Je m’installe dans l’attente. Cela a le mérite de me calmer. Je remplis mon Désert des Tartares avec ce que je trouve. Ainsi, on vient par exemple de me briefer sur une recherche de « signature » pour un lancement de parfum féminin : Hypnose de David Copperfield, Las Vegas. C’est payé cinquante mille nouveaux francs (la moitié si l’idée n’est pas vendue). Il faut trouver une phrase courte, provocante, forte, qui dise à la fois le bénéfice consommateur et induise de manière positive la « reason why ». En clair, exprimer que ce parfum va permettre aux femmes (la cible) de séduire les hommes (la cible de la cible) mais pas pour une nuit seulement : pour une passion éternelle et durable, et ce grâce au savoir-faire de son fabricant. Je reviens après une semaine de réflexion et propose cette liste :
Au lieu de vous marier, portez Hypnose de Copperfield.
Hypnose de Copperfield. Ce n’est pas un parfum, c’est un tour de magie.
Hypnose de Copperfield. Parfum pour ce soir, et demain soir, et tous les autres soirs.
Hypnose de Copperfield. Il cache une histoire d’amour dans un double fond.
Portez Hypnose et laissez agir toute une vie.
Hypnose de Copperfield. Ce parfum est truqué.
Hypnose : le flacon qui rend amnésique.
Hypnose de Copperfield. Après, vous ferez semblant de ne plus vous souvenir.
La réunion se passe très mal. Personne n’est satisfait, pas même moi. Je les écoute, quitte Paris l’après-midi même pour Verbier (Suisse), une station de sports d’hiver du Valais. De là-bas, au bout de trois semaines de travail, je faxe le slogan que vous connaissez et qui a fait en une année de ce produit le leader mondial des fragrances vendues en « food » :
HYPNOSE DE COPPERFIELD.
SINON, L’AMOUR DURE TROIS ANS.
XXXVII
Un cynique à l’eau de rose
Je suis assis là, comme tous les soirs, au fond du même café, à chercher une solution. J’ai beau me répéter que je suis mort, je continue tout de même de vivre. J’ai failli mourir souvent : écrasé par une voiture (mais je l’ai évitée de justesse), tombé d’un immeuble (mais je me suis rattrapé aux branches), contaminé par un virus (mais j’ai mis une capote). Quel dommage. Mourir m’aurait pas mal arrangé. Avant ma descente aux enfers, la mort me faisait peur. Aujourd’hui elle me délivrerait. Je ne parviens même pas à comprendre pourquoi les gens sont si tristes de mourir. La mort nous réserve plus de surprises que la vie. Désormais j’attends le jour de ma mort avec impatience. Je serais ravi de quitter ce monde et de savoir enfin ce qu’il y a derrière. Ceux qui ont peur de la mort ne sont pas des gens curieux.
Mon problème, c’est que tu es la solution. Ce sont les gens les plus cyniques et les plus pessimistes qui tombent le plus violemment amoureux, car c’est bon pour ce qu’ils ont. Mon cynisme avait hâte d’être démenti. Ceux qui critiquent l’amour sont bien sûr ceux qui en ont le plus besoin : au fond de tout Valmont sommeille un indécrottable romantique qui ne demande qu’à sortir sa mandoline.
Et voilà, ça y est, ça recommence, le piège se referme, la machination se met en branle. J’ai de nouveau des envies de grande maison avec jardin ensoleillé, ou bien le chant de la pluie sur le toit en fin de journée, envie de cueillir un bouquet de violettes, main dans la main avec elle, loin de la ville pour faire l’amour encore et encore, jusqu’à en crever de joie, en pleurer de plaisir, caresses pour se consoler d’être si bien ensemble, melon glacé et jambon de Parme, Florence, Milan, s’il y a le temps…
XXXVIII
Correspondance (III)
Quatrième lettre à Alice :
« Chère autruche,
Je pense à toi tout le temps. Je pense à toi le matin, en marchant dans le froid. Je fais exprès de marcher lentement pour pouvoir penser à toi plus longtemps. Je pense à toi le soir, quand tu me manques au milieu des fêtes, où je me saoule pour penser à autre chose qu’à toi, avec l’effet contraire. Je pense à toi quand je te vois et aussi quand je ne te vois pas. J’aimerais tant faire autre chose que penser à toi mais je n’y arrive pas. Si tu connais un truc pour t’oublier, fais-le-moi savoir.
Je viens de passer le pire week-end de ma vie. Jamais personne ne m’a manqué comme ça. Sans toi ma vie est une salle d’attente. Qu’y a-t-il de plus affreux qu’une salle d’attente d’hôpital, avec son éclairage au néon et le linoléum par terre ? Est-ce humain de me faire ça ? En plus, dans ma salle d’attente, je suis seul, il n’y a pas d’autres blessés graves avec du sang qui coule pour me rassurer, ni de magazines sur une table basse pour me distraire, ni de distributeur de tickets numérotés pour espérer que mon attente prendra fin. J’ai très mal au ventre, et personne ne me soigne. Être amoureux, c’est cela : un mal de ventre dont le seul remède, c’est toi.
Alice. J’ignorais que ce prénom prendrait une telle place dans ma vie. J’avais entendu parler du malheur et je ne savais pas qu’il se prénommait Alice. Alice, je t’aime. Deux mots inséparables. Tu ne t’appelles pas Alice, mais « Alice-je-t’aime ».
Ton Marc très cafardeux. »
Comme prévu, Alice me rappela le lundi suivant. Elle m’avoua qu’elle était folle de moi, et me promit qu’on ne se quitterait plus jamais. Je la dévêtis doucement dans un appartement prêté par une amie. C’est peu dire que nos retrouvailles furent agréables. Cet après-midi de plaisir pourrait servir de mètre-étalon à Sèvres au rayon « jouissance sexuelle de très haut niveau entre deux êtres humains de sexes complémentaires ». Ensuite, contrairement à sa promesse, elle me quitta vers neuf heures du soir, épuisée, et je me retrouvai de nouveau seul pour aller à la rencontre des heures.
XXXIX
La descente continue
Autant vous prévenir tout de suite : il n’est pas sûr que cette histoire aura une « happy end ». Ces dernières semaines comptent parmi les plus tristes et magnifiques souvenirs de ma vie, et rien ne m’autorise à penser que cette situation ne va pas se prolonger. J’ai beau tenter de forcer le destin, celui-ci n’est pas en pâte à modeler.
La fin du monde a eu lieu la semaine dernière. Alice m’a téléphoné pour me dire qu’elle partait en vacances avec Antoine pour essayer de recoller les morceaux. Cette fois, c’est bien fini. Nous avons raccroché sans même nous dire adieu. Mon amour est Hiroshima. Voyez les dégâts que peut causer la passion ; on en vient presque à citer Marguerite Duras.
Je regarde une mouche qui se cogne contre la fenêtre de ma chambre et je songe qu’elle est comme moi : il y a du verre entre elle et la réalité. Séparée du bonheur par une prison invisible.
La double vie est le luxe des schizophrènes. Alice a le beurre et l’argent du beurre : la passion interdite avec moi, et son petit confort avec son mari. Pourquoi n’avoir qu’une seule vie quand on peut en avoir plusieurs ? Elle change de mec comme on change de chaîne sur le câble (j’espère au moins que je suis « Eurosport »).
C’est fini. C.E.S.T. F.I.N.I. Il est incroyable que je puisse écrire ces huit lettres aussi facilement, alors que je suis incapable de les accepter. Parfois il m’arrive d’avoir des crises de mégalomanie : si elle ne veut pas de moi, m’autopersuadé-je, alors je ne l’aime plus ! Elle n’est pas à ma Hauteur ? Tant pis pour cette conne ! Mais ces sursauts d’orgueil ne durent pas longtemps car je n’ai pas un instinct de survie assez développé.
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