Frédéric Beigbeder - L'amour dure trois ans
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- Название:L'amour dure trois ans
- Автор:
- Издательство:Grasset and Fasquelle
- Жанр:
- Год:1997
- Город:Paris
- ISBN:978-2-246-54659-7
- Рейтинг книги:4 / 5. Голосов: 1
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XLV
Alors
Alors je prends mon stylo pour dire que je l’aime, qu’elle a les plus longs cheveux du monde et que ma vie s’y noie, et si tu trouves ça ridicule pauvre de toi, ses yeux sont pour moi, elle est moi, je suis elle, et quand elle crie je crie aussi et tout ce que je ferai jamais sera pour elle, toujours, toujours je lui donnerai tout et jusqu’à ma mort il n’y aura pas un matin où je me lèverai pour autre chose que pour elle et lui donner envie de m’aimer et embrasser encore et encore ses poignets, ses épaules, ses seins et alors je me suis rendu compte que quand on est amoureux on écrit des phrases qui n’ont pas de fin, on n’a plus le temps de mettre des points, il faut continuer à écrire, écrire, courir plus loin que son cœur, et la phrase ne veut pas s’arrêter, l’amour n’a pas de ponctuation, et des larmes de passion dégoulinent, quand on aime on finit toujours par écrire des choses interminables, quand on aime on finit toujours par se prendre pour Albert Cohen, Alice est venue, Alice a quitté Antoine, elle est partie, enfin, enfin, et nous nous sommes envolés, mentalement et physiquement, nous avons pris le premier avion pour Rome, bien sûr, où d’autre aller, Hôtel d’Angleterre, Piazza Navona, Fontaine de Trevi, vœux éternels, balades en Vespa, quand nous avons demandé des casques le loueur de scooters a tout compris il a répondu il fait trop chaud, amour, amour ininterrompu, trois, quatre, cinq fois par jour, mal à la bite, jamais vous n’avez autant joui, tout recommence, vous n’êtes plus seuls, le ciel est rose, sans toi je n’étais rien, enfin je respire, nous marchons au-dessus des pavés, quelques centimètres plus haut que le sol, personne ne le voit sauf nous, nous sommes sur coussins d’air, nous sourions sans raison aux Romains qui nous prennent pour des mongoliens, des membres d’une secte, la secte de Ceux qui Sourient en Lévitation, tout est devenu si facile maintenant, on met un pas devant l’autre et c’est le bonheur l’amour la vie les tomates-mozarella noyées dans l’huile d’olive les pasta au parmesan, on ne finit jamais les assiettes, trop occupés à se regarder dans les yeux se caresser les mains bander, je crois que nous n’avons pas dormi depuis dix jours, dix mois, dix ans, dix siècles, le soleil sur la plage de Fregene on prend des Polaroid comme celui qu’Anne a trouvé dans son sac à Rio, il suffit de respirer et de te regarder, c’est pour toujours, pour toujours et à jamais, c’est invraisemblable, époustouflant comme la joie de vivre nous étouffe, je n’ai jamais vécu ça, est-ce que tu ressens ce que je ressens ? tu ne pourras jamais m’aimer autant que je t’aime, non c’est moi qui t’aime plus que toi, non c’est moi, non c’est moi, bon c’est nous, c’est si merveilleux de devenir complètement débile, à courir vers la mer, tu étais faite pour moi, comment exprimer quelque chose d’aussi beau avec des mots, c’est comme si, comme si on avait quitté la nuit noire pour entrer dans une lumière éblouissante, comme une montée d’ecstasy qui ne s’arrêterait jamais, comme un mal de ventre qui disparaît, comme la première bouffée d’air que tu inspires après t’être retenu de respirer sous l’eau, comme une réponse unique à toutes les questions, les journées passent comme des minutes, on oublie tout, on naît à chaque seconde, on ne pense à rien de laid, on est dans un présent perpétuel, sensuel, sexuel, adorable, invincible, rien ne peut nous atteindre, on est conscient que la force de cet amour sauvera le monde, oh nous sommes effroyablement heureux, tu montes dans la chambre, attends-moi dans le hall, je reviens tout de suite, et quand tu as pris l’ascenseur j’ai grimpé par l’escalier quatre à quatre, en sortant de l’ascenseur c’est moi qui t’ai ouvert la porte, oh nous avions les larmes aux yeux d’avoir été séparés trois minutes, lorsque tu as croqué dans une pêche bien mûre le jus de fruit dégoulinait sur tes cuisses bronzées oh putain j’ai envie de toi tout le temps, encore et encore, regarde comme je sperme sur ton visage, oh Marc, oh Alice, j’ai un orgasme, c’est looong, c’est fooort, on n’a visité aucun monument de cette ville, ça y est elle est prise d’un fou rire, qu’est-ce que j’ai dit pour que tu ries comme ça, c’est nerveux, j’ai joui si fort je t’adore, mon amour, quel jour sommes-nous ?
II
TROIS ANS PLUS TARD À FORMENTERA
I
Jour J — 7
Casa Le Moult. Me voici à Formentera pour finir ce roman. Ce sera le dernier de la trilogie Marronnier (dans le premier, je tombais amoureux ; dans le second, je me mariais ; dans le troisième, je divorce et retombe amoureux. La boucle est bouclée). On a beau essayer d’innover dans la forme (mots étranges, anglicismes, tournures bizarroïdes, slogans publicitaires, etc.) comme dans le fond (nightclubbing, sexe, drogue, rock’n roll…) on se rend vite compte que tout ce qu’on voudrait, c’est écrire un roman d’amour avec des phrases très simples — bref, ce qu’il y a de plus difficile à faire.
J’écoute le bruit de la mer. Je ralentis enfin. La vitesse empêche d’être soi. Ici les journées ont une durée lisible dans le ciel. Ma vie parisienne n’a pas de ciel. Pondre une accroche, faxer un article, répondre au téléphone, vite, courir de réunion en réunion, déjeuner sur le pouce, vite, vite, se grouiller en scooter pour arriver en retard à un cocktail. Mon existence absurde méritait bien un coup de frein. Se concentrer. Ne faire qu’une seule chose à la fois. Caresser la beauté du silence. Profiter de la lenteur. Entendre le parfum des couleurs. Tous ces trucs que le monde veut nous interdire.
Tout est à refaire. Il faut tout réorganiser dans cette société. Aujourd’hui ceux qui ont de l’argent n’ont pas de temps, et ceux qui ont du temps n’ont pas d’argent. Échapper au travail est aussi difficile qu’échapper au chômage. L’oisif est l’ennemi public numéro un. On attache les gens avec l’argent : ils sacrifient leur liberté pour payer leurs impôts. Il devient de plus en plus évident que l’enjeu du siècle prochain sera de supprimer la dictature de l’entreprise.
Formentera, petite île… Satellite d’Ibiza dans la constellation des Baléares. Formentera, c’est la Corse sans les bombes, Ibiza sans les boîtes, Moustique sans Mick Jagger, Capri sans Hervé Vilard, le Pays basque sans la pluie. Soleil blanc. Promenade en Vespa. Chaleur et poussière. Fleurs desséchées. Mer turquoise. Odeur des pins. Chant des grillons. Lézards trouillards. Moutons qui font mêêê.
— Il n’y a pas de « mais », leur rétorque-je.
Soleil rouge. Gambas a la plancha. Vamos a la playa. Lune orange. Gin con limon. Je cherchais l’apaisement, c’est ici, où il fait trop chaud pour écrire de longues phrases. On peut être en vacances ailleurs que dans le coma. La mer est remplie d’eau. Le ciel bouge sans cesse. Les étoiles filent. Respirer de l’air devrait toujours être une occupation à plein temps.
C’est l’histoire d’un type qui s’enferme tout seul sur une île pour terminer un bouquin qui ne s’appelle pas Paludes. Le type mène une vie de dingue, cela lui fait tout drôle de se retrouver livré à lui-même, dans la nature, sans télévision, ni téléphone. À Paris, il est pressé, joue les dynamiques, ici ne bouge pas de la journée, se promène le soir, toujours seul. Barnabooth à Florence, Byron à Venise, le panda du zoo de Vincennes sont ses modèles. La seule personne à qui il dise bonjour est la serveuse de San Francesco. Le type porte une chemise noire, un Jean blanc, des Tod’s. Boit des pastis et des gin-limon. Bouffe des chips et des tortillas. N’écoute qu’un seul disque : La Sonate à Kreutzer par Arthur Rubinstein. Hier on l’aurait même aperçu applaudir un but français dans le match France-Espagne, ce qui est de mauvais goût, mais courageux, quand on est le seul Français dans un bistrot, en Espagne, sur un port. Si vous croisiez ce type, vous penseriez sans doute : « Mais que fout ce con de Parisien à la Fonda Pepe hors saison ? » Cela me chagrine un peu, vu que le type en question, c’est moi. Alors, mettez-la un peu en veilleuse, merci. Je suis l’ermite qui sourit au vent tiède.
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