Ramon. J'ai dû mal refermer la porte puisque Ramon est là, dans l'ombre du couloir, les yeux fixés sur moi.
Ramon a dans les vingt-cinq ans. Le bain m'a ramollie. Le silence, la tranquillité, la douceur de l'éclairage – j'ai décidé un jour que l'endroit où je me déshabillais se contenterait d'une ampoule de vingt watts – ont éloigné ma mauvaise humeur. Je m'aperçois même, en fait, que je me trouve dans les meilleures dispositions du monde. Ramon est en train de se rincer l'œil. Soit. Mais est-ce que ça me fiche en colère? Ai-je envie de l'envoyer promener comme je le fais d'habitude? Je ne sais pas.
Je le regarde. Je prends un air vague. Il est plutôt pas mal, physiquement, maintenant que je le regarde pour de bon. Maintenant que je vois que les femmes aussi l'intéressent. Alors bien sûr, je me sens flattée. Ça fait du bien de voir qu'un jeune gars en pleine forme a une idée derrière la tête, en ce qui vous concerne. Ça fait un bien énorme, quelquefois. D'ailleurs, c'est exactement ce dont j'avais besoin. Maintenant que j'y pense.
Je me redresse dans mon bain, je m'assois. S'il aime les gros seins, il est servi.
«Tu fais quoi, Ramon? Tu attends l'autobus?»
Les jeunes, il faut parfois les secouer.
J'ai pris une grande serviette que je suis allée étendre sur le tapis du salon. Je lui ai dit que c'était comme ça, qu'il n'y avait pas à discuter, que je ne faisais pas ça dans la chambre – mais il était si excité que j'aurais pu lui proposer le placard à balais ou le rebord de la fenêtre. Bonne fille, j'ai accepté que nous commencions l'exercice dans un fauteuil et il m'a coincé les jambes sur les accoudoirs. Mon gros corps blanc dans la nuit bleutée. Franchement, j'étais perplexe.
Plus tard, j'ai repris un bain. J'avais des rougeurs sur tout le corps, comme si je sortais d'une séance de lutte, des rougeurs cuisantes. J'étais épuisée. Couverte de sueur et de machin séché des pieds à la tête, mais à égalité, il me semble. Je lui avais montré que je pouvais très bien m'échauffer moi aussi, et lui arracher une grimace, l'empoigner par les cheveux ou le clouer au sol pour le baiser. Qu'est-ce qu'il croyait? Que j'allais encore à l'école? Je m'étais bien défoulée. Je dois le reconnaître. J'y avais pris un certain plaisir, j'avais évacué des tensions, comme on dit. Je dois le reconnaître. Mais je ne ferais pas ça tous les jours.
Il était sans doute en train de boire une bière à ma santé, affalé avec ses colocataires qui le pressaient de fournir des renseignements sur la taille de ma chatte et si je me laissais prendre par-derrière ou si j'avalais. Je voyais très bien le tableau. Mais bon. Rien de très original. J'espérais même qu'ils s'amusaient bien et qu'ils apprenaient quelque chose. J'aurais voulu être là. À écouter leurs conneries. Ne pas avoir à penser à des trucs plus sérieux. Me laisser baiser par les deux autres. Comme cette femme. Catherine Millet. Vous avez vu ça? Elle va pas bien, ou quoi? Elle a un problème?
Ramon a une espèce de bite courbée, si vous voulez savoir. J'en avais entendu parler mais j'en avais encore jamais vu. Il faudra que j'en parle à Franck. Il faudra que nous échangions nos idées. Sur la question. On va pouvoir échanger nos impressions sur la question. Non? Enfin, rien que d'y penser, ça me rend malade. Alors je vais manger quelque chose.
J'ai une faim de loup. Mes poils se hérissent quand je m'approche du frigidaire. Vous le saviez pas? Vous vous en doutiez pas? Mes poils se tortillent de plaisir, mes cuisses se frottent l'une contre l'autre, la bave me coule du menton. Vous le saviez pas?
Il y a un reste de raviolis que je place aussitôt dans le micro-ondes.
Marie-Jo a une petite mine. Franck aussi a une petite mine – son visage est de toutes les couleurs.
Je les ai emmenés prendre un brunch au bord du fleuve – on nous a placés à l'écart afin que Franck n'aille pas effrayer les enfants avec sa tête d'accidenté de la route et ses yeux injectés de sang.
Marie-Jo a prétendu qu'elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit, à cause de toute cette histoire, et que je devais cesser de la regarder comme si je ne l'avais jamais vue. Franck pensait qu'une de ses incisives était déchaussée car il peinait à mordre dans un croissant frais et même dans du blanc d'œuf.
Quant à moi, j'étais en forme. Paula était passée de bon matin et s'était mise à faire le ménage et la vaisselle pendant que je travaillais mes abdos devant la fenêtre ouverte. Je ne lui avais rien demandé du tout. Et comme je ne lui avais rien demandé du tout, je n'ai fait aucun commentaire sur le résultat de l'opération, je ne lui ai pas donné mon sentiment sur la manière dont elle utilisait l'apirateur – on aurait dit qu'elle errait dans le brouillard depuis trois jours – ou faisait la vaisselle – mais peut-être était-ce la première fois qu'elle lavait une assiette à mains nues. Comme je l'observais, après avoir sauté à la corde dans mon salon désert, puis exécuté une centaine de pompes afin de payer d'avance mes excès du soir, elle a proposé de me faire couler un bain, de me masser les épaules, et pour finir, de me frictionner avec un gant. Ou même sans gant, si je préférais. Je lui ai répondu gentiment que ce n'était pas la peine.
Elle a déclaré qu'elle finirait par m'avoir à l'usure. J'ai pris le temps de lui expliquer que la vie d'un policier était pleine de dangers et d'incertitudes, si bien qu'aucune femme un peu sensée n'irait chercher à nouer une relation durable avec un représentant de la loi qui couchait avec sa coéquipière.
«Je le crois pas.
– Tu ne crois pas quoi?
– Que tu couches avec elle.
– Voyons, Paula. Pourquoi tu ne le croirais pas?
– Marc m'a dit que c'était des conneries.
– Eh bien, je peux te jurer que je couche avec elle. Ça ne fait aucun doute.
– Avec cette énorme fille?
– Cette fille avec ses yeux verts. Magnifiques. Tu as remarqué? À propos, j'aimerais que tu arrêtes de me suivre. Hein, qu'en dis-tu? Je ne sais pas, tu n'as rien de mieux à faire de tes journées? J'entends, à part dormir?»
Je la soupçonnais d'utiliser mon lit quand je n'étais pas là. J'avais trouvé une boîte de somnifères dans ma poubelle. Avant de sortir, je lui ai dit que je ne portais pas de jugement sur elle. Je lui ai dit que je retirais ce que j'avais dit dans la mesure où personne ne pouvait prétendre qu'il y avait mieux à faire que de dormir dans la journée. Je tenais à ce que nous soyons bien d'accord là-dessus.
Marie-Jo avait la tête d'une femme qui vient de tromper son amant. Quant à Franck, il tripotait sa dent avec une grimace attristée, deux de ses doigts recroquevillés sur une attelle métallique, le tout enrubanné d'un pansement adhésif qui cisaillait le dos de sa main enflée.
«Ça va, Franck?
– Ça va aller. Encore un peu faiblard, mais ça va aller.»
Des moineaux s'engouffraient sous le store à rayures jaunes qui ondulait et ils venaient danser autour de la table. Ils se disputaient les miettes. Au soleil, un groupe d'ados taillés comme des armoires à glace s'amusait à marquer des paniers, mais Franck ne les regardait pas. Il essayait de disparaître sur son siège.
«Et cette côte, Franck? Et cette fichue côte?
– Pas terrible. Douloureuse.»
Marie-Jo s'est levée pour aller aux toilettes. Elle était pressée de rentrer. Elle n'était pas contente car je lui avais annoncé que je devais voir Chris pour une histoire de sécu à signer et que je devais impérativement le faire pendant le week-end. Elle prenait trop d'amphétamines, en ce moment. Elle se mettait en rogne pour trois fois rien. Et ses yeux vert émeraude brillaient d'un éclat sombre.
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