– Excusez-la, dit-il au garçon en déposant quelques billets sur la table. Je crois que c’est votre champagne, trop de bulles !
*
Ils rentrèrent à l'hôtel. Aucun mot ne vint troubler le silence de la nuit. Ils Remontèrent à travers les ruelles de la vieille ville. Julia ne marchait pas tout à fait droit. Parfois elle trébuchait sur un pavé qui dépassait de la chaussée. Anthony avançait aussitôt le bras pour la retenir, mais elle retrouvait son équilibre et repoussait son geste sans jamais le laisser la toucher.
– Je suis une femme heureuse ! Dit-elle en titubant.
Heureuses et parfaitement épanouies ! Je fais un métier que j'aime, je vis dans un appartement que j'aime, j'ai un meilleur ami que j'aime et je vais me marier avec un homme que j'aime ! Épanouie ! Répéta-t-elle en bafouil-lant.
Sa cheville vrilla, Julia se rattrape de justesse et se laissa glisser le long d'un réverbère.
– Et puis merde ! grommela-t-elle, assise sur le trottoir.
Julia ignora la main que lui tendait son père pour l'aider à se relever. Il s’agenouilla et s’assit à côté d'elle.
La ruelle était desserte et tous deux restèrent là, adossés aux lampadaires. Dix minutes passèrent et Anthony sortit un sachet de la poche de sa gabardine.
– Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle.
– Des bonbons.
Julia haussa les épaules et détourna la tête.
– Je crois qu'il y a deux ou trois oursons en chocolat qui se promène au fond... Aux dernières nouvelles ils jouaient avec un serpentin de réglisse.
Julia ne réagissait toujours pas, alors il fit mine de ranger les friandises dans sa poche, mais elle lui arracha le sachet des mains.
– Quand tu étais enfant, tu avais adopté un chat errant, dit Anthony pendant que Julia avalait un troisième ourson. Tu l'aimais beaucoup, lui aussi, jusqu'à ce qu'il reparte au bout de huit jours. Veux-tu que nous rentrions maintenant ?
– Non, répondit Julia en mâchouillant.
Une carriole attelée à un cheval roux passa devant eux. Anthony salua le cocher d'un signe de la main.
*
Ils arrivèrent à l'hôtel une heure plus tard. Julia traversa le hall et emprunta l’ascenseur de droite tandis qu'Anthony montait dans celui de gauche. Ils se retrouvèrent sur le palier du dernier étage, parcoururent côte à côte le couloir jusqu'à la porte de la suite nuptiale, où Anthony céda le passage à sa fille. Elle se rendit directement à sa chambre et Anthony entra dans la sienne.
Julia se jeta aussitôt sur le lit et fouilla dans son sac pour y trouver son téléphone portable. Elle regarda l'heure à sa montre et appela Adam. Elle tomba sur sa messagerie vocale, attendit la fin du message et raccrocha avant la fatidique petite sonnerie. Elle composa le numéro de Stanley.
– Je vois que tu es en forme.
– Tu me manques drôlement, tu sais.
– Je n'en avais pas la moindre idée. Alors, ce voyage ?
– Je pense que je vais rentrer demain.
– Déjà ? Tu as trouvé ce que tu cherchais ?
– L'essentiel, je crois.
– Adam sort à l'instant de chez moi, annonça Stanley d’une voix sentencieuse.
– Il est venu te voir ?
– C'est exactement ce que je viens de te dire, tu as bu ?
– Un peu.
– Tu vas bien à ce point-là ?
– Mais oui ! Qu'est-ce que vous avez tous à vouloir que j'aille mal ?
– En ce qui me concerne, je suis tout seul !
– Qu'est ce qu'il voulait ?
– Parler de toi j'imagine, à moins qu'il ne soit en train de virer de bord ; mais dans ce cas-là, il aura perdu sa soirée, il n'est pas du tout mon genre.
– Adam est venu te parler de moi ?
– Non, il est venu pour que je lui parle de toi. C'est ce que font les gens quand la personne qu’ils aiment leur manque.
Stanley entendit la respiration de Julia dans le combiné.
– Il est triste, ma chérie. Je n'ai pas de sympathie particulière pour lui, je ne te l’ai jamais caché, mais je n'aime pas voir un homme malheureux.
– Pourquoi est-il triste ? demanda-t-elle d'une voix sincèrement désolée.
– Ou tu es devenue complètement conne, ou tu es vraiment bourrée ! Il est désespéré, que deux jours après l'annulation de son mariage, sa fiancée... Dieu que je déteste quand il t'appelle ainsi, c'est d'un ringard... Bref, ça finançait soit partie sans lui laisser d'adresse et donner d'explications à sa fuite. Cela te paraît suffisamment clair ou tu veux que je te Fedex un tube d'aspirine ?
– D'abord, je ne suis pas partie sans laisser d'adresse, et je suis passée le voir...
– Le Vermont ? Tu as osé lui dire que tu allais dans le Vermont ! Tu appelles ça une adresse ?
– Il y a un problème avec le Vermont ? questionna Julia d'une voix embarrassée.
– Non, enfin pas avant que je gaffe.
– Qu'est-ce que tu as fait ? demanda Julia en retenant son souffle.
– J'ai dit était à Montréal. Comment voulais-tu que j'imagine une ânerie pareille ! La prochaine fois que tu mens, préviens-moi, je te donnerai des leçons et aux moins nous accorderons nos violons.
– Et merde !
– Tu me l'enlèves de la bouche...
– Vous avez dîné ensemble ?
– Je lui ai fait un petit frichti de rien du tout...
– Stanley !
– Quoi ? Je n'allais pas en plus le laisser mourir de faim ! Je ne sais pas ce que tu trafiques à Montréal, ma chérie, ni avec qui, et j'ai bien compris que cela ne me regardait pas, mais s'il te plaît appelle Adam, c'est la moindre des choses.
– Ce n'est pas du tout ce que tu penses, Stanley.
– Qui t'a dit que je pensais ? Si cela peut te rassurer, je lui ai promis que son départ n'avait rien à voir avec vous deux, que tu étais parti sur les traces de ton père. Tu vois, pour mentir, il faut un certain talent !
– Mais je te jure que tu ne mentais pas !
– Et j'ai ajouté que sa mort t’avait secouée et qu'il était important pour votre couple que tu puisses refermer les portes de ton passé restées entrebâillées. Personne n'a besoin de courant d'air dans sa vie amoureuse, n'est-ce pas ?
À nouveau Julia se tut.
– Alors, où en es-tu de tes explorations sur l'histoire de papa Walsh ? Reprit Stanley.
– Je crois avoir découvert un peu plus de tout ce qui fait que je le déteste.
– Parfait ! Et quoi d'autre ?
– Peut-être un peu de ce qui faisait que je l'aimais.
– Et tu veux rentrer demain ?
– Je ne sais pas, il vaut sans doute mieux que je retrouve Adam.
– Avant que... ?
– Je suis allée me promener tout à l'heure, il y avait une portraitiste...
Julia raconta à Stanley la découverte faite sur le Vieux-Port de Montréal et, pour une fois, son ami il ne la gratifia pas de l'une de ses répliques cinglantes.
– Tu vois, il est temps que je revienne, n’est-ce pas ça ne me réussit pas de quitter New York. ? Et puis si je ne rentre pas demain, qui te portera chance ?
–Tu veux un vrai conseil ? Écrit sur une feuille de papier tout ce qui te passe par la tête, et fait exactement le contraire ! Bonne nuit, ma chérie.
Stanley avait raccroché. Julia abandonna son lit pour se rendre dans la salle de bains, elle n'entendit pas les pas feutrés de son père, qui regagnait sa chambre.
Un ciel rougeoyant se levait sur Montréal. Le salon qui séparait les deux chambres de la suite baignait dans une lumière douce. On frappe à la porte, Anthony ouvrit au garçon de service d'étage et le laissa pousser le chariot au milieu de la pièce. Le jeune homme se proposa de dresser le couvert du petit déjeuner mais Anthony lui glissa quelques dollars dans la poche et pris les commandes de la desserte roulante. Le serveur repartit, Anthony veillait à ce que la porte ne fasse pas de bruit en se refermant. Il hésita entre la table basse et de guéridons près des fenêtres qui offraient un joli panorama. Il opta pour la vue et disposa avec mille précautions nappe, assiette, couverts, carafon de jus d'orange, bol de céréales, panier de viennoiseries, et une rose qui se dressait fièrement dans son soliflores. Il fit un pas en arrière, déplaça la fleur qu'il trouvait décentrée, le pot de lait qui serait mieux situé près de la corbeille de pains. Il déposa dans l'assiette de Julia un rouleau de papier orné d'un ruban rouge, et le recouvrît de la serviette de table. Cette fois, il s'écarta d'un bon mètre et vérifia l'harmonie de sa compo-sition. Après avoir resserré le nœud de sa cravate, il alla frapper délicatement à la chambre de sa fille et annonça que je le petit déjeuner de Madame était servi. Julia gro-gna et demanda l’heure qu'il était.
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