M. Georges se mit à parler de l’attitude qu’un galant homme se devait d’avoir vis-à-vis des femmes… Puisque les femmes rêvaient à la solennité de l’église, à la blancheur au seuil de leur vie d’épouses, un galant homme se devait de leur donner cette joie…
LE « WHO IS WHO » DES ROSES
Le repas de noces, après l’église et la mairie, eut lieu dans une auberge sur une route nationale. La rapidité avec laquelle Martine fit son choix parmi tous les restaurants qu’elle avait été voir laissait supposer qu’il y avait belle lurette que ce choix était fait, autrement, à peser le pour et le contre, elle aurait épuisé tout le monde avant de se décider… En effet, un jour que Ginette avait emmené Martine dans celle auberge, encore bien avant que celle-ci n’eût rencontré Daniel sous les arcades, Martine s’était dit qu’elle aurait aimé revenir ici pour le repas de ses noces avec Daniel.
Une maison pimpant neuve, en plein sur la nationale, sans un arbre autour, avec, sur la route goudronnée, des baquets blancs cerclés de rouge, dans lesquels agonisaient des géraniums. Les voitures arrivaient l’une après l’autre et se garaient dans une sorte de cour, à droite de la maison. La quatre-chevaux des jeunes mariés, cadeau de M. Donelle père, était déjà là : d’un gris souris, soignée dans tous les détails, on voyait bien que Martine était passée par là. Il y avait la voiture de cet ami de Daniel, qui prêtait sa chambre à Daniel et Martine lorsqu’ils n’avaient où cacher leurs amours. Puis est arrivé le car avec la jeunesse, des amies de Cécile, des dactylos de l’Agence de Voyages, et des étudiants de l’Ecole d’Horticulture, des copains de Daniel : Martine avait exigé des danseurs, c’était minable de voir des jeunes filles danser entre elles ! Le père de Daniel descendait de sa vieille Citron familiale, accompagné de Dominique, la sœur de Daniel, celle qui était autrefois fleuriste, et les deux enfants de celle-ci… Le nez en l’air, M. Donelle se mit au milieu de la route pour regarder l’auberge. Il était grand, maigre, courbé comme la première moitié d’une parenthèse, la poitrine rentrée, habillé de vêtements flottants, foncés, comme pour un enterrement.
— Imaginez-vous, criait-il, que cette maison m’intéresse ! Ravi d’y venir… Depuis le temps que je passe devant quand je vais à Paris… Une vieille, brave maison… La voilà Auberge ! Et comme enseigne, c’est trouvé ! Au coin du bois… Pourquoi pas, Au coin d’un bois.’… Au coup de fusil ! Je me demandais qui aurait le courage d’affronter la maison… Eh bien, c’est nous !..
— Papa, tu vas te faire renverser par une voiture, à rester au milieu de la route…
Dominique, sa fille, lui ressemblait, grande et un peu voûtée, avec une lourde chevelure noire, mais probablement aussi réservée que son père était bavard et exubérant.
— Vous remarquerez, continuait à crier M. Donelle, en entrant dans la maison, qu’il n’y a pas un chat ici ! Ne croyez pas que c’est à cause de la noce, non, je n’ai jamais vu une voiture devant, ni un client dans le jardin !
M’man Donzert et M. Georges, la vieille cousine chez qui M’man Donzert couchait lorsqu’elle venait autrefois du village, le pharmacien et la pharmacienne qui avaient amené tout ce monde, venaient derrière… M’man Donzert, très excitée, traversa vite la salle pour aller au jardin : on mangeait dehors.
— Les enfants sont déjà là, monsieur Donelle, j’ai vu leur voiture, un petit bijou… Je me dépêche, j’aimerais voir comment cela se passe pour le déjeuner…
— Tout est en ordre, Madame, vous serez satisfaite, et la jeune mariée aussi, dit le patron qui se tenait au milieu de la salle et saluait les invités.
La salle était sombre et fraîche, protégée par de très gros murs et on se rendait bien compte que la maison portait des siècles sur le dos, ses poutres taillées à la hache, la cheminée en pierre sculptée. Le nouveau propriétaire avait mis, le long des murs, des banquettes tendues de vinyle rouge feu, et les tables à dessus de matière plastique, rouge également. Un bar, des bouteilles, un parquet de dancing en bois jaune, verni. Aux murs, entre des bassinoires et des chaudrons en cuivre, photos de jockeys, de chevaux et nus artistiques. Le patron était somptueux : grand, le torse imposant, les hanches étonnamment étroites et un gros ventre ovale en forme d’œuf qui n’allait pas avec le reste, comme surajouté. Avec ça, une tête de César, très brune et autoritaire… Peut-être venait-il de Marseille, via Montmartre. Il salua très bas M me Denise, impeccable avec ses cheveux blancs et sa robe de chez Dior, accompagnée de son ami, un ancien coureur d’auto, maintenant représentant de luxe d’une marque d’auto particulièrement chère, qui avait l’élégance du mécano et du sportif, hâlé, sec, le ventre rentré… Sa voiture blanche, décapotable, était une pure merveille, surtout pour qui s’y connaissait. M me Denise avait pris dans leur voiture Ginette et son petit garçon, Richard, excessivement blond, les fesses rebondies… Ginette, habillée de couleurs pastel, était toute poudre de riz, crèmes et parfums. Au fond de la salle sombre, le soleil découpait comme au couteau le rectangle aveuglant de la porte menant au jardin.
C’était là qu’était dressée la table. Le gravier crissait sous les pas des invités. Le soleil tapait, et il n’y avait pas l’ombre d’ombre, le jardin encore tout jeune, juste quelques baliveaux de tilleuls avec leurs tuteurs, de jeunes branches courtes, des feuilles claires et vernies. Ici et là, sur des supports en ciment, de gros pots en grès avec du géranium, et au milieu de ce petit désert, un puits en meulière, pièce purement décorative, puisqu’il n’y avait pas d’eau au fond… mais un rosier grimpait sur la margelle et, généreux, couvrait d’un flot de petites roses pompon le faux-semblant du puits. Pour avoir un peu d’ombre, on avait rapproché les tables rondes, à parasols, ce qui, à cause des creux en x entre chaque deux tables, ne constituait pas une seule tablée… M’man Donzert pensait à part soi que Martine n’aurait pas pu choisir plus mal, que les jeunes croient toujours savoir mieux, et que c’était une véritable catastrophe ! Enfin, avec le soleil, le jaune des parasols, le rouge et le blanc des fauteuils en lames de bois, eh bien, au bout du compte, cela faisait gai !..
Et le repas fut excellent, mieux que ça, succulent, abondant… M’man Donzert se disait que, vraiment, il faut être juste, pour le prix c’était incroyable ! Et les vins, les alcools… On était quand même quelque chose comme quarante à table… Il faisait une chaleur ! M’man Donzert avait enlevé ses chaussures sous la table, clandestinement. Les gosses de Dominique, débarrassés de leurs chemisettes empesées et de leurs chaussures en daim blanc, remuaient délicieusement les orteils et couraient dans le jardin, torse et pieds nus. Les jeunes filles et jeunes gens s’étaient sauvés dans la salle fraîche, avant la bombe glacée et les fruits : on allait les servir à l’intérieur… En attendant, ils faisaient marcher le pick-up à toute pompe. L’ombre de la maison recouvrait maintenant un tiers du jardin, les trois garçons qui servaient à table, d’une bonne humeur inaltérable comme il se doit lors d’une noce, avaient installé dans cette ombre des transatlantiques, des tables, et l’on pouvait un peu se reposer après le repas, dans une fraîcheur relative, avec café et alcools…
M me Denise était très contente de sa journée, elle avait eu bien raison de faire ce geste, d’assister au mariage d’une gentille employée, et elle ne s’était guère attendue à y trouver un homme aussi distingué que M. Donelle… La sœur du marié, cette grande bringue, n’était pas mal non plus. Sans parler du repas ! Daniel était certainement un garçon bien élevé, un peu intimidant même… Assez attirant.
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