– Il m'a aussi demandé quatre fois de lui promettre que j'étais seul.
– Et ?
– J'ai menti quatre fois !
Anthony poussa la porte du restaurant et céda le passage à sa fille.
– Tu vas finir par y prendre goût si tu continues, dit-il en riant.
– Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle !
– Ce qui est drôle, c'est que nous sommes Berlin à la recherche de ton premier amour et que tu te culpabi-lises de ne pouvoir avouer à ton fiancé que tu étais à Montréal en compagnie de ton père. Je ne m'égare peut-
être, mais je trouve cela plutôt cocasse, féminin, mais cocasse.
Anthony profita du repas pour échafauder un plan.
Dès leur réveil, ils iraient rendre visite au syndicat des journalistes, afin de vérifier si un certain Tomas Meyer était toujours en possession d'une carte de presse. Sur le chemin du retour, Julia entraîna son père vers le Tiergarten Park.
– J'ai dormi là, dit-elle en désignant un grand arbre au loin. C'est fou, j'ai l'impression que c'était hier.
Anthony regarda sa fille d'un air malicieux, il joignit ses mains et tendit les bras
– Qu'est-ce que tu fais ?
– La courte échelle, allez, dépêche-toi, il n'y a personne en vue, profitons-en.
Julia ne se fit pas prier, elle prit appui sur ces mains et escalada les grilles.
– Et toi ? demanda-t-elle en se redressant de l'autre côté.
– Je vais passer par les portillons, dit-il en désignant un accès un peu plus loin. Le parc ne ferme qu'à minuit, à mon âge, ce sera plus facile.
Dès qu'il eut rejoint Julia, il entraîna sur la pelouse et assis au pied du grand tilleul qu'elle avait désigné.
– c'est drôle, moi aussi j'ai fait quelques siestes sous cet arbre quand j'étais en Allemagne. C'était mon coin préféré. À chaque permission, je venais 211
m’y 'installer avec un livre et je regardais les filles se promener dans les allées. Au même âge, nous étions assis tous deux à la même place, enfin à quelques décennies près. Avec la tour de Montréal, cela nous fait maintenant deux endroits où partager des ouvenirs, je suis content.
– C'est ici que nous devenions toujours avec Tomas, dit Julia.
– Je commence à le trouver sympathique ce garçon.
Un barrissement d'éléphant se fit entendre dans le lointain. Le zoo de Berlin n'était qu'à quelques mètres derrière eux, en lisière du parc.
Anthony se leva et enjoignit sa fille de le suive.
– tu détestais les zoos quand tu étais enfant.
Tu n'aimais pas que les animaux soient emprisonnés dans des cages. C'était l'époque où tu voulais devenir vétérinaire. Tu l'auras sans doute oublié, je t'avais offert pour tes six ans une grande peluche, une loutre si je me souviens. Je n'avais dû bien la choisir, elle était sans arrêt malade et tu passais ton temps à la soigner.
– Tu n'es pas en train de suggérer que ce serait grâce à toi que j'ai dessiné...
– Quelle idée ! Comme si notre enfance pouvait jouer un rôle quelconque dans nos vies d'adultes...
Avec tout ce que tu me reproches, ça n'arrangerait pas mon cas.
De retour à l'hôtel Anthony salua Julia lorsqu'elle descendit de l'ascenseur et continua son chemin vers le dernier étage où se trouvait sa chambre
Allongée sur son lit, Julia passa un long moment à faire défiler les numéros sur l’écran de son téléphone portable. Elle se décida à rappeler Adam, mais lorsqu'elle tomba sur sa boîte vocale, elle raccrocha pour composer aussitôt le numéro de Stanley.
– Alors tu as trouvé ce que tu étais partie chercher ?
demanda son ami.
– Pas encore, je viens seulement d'arriver.
– tu as fait la route à pied ?
– En voiture depuis Paris, c'est une longue histoire.
– Je te manque un peu ? demanda-t-il.
– Tu ne crois quand même pas que je t'appelle juste pour te donner de mes nouvelles !
Stanley lui confia qu'il était passé en bas de chez elle en rentrant de son travail ; ce n'était pas vraiment son chemin, mais, sans qu'il y prête attention, c'est à l'avait conduit à l'angle d’Horatio et de Greenwich Street.
– C'est triste le quartier quand tu n'es pas là.
– Tu dis cela pour me faire plaisir.
– J'ai croisé ton voisin, le marchand de chaussures.
– Tu as parlé à M. Zimoure ?
– Plus de temps que toi et moi lui jetons des sorts...
Il était devant sa porte, il m'a salué, alors j'ai fait de même.
– Je ne peux vraiment pas te laisser seul, quelque jour d'absence et tu commences déjà à avoir de mauvaises fréquentations.
– Tu es peste ; finalement, il n'est pas si désagréable que cela, tu sais...
– Stanley, tu ne serais pas en train d'essayer de me dire quelque chose ?
– Qu'est-ce que tu vas encore chercher ?
– Je te connais mieux que personne, quand tu rencontres quelqu'un et que tu ne le trouves pas antipathique au premier abord c'est déjà suspect, alors « presque aimable » pour M. Zimoure, je suis à deux doigts de rentrer demain !
– Il te faudra une autre excuse, ma chérie, nous nous sommes dits bonjour, voilà tout. Adam aussi est passé me voir.
–Décidément, vous ne vous quittez plus !
– C’est plutôt toi qui donnes l'impression de le quitter. Et puis ce n'est pas de ma faute s'il habite à deux rues de mon magasin. Au cas où cela t'intéresserait encore, je ne l'ai pas trouvé très en forme. De toute façon, pour qu’il me rende visite, c'est qu'il ne doit pas aller très bien. Tu lui manques, Julia, il est inquiet et je pense qu'il a des raisons de l’être.
– Je te jure, Stanley, que ce n'est pas cela, c'est même tout le contraire.
– Ah non, ne jure pas ! Crois-tu seulement à ce que tu viens de dire ?
– Oui ! répondit-elle sans aucune hésitation.
– Tu me fais un chagrin fou quand tu es sotte à ce point-là. S'est-il vraiment où t’entraîne ce mystérieux voyage ?
– Non, murmura Julia dans le combiné.
– Alors comment veux-tu que lui le sache ? Il faut que je te laisse, il est sept heures passés ici et je dois me préparer, j'ai un dîner.
– Avec qui ?
– Et toi, avec qui as-tu dîné ?
– Toute seule.
– Comme j'ai une sainte horreur que tu me mentes, je vais raccrocher, appelle-moi demain. Je t'embrasse.
Julia n'est pas le loisir de poursuivre la conversation, elle entendit un déclic, Stanley avait déjà filé, probablement vers son dressings.
*
Une sonnerie la tira de son sommeil. Julia s'étira de tout son long, décrocha le téléphone, elle n'entendit qu'une tonalité. Elle se leva, traversa la chambre, réalisa qu’elle était nue, et attrapa au pied du lit un peignoir abandonné la veille, qu'elle enfila sur-le-champ.
Derrière la porte, un garçon d'étages attendait.
Quand Julia lui ouvrit, il poussa un chariot où était servis le petit déjeuner continental et deux œufs à la coque.
– Je n'ai rien commandé, dit-elle au jeune homme qui installait le couvert sur la table basse.
– Trois minutes trente, votre cuisson idéale, pour les œufs coque bien sûrs c'est bien cela ?
– Tout à fait, répondit Julia en s'ébouriffant les cheveux.
– C'est ce que nous a précisé M. Walsh !
– Mais je n'ai pas faim..., ajouta-t-elle alors que le garçon découpait délicatement les coquilles.
– M. Walsh m'a prévenu que vous diriez cela aussi.
Ah, une dernière chose avant que je vous laisse, il vous attend dans le hall de l'hôtel à huit heures, soit dans trente-sept minutes, dit-il en consultant sa montre.
Bonne journée, mademoiselle Walsh, il fait un temps radieux, vous devriez passer un agréable séjour à Berlin.
Et le jeune homme s'esquiva sous l'œil ahuri de Julia.
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