit une chaise pour tenir leurs adversaires à distance. Lucrèce, de son côté, essaie d'ouvrir la porte du fond.
– Couchés, les fauves, couchés! lance Isidore pendant que Lucrèce travaille cette nouvelle serrure.
Enfin le pêne cède. Les deux journalistes se précipitent, referment la grosse porte blindée derrière eux, et tirent les verrous. De l'autre côté, les deux hommes tapent de toutes leurs forces.
– Ne vous inquiétez pas, la porte tiendra. Elle a l'air sacrement solide.
Ils inspectent cette nouvelle pièce qui ressemble à un bureau. Lucrèce ouvre les tiroirs. Isidore, lui, regarde les murs décorés d'une fresque immense d'après une œuvre célèbre de Salvador Dali. Y est inscrit: «Apothéose d'Homère». A droite, une femme nue, une pierre gravée en hébreu, une trompette, une langue, une clef, une oreille collée à un panier; au centre, un homme avec un fouet fait sortir trois chevaux de l'eau; à gauche, une sculpture d'Homère. Sur son front une fente laisse sortir des fourmis.
– Ce tableau est incroyable, il est tellement complexe, dit Isidore.
– A nouveau Ulysse. Homère. Dali… Il doit y avoir un lien.
– C'est peut-être une motivation qu'on a oubliée. Les mythes fondateurs, les grands archétypes de l'histoire de l'humanité.
Lucrèce sort son calepin.
– Les mythes fondateurs… Je le rajoute?
– Non. Cette motivation est souvent comprise dans la religion.
– Et là, Ulysse… Quelqu'un a aimé ce mythe et s'est arrangé pour faire rentrer le monde réel dans ce récit imaginaire. L'esprit crée le réel.
De sa main, Isidore parcourt le tableau peint sur le mur. II appuie sur le visage d'enfant qui remplit la bouche d'Homère, promène ses doigts sur le tableau, appuie sur l'inscription en hébreu gravée dans une pierre. Puis sur la clef. Rien.
Lucrèce, comprenant le travail de son collègue, presse la fente du cerveau d'Homère.
– Trop simple, murmure Isidore.
Ils continuent de parcourir l'immense fresque.
– Vous pensez qu'un mécanisme secret se dissimule derrière un élément du tableau? demande la jeune femme en appuyant sur le téton nu du buste d'Homère.
– Qui sait? répond Isidore.
Son doigt suit la trompette et dévoile un visage peint en trompe-l'œil. Lucrèce palpe chaque élément de la fresque.
Il ne se passe rien. Isidore est alors attiré par un détail du tableau; des ailes brisées posées en haut à gauche sur une île.
– Les ailes d'Icare, dit-il, rêveur. Il s'est approché trop près du soleil et il a chuté… Aurait-il pressenti sa fin?
Le gros journaliste frôle les ailes de plumes. Un feulement se fait entendre. Une petite trappe s'ouvre. A l'intérieur, une boîte dans laquelle ils découvrent un écrin de velours rouge contenant une petite pilule d'un demi-centimètre de long reliée par un fil à une plaque guère plus large.
– L'Ultime Secret…
Lucrèce approche sa lampe de poche. L'objet ressemble à un petit insecte sans pattes, mais ils savent que c'est l'émetteur d'électricité qu'il faut implanter dans le cerveau pour faire connaître le plaisir absolu à son propriétaire.
– C'est rudement bien miniaturisé.
Isidore saisit l'objet avec précaution et le pose sur son index.
– Voilà sans doute ce qu'a découvert Giordano en ouvrant le cerveau de Fincher.
– Et ce pourquoi il a certainement été tué.
Ils considèrent le minuscule émetteur, presque effrayés par le pouvoir qu'il recèle.
Foutu.
Le cavalier noir s'était introduit dans la citadelle du roi blanc, comme le cheval d'Ulysse dans la ville de Troie. Le joueur russe vérifia qu'il ne restait plus aucune échappatoire puis coucha son roi en signe de reddition. Il avait perdu plusieurs kilos depuis le début de la partie. Il était en nage. Sa chemise était poisseuse de sueur. Ses cheveux s'agglutinaient et tout son visage n'était que le reflet de son humiliation.
C'était la dernière partie et l'ancien champion du monde avait été battu cinq à un. Une vraie «leçon».
Les échecs sont un jeu cruel, se dit Samuel Fincher.
Dans les yeux de Léonid Kaminsky s'inscrivit un profond désespoir.
Le roi Priam a été battu par Ulysse.
Ils se serrèrent la main.
Applaudissements mitigés. Le public n'aime pas les outsiders.
Peu importe. Samuel Fincher avait remporté le match. Il était désormais le meilleur joueur humain du monde.
Le Russe retenait ses larmes. Son manager fit mine de le soutenir sportivement, mais il finit par tancer vertement son poulain dans un russe empli de points d'exclamation.
Chez les loups, le vaincu pose sa tête sous le ventre du vainqueur pour lui signaler qu'il peut lui uriner dessus. Ici c’est l'allié du loup vaincu, son coach, qui s'en chargerait.
Le neuropsychiatre aurait voulu le consoler.
Je regrette mais il faut que ce soit le meilleur d'entre nous qui affronte la machine.
Samuel Fincher monta sur l'estrade et s'appuya au pupitre.
– Je dédie ce match à Ulysse, dit-il à l'assistance, l'homme dont la ruse a inspiré mon jeu. Et je voudrais dire aussi que… (Non rien, il est trop tôt pour parler. Plus tard.) Non, rien. Merci.
Les flashes des appareils photo crépitèrent.
Maintenant il lui restait à affronter Deep Blue IV, le meilleur joueur d'échecs «toute intelligence terrienne confondue».
Un choc violent. La porte est défoncée par le cannibale et l’étrangleur équipés d'un banc de métal comme bélier. Ils laissent passer quelqu'un derrière eux. Une vieille dame apparaît. Elle intime aux deux brutes de déguerpir.
Lucrèce la reconnaît. C'est la vieille dame atteinte de la maladie de Parkinson qui voulait l'heure lors de leur première visite.
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