– Et comment étais-tu au courant de tout ça ?
– Ce n'est pas parce que ma vie ne t’as jamais intéressée, que je ne me suis pas toujours débrouillé poursuivre la tienne.
Anthony regarda longuement sa fille est repartit vers le salon. Elle rappela sur le pas de la porte.
– Tu l'avais ouverte ?
– Je ne me suis jamais permis de lire ton courrier, dit-il sans se retourner.
– Tu l’as conservée ?
– Elle est dans ta chambre, enfin, je parle de celle que tu occupais quand tu vivais à la maison. Je l'ai rangé dans le tiroir du bureau où tu étudiais, je pensais que c'était l'endroit où elle devrait t’attendre.
Coller Pourquoi ne m'as-tu rien dit quand je suis revenu à New York ?
– Et pourquoi as-tu attendu six mois pour me téléphoner après être rentrée à New York, Julia ? Et l’as-tu fait parce que tu avais deviné que je t'avais aperçue dans la vitrine de ce drugstore de SoHo ? Ou était-ce parce que que, après tant d'années d'absence sans me donner de tes nouvelles, je commençais enfin à te manqué un peu ? Si tu crois qu'entre nous deux j'ai toujours gagné la partie, tu te trompes.
– Parce que pour toi c'était un jeu ?
– Je ne l'espère pas, enfant tu étais très douée pour casser tes jouets.
Anthony déposa une enveloppe sur son lit.
– Je te laisse ceci, ajouta-t-il. J'aurais certainement dû t’en parler plus tôt, je n'en ai pas eu la possibilité.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda Julia.
– Nos billets pour New York. Je les ai commandés au concierge de ce matin pendant que tu dormais. Je te l'ai dit, j'avais anticipé ta réaction et j'imagine que notre voyage s'arrête ici. Habille-toi, prends ton sac et rejoins-moi dans le hall. Je vais régler la note.
Anthony referma doucement la porte derrière lui en sortant.
*
L’autoroute était saturée, le taxi emprunta la rue Saint-Patrick. La circulation y était aussi dense. Le chauffeur proposa de récupérer la 720 un peu plus loin et de couper par le boulevard René Lévesque Adam se fichait éperdument de l'itinéraire, pourvu que ce soit le plus rapide. Le chauffeur soupira, son client avait beau s'impa-tienter, il ne pouvait rien faire de plus. Dans trente minutes, ils arriveraient à destination, peut-être moins si l'état du trafic s'améliorait une fois l'entrée de la ville passée.
Et dire que certains trouvaient que des taxis n'étaient pas aimables..., il augmenta le son de la radio pour mettre un terme à leur conversation.
Le toit d’une tour du quartier d'affaires de Montréal apparaissait déjà, l'hôtel n'était plus très loin.
*
Sac à l'épaule, Julia traversa le hall et marcha d’un pas décidé vers la réception. Le concierge abandonna son comptoir pour venir aussitôt à sa rencontre.
– Madame Walsh ! Dit-il en ouvrant grand les bras.
Monsieur vous attend dehors, la limousine que nous avons commandée est un peu en retard, les embouteillages sont épouvantables aujourd'hui.
– Merci, répondit Julia.
– Je suis désolé, Madame Walsh, que vous nous quittiez prématurément, j'espère que la qualité de notre 158
service n'est en rien responsable de ce départ ? questionna-t-il, contrit.
– Vos croissant son épatant ! répliqua Julia du tac au tac. Et une fois pour toutes, ce n'est pas madame, mais mademoiselle !
Elle sortit de l'hôtel et repéra Anthony qui attendait sur le trottoir.
– La voiture ne devrait pas tarder, dit-il, tient la voilà.
Une Lincoln noire se rangea à leur hauteur. Avant de descendre pour les accueillir, le chauffeur actionna l'ouverture de la malle arrière. Julien ouvrit la portière est pris place sur la banquette. Pendant que le bagagiste dis-posait leurs deux sacs, Anthony contourna le véhicule.
Un taxi klaxonna, à quelques centimètres près il le ren-versait.
*
– Ces gens qui ne font pas attention ! râla le chauffeur en se garant en double file devant l'hôtel Saint-Paul.
Adam lui tendit une poignée de dollars et, sans attendre sa monnaie, se précipita vers les portes à tambour.
Il se présenta à l'accueil et demanda la chambre de Melle Walsh.
À l'extérieur, une limousine noire patientait, le temps qu'un taxi veuille bien démarrer. Le chauffeur du véhicule qu'il la bloquait comptait ses billets et ne semblait pas du tout pressé.
– Monsieur et Madame Walsh ont déjà quitté l'hôtel, répondit, désolée, la réceptionniste à Adam.
– Monsieur et Madame Walsh ? Répéta ce dernier en insistant longuement sur le mot « Monsieur ».
Le concierge leva les yeux au ciel et se présenta à lui.
– Puis-je vous aider ? demanda-t-il, fébrile.
– Est-ce que ma femme était dans votre hôtel cette nuit ?
– Votre femme ? demanda le concierge en jetant un regard par-dessus l'épaule d'Adam.
La limousine ne démarrait toujours pas.
– Mlle Walsh !
– Mademoiselle était bien parmi nous la nuit dernière, mais elle est repartie.
– Seule ?
– Je ne crois pas l’avoir vue accompagnée, répondit le concierge de plus en plus embarrassé.
Un concert de klaxons fit se retourner Adam en direction de la rue.
–Monsieur ? Intervint le concierge pour attirer de nouveau son attention à lui. Pouvons-nous vous offrir une collation, peut-être ?
– Votre réceptionniste vient de me dire que Monsieur et Madame Walsh avait quitté votre établissement !
Cela fait deux personnes, elle était seule ou pas ? Insista Adam d'un ton ferme.
– Notre collaboratrice se sera trompée, affirma le concierge en fustigeant la jeune femme du regard nous avons beaucoup de clients... Un café, un thé peut-être ?
– Il y a longtemps qu'elle est partie ?
À nouveau, le concierge jeta un regard discret vers la rue. La limousine noire déboîtait enfin. Il soupira de soulagement en la voyant s'éloigner.
– Un bon moment, je pense, répondit-il. Nous avons d'excellents jus de fruits ! Laissez-moi vous conduire à la salle des petits déjeuners, vous êtes mon invité.
Ils n'échangèrent pas un mot du voyage. Julia avait le nez collé au hublot.
*
Chaque fois que je prenais l'avion, je guettais ton visage au milieu des nuages, imaginait chaque fois tes traits dans ses formes qui s'étiraient dans le ciel. Je t'avais écrit cent lettres, reçu cent de toi, deux par semaine qui passait. Nous nous étions juré de nous retrouver, dès que j'en aurai les moyens. Quand je n'étudiais pas, que je travaillais pour gagner de quoi revenir un jour vers toi. J'ai servi dans des restaurants, placer les gens dans des salles de cinéma, quand je ne distribuais pas des prospectus ; et chaque geste que j'accomplissais-je le faisait en pensant au matin où je me poserai enfin à Berlin, sur cet aéroport où tu m'attendrais.
Combien de nuit me suis-je endormie dans ton regard, dans la mémoire de ces éclats de rire qui nous pre-naient dans les rues de la ville grise ? Ta grand-mère me disait parfois, lorsque tu me laissais seule avec elle, ne 161
pas croire à notre amour. Qu'il ne durerait pas. Trop de différences entre nous, moi la fille de l'Ouest et toi le garçon de l'Est. Mais chaque fois que tu rentrais et me prenais dans tes bras, je la regardais par dessus ton 'épaule et lui souriait, certaine qu'elle avait tort. Quand mon père m'a fait monter de force dans la voiture qui attendait en bas de tes fenêtres, j'ai hurlé ton prénom, j'aurais voulu que tu l'entendes. Le soir où les informations ont annoncé l’« incident » de Kaboul qui avait emporté quatre journalistes, dont un Allemand j'ai su à l'instant même qu'il parlait de toi mon sang a quitté mon corps et dans ce restaurant où j'essuyais des verres derrière un vieux comptoir en bois, j'ai perdu connaissance le présentateur disait que votre véhicule avait sauté sur une mine oubliée par les troupes soviétiques. Comme si le destin avait voulu te rattraper, ne jamais te laisser partir vers ta liberté. Les journaux ne donnaient aucune précision, quatre victimes, cela suffit au monde ; qu'importe l'identité de ceux qui meurent, leurs vies, les noms de ceux qu’ils laissent dans l'absence. Mais je savais que c'était toi l’Allemand dont ils parlaient. Il m'a fallu deux jours pour réussir à joindre Knapp ; deux jours sans rien pouvoir avaler.
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