Et Julia entendit les pas de son père résonner dans le hall de la maison.
Elle prit sa tête entre ses mains et soupira. À travers ses doigts entrouverts, elle regardait le pot de miel sur la table.
Ce ne serait pas temps pour retrouver la trace de Tomas, mais pour poursuivre ce voyage avec son père, qu'il fallait qu'elle aille à Berlin. Et elle se jura le plus sincèrement du monde que ce n'était là ni un prétexte ni une excuse, et qu’Adam comprendrait certainement un jour.
De retour dans sa chambre, alors qu'elle récupérait son sac laissé au pied du lit, son regard se dirigea vers l'étagère.
Un livre d'histoire à la couverture grenat dépassait de la rangée. Elle hésita, le prit et fit glisser une enveloppe bleue qui y était cachée. Elle la rangea dans son bagage, referma la fenêtre et sortit de la pièce.
*
Anthony et Julia arrivèrent juste avant la fin de l'en-registrement. L'hôtesse leur délivra leurs cartes d'accès à bord et leur conseilla de se dépêcher. À cette heure avancée, elle ne pouvait plus garantir qu'ils arriveraient à la porte avant le dernier appel.
– Avec ma jambe, c'est foutu, déclara Anthony en la regardant, désolé.
– Vous avez des difficultés à vous déplacer, monsieur ? s'inquiéta la jeune femme.
– À mon âge, Mademoiselle, c'est hélas chose cou-rante, répondit-il fièrement en présentant le certificat qui attestait du port d'un pacemaker.
– Attendez ici, dit-elle en décrochant son téléphone.
Quelques instants plus tard, une voiturette électrique les conduisait à l'embarquement du vol pour Paris. Avec l'escorte d'un agent de la compagnie, passer de la sécurité fut cette fois un jeu d'enfant.
–Tu as de nouveau un bug ? Lui demanda Julia alors qu’ils filaient à toute allure dans les longs couloirs de l'aéroport.
– Tais-toi, bon sang, chuchota Anthony, tu vas nous faire repérer, ma jambe n'a rien !
Et il reprit sa conversation avec le chauffeur, comme si la vie de ce dernier le passionnait vraiment. À peine 10
minutes plus tard, Anthony et sa fille embarquaient les premiers.
Pendant plus de deux hôtesses aidaient Anthony Walsh à s'installer, l'une disposant des coussins dans son dos, l'autre lui proposant une couverture, Julia retourna à la porte de l'avion. Elle informa le steward qu'elle avait un dernier appel à passer. Son père était à bord, elles revenaient dans quelques instants. Elle rebroussa chemin sur la passerelle et prit son portable.
– Alors, où en sommes-nous de ce mystérieux périple au Canada ? dit Stanley en décrochant.
– Je suis à l'aéroport.
– Tu rentres déjà ?
– Je pars !
– Là, ma chérie, j'ai dû rater une étape !
– Je suis revenu ce matin, pas eu le temps de passer te voir et pourtant je te jure que j'en aurais eu bien besoin.
– Et peut-on savoir où tu vas cette fois, dans l’Oklahoma, le Wisconsin peut-être ?
– Stanley, si tu retrouvais une lettre d’Edward une lettre écrite de sa main juste avant la fin, mais jamais lue, l'ouvrirais-tu ?
– Je te l'ai dit, ma Julia, ses derniers mots étaient pour me dire qu'il m’aimait. Que pourrais-je vouloir apprendre de plus ? D'autres excuses, d'autres regrets ? Ces quelques mots de lui valaient bien toutes les choses que nous avions oubliées de nous dire.
– Alors tu remettrais l'enveloppe à sa place ?
– Je crois que oui, mais je n'ai jamais découvert de mon Edward dans notre appartement. Il n'écrivait pas beaucoup, tu sais, même pas la liste des courses, c'était toujours moi qui devais m'en occuper. Tu n'imagines pas à quel point cela me faisait enrager à l’époque, et pourtant, vingt ans plus tard, chaque fois que je vais au marché, j'achète sa marque de yaourt préférée. C'est idiot n'est-ce pas de se souvenir de ce genre de chose si longtemps après ?
– Peut-être pas.
– Tu as trouvé une lettre de Tomas, c'est sa ? Tu me reparles d'Edward à chaque fois que tu penses à lui, ouvre- la !...
– Pourquoi, puisque toi tu ne l'aurais pas fait ?
– C'est désolant qu'en vingt ans d'amitié, tu n’aie toujours pas saisi que je suis tout, sauf un exemple à suivre. Ouvre cette lettre dès aujourd'hui, lis-la demain si tu préfères, mais surtout ne la détruit pas. Je t'ai peut-être un peu menti ; si Edward m’en avait laissé une, je l’aurais lue cent fois, des heures entières, pour être sûr de comprendre chacun de ces mots, même si je sais bien que lui n'aurait jamais pris tout ce temps pour me l’écrire. Main-182
tenant, tu peux me dire où tu pars ? Je bous d'impatience de connaître l'indicatif téléphonique où je pourrais te joindre ce soir.
– Ce sera plutôt demain et il faudra que tu composes le 49.
– C'est à l'étranger ça ?
– En Allemagne, à Berlin.
Il y eut un instant de silence. Stanley inspira profondément avant de renouer le fil de leur conversation.
– Tu as découvert quelque chose dans cette lettre que tu as donc déjà ouverte ?
– Il est toujours en vie !
– Évidemment..., soupira Stanley. Et tu me téléphones de la salle d'embarquement pour me demander si tu as raison de partir à sa recherche, c'est ça ?
– Je t'appelle de la passerelle... Et je crois que tu m'as répondu.
– Alors file, idiote, ne rate pas cet avion.
– Stanley ?
–Qu'est-ce qu'il y a encore ?
– Tu es fâché ?
– Mais non, je déteste de savoir si loin, c'est tout. Tu avais une autre question stupide ?
– Comment fais-tu...
– Pour répondre à tes questions avant que tu ne les poses ? Les mauvaises langues diront que je suis plus fille que toi, mais tu as le droit de penser que c'est parce que je suis ton meilleur ami. Maintenant, fiche-moi le camp, avant que je me rende compte que tu vas horriblement me manquer.
– Je t'appellerai de là-bas, je te le promets.
– Oui, oui, c'est ça !
L'hôtesse fit signe à Julia qu'il fallait monter à bord immédiatement, l'équipage n'attendait plus qu'elle pour fermer la porte de l'appareil. Et quand Stanley voulut savoir ce qu'il devait dire à Adam si celui-ci l'appelait, Julien avait déjà rapproché.
Les plateaux-repas desservis, l'hôtesse abaissa la lumière, plongeant l'habitacle dans une semi obscurité.
Depuis le début du voyage, Julia n'avait jamais vu son père toucher au moindre aliment, ni dormir, pas même se reposer. C'était probablement normal pour une machine, mais quelle étrange idée à accepter. D'autant que c'était là les seuls détails pour lui rappeler que ce voyage à deux n'offrait que quelques jours gagnés sur le temps. La plupart des passagers dormaient, certains visionnaient un film sur de petits écrans ; au dernier rang, un homme compulsait un dossier à la lueur d'une veilleuse. Anthony feuilletait un journal, Julia regardait par delà le hublot les reflets argentés de la lune sur l'aile de l'appareil et l'océan qui frisait dans la nuit bleue.
*
Au printemps, j'avais décidé d'arrêter les Beaux-Arts, de ne pas retourner à Paris. Tu avais tout fait pour m’en dissuader, ma décision était prise, comme toi je deviendrais journaliste et comme toi je partirais le matin à la recherche d'un emploi, même si pour une américaine c’était sans espoir. Depuis quelques jours les lignes de tramway reliaient le nouveau les deux côtés de la ville.
Tout autour de nous, les choses s'agitaient ; tout autour de nous, les gens parlaient de réunir ton pays pour qu'ils n'en forment plus qu'un seul, comme avant, quand les choses de la vie n'étaient pas celle de la guerre froide.
Ceux qui avaient servi la police secrète semblaient s'être évaporés et leur archives avec. Quelques mois plus tôt, ils avaient entrepris de supprimer tous les documents compromettants, tous les dossiers qu'ils avaient constitués sur des millions de tes concitoyens et toi, tu avais été parmi les premiers qui avaient manifesté pour les en empêcher.
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