— Au revoir, docteur, dit Olive.
Le Pr Mangemanche monta dans sa voiture. Didiche s’était levé et regardait les mécaniques.
— Vous me laisseriez conduire ? demanda-t-il.
— Une autre fois, dit Mangemanche.
— Où vous allez ? demanda Olive.
— Là-bas… dit Mangemanche. Il montra la bande sombre.
— Mince ! dit le garçon. Mon père m’a dit que si jamais j’y mettais les pieds qu’est-ce qu’il me passerait !
— Le mien aussi ! confirma Olive.
— Vous n’avez pas essayé ? demanda le professeur.
— Oh, à vous, on peut vous le dire… On a essayé et on n’a rien vu…
— Comment êtes-vous sortis ?
— Olive n’y avait pas été. Elle me tenait du bord.
— Ne recommencez pas ! dit le professeur.
— Ce n’est pas drôle, dit Olive. On n’y voit rien. Tiens, qui est-ce qui vient ?
Didiche regarda.
— On dirait un cycliste.
— Je m’en vais, dit Mangemanche. Au revoir, les enfants.
Il embrassa Olive encore une fois. Elle se laissait toujours faire quand on l’embrassait doucement.
Le moteur du véhicule gémit sur une note haute, et Mangemanche accéléra brutalement. La voiture renâcla au bas de la dune et l’avala d’un coup. Cette fois, Mangemanche ne changea pas de direction. Il maintenait son volant d’une poigne assurée et son pied écrasait le système à vitesse. Il eut l’impression de se ruer à la rencontre d’un mur. La zone noire grandit, envahit tout son champ de vision, et la voiture disparut brutalement au milieu des ténèbres massives. À l’endroit où elle venait de pénétrer dans la nuit subsistait une légère dépression, qui se combla peu à peu. Lentement, comme un plastique reprend sa forme, la surface impénétrable redevint lisse et parfaitement plane. Un double sillon dans le sable marquait encore le passage du Pr Mangemanche.
Le cycliste mit pied à terre à quelques mètres des deux enfants qui le regardaient venir. Il s’approcha en poussant sa machine. Les roues s’enfonçaient jusqu’à la jante et le frottement du sable avait poli les nickels jusqu’à les rendre parfaitement éblouissants.
— Bonjour, les enfants, dit l’inspecteur.
— Bonjour, monsieur, répondit Didiche.
Olive se rapprocha de Didiche. Elle n’aimait pas la casquette.
— Vous n’avez pas vu un bonhomme qui s’appelle Mangemanche ?
— Si, dit le garçon.
Olive lui donna un coup de coude.
— On ne l’a pas vu aujourd’hui, dit-elle. Didiche ouvrit la bouche, mais elle ne le laissa pas continuer.
— Il est parti hier prendre l’autobus.
— Tu me racontes des blagues, dit l’inspecteur. Il y avait un bonhomme en voiture, avec vous, tout à l’heure.
— C’est le laitier, dit Olive.
— Tu veux aller en prison, pour dire des mensonges ? dit l’inspecteur.
— Je ne veux pas vous parler, dit Olive. Je ne dis pas de mensonges.
— Qui c’était, hein ? demanda l’inspecteur à Didiche. Dis-le moi et je te prête ma bicyclette.
Didiche regarda Olive et la bicyclette brillait fameusement…
— C’était… commença-t-il.
— C’était un des ingénieurs, dit Olive. Celui qui a un nom de chien.
— Ah oui ? dit l’inspecteur, Celui qui a un nom de chien, vraiment ?
Il s’approcha d’Olive et prit un air menaçant.
— Je l’ai vu là-bas, à l’hôtel, celui qui a un nom de chien, petite malheureuse !
— Ce n’est pas vrai, dit Olive. C’était lui.
L’inspecteur leva la main comme pour la frapper, et elle fit un geste de défense en mettant son bras devant sa figure. Cela faisait ressortir ses petits seins ronds et l’inspecteur avait des yeux.
— Je vais essayer une autre méthode, proposa-t-il.
— Vous m’ennuyez, dit Olive. C’était un des ingénieurs.
L’inspecteur se rapprocha encore.
— Tiens ma bicyclette, dit-il à Didiche. Tu peux faire un tour dessus.
Didiche regarda Olive. Elle avait l’air effrayé.
— Laissez-la, dit-il. Ne touchez pas Olive.
Il lâcha la bicyclette que l’inspecteur venait de lui fourrer dans les mains.
— Je ne veux pas que vous touchiez à Olive, dit-il. Tout le monde cherche à l’embrasser et à la toucher. J’en ai assez, à la fin !.. C’est mon amie à moi, et si vous m’embêtez, je casse votre bicyclette.
— Dis donc, dit l’inspecteur, tu veux aller en prison ? Toi aussi ?
— C’était le professeur, dit le garçon. Maintenant, je vous l’ai dit. Laissez Olive tranquille.
— Je la laisserai tranquille si je veux, dit l’inspecteur. Elle mérite d’aller en prison.
Il saisit Olive par les deux bras. Didiche prit son élan et donna un coup de pied dans la roue avant, de toute sa force, au beau milieu des rayons. Cela fit du bruit.
— Laissez-la, dit-il. Ou je vous donne des coups de pied aussi.
L’inspecteur lâcha Olive et devint tout rouge de colère. Il fouilla dans sa poche et exhiba un gros égalisateur.
— Si tu continues, je vais te tirer dessus.
– Ça m’est égal, dit le garçon.
Olive se jeta sur Didiche.
— Si vous tirez sur Didiche, cria-t-elle, je ferai tellement de bruit que vous serez mort. Laissez-nous. Vous êtes un vieux crabe. Allez-vous en, avec votre sale casquette ! Vous êtes affreux et vous ne me toucherez pas. Si vous me touchez, d’abord, je vous mordrai.
— Je sais ce que je vais faire, dit l’inspecteur. Je vais vous tirer dessus à tous les deux, et, après je pourrai te toucher tant que je voudrai.
— Vous êtes un sale vieux flique, dit Olive. Vous ne faites pas votre métier. Votre femme et votre fille ne seront pas fières de vous. Tirer sur les gens, voilà ce qu’ils savent faire les fliques, maintenant. Mais aider les vieilles dames et les enfants à traverser les rues, oui ! On peut y compter ! Ou bien ramasser les petits chiens écrasés ! Vous avez des égalisateurs et des casquettes et vous ne pouvez même pas arrêter tout seul un pauvre homme comme le Pr Mangemanche !
L’inspecteur réfléchit, remit son égalisateur dans sa poche, et se détourna. Il resta debout un instant, puis il remit sa bicyclette sur ses roues. Celle d’avant ne tournait plus. Elle était toute tordue. Il empoigna le guidon et regarda par terre autour de lui. On voyait distinctement l’empreinte des roues du professeur. L’inspecteur hocha la tête. Il regarda les enfants. Il avait l’air honteux. Et puis il partit dans la direction qu’avait prise Mangemanche.
Olive restait avec Didiche. Ils avaient peur tous les deux. Ils virent l’inspecteur s’éloigner, monter et descendre le long des dunes, et devenir tout réduit, en traînant sa bicyclette inutilisable. Il marchait d’un pas égal, sans ralentir, bien droit entre les deux ornières laissées par la voiture du professeur, et puis il respira un bon coup et pénétra dans la zone noire. La dernière chose qu’on vit, c’était le morceau de verre rouge attaché au garde-boue, et il s’éteignit comme un œil sous un coup de poing.
Olive partit la première vers l’hôtel en courant, Didiche venait derrière elle et l’appelait, mais elle pleurait et n’écoutait pas. Ils avaient oublié le petit panier brun au fond duquel grouillaient les lumettes, et Olive trébuchait souvent parce que ses yeux pensaient à autre chose.
L’abbé Petitjean et Angel attendaient sous la tente d’Athanagore. L’archéologue était parti chercher la fille brune et les avait laissés quelques instants.
Le premier, Petitjean rompit le calme.
– Êtes-vous toujours dans les mêmes dispositions stupides ? demanda-t-il. Sexuellement parlant, je veux dire ?
— Oh, dit Angel, vous aviez raison d’avoir envie de me botter les fesses. Ce que je voulais faire, c’est répugnant. J’en avais vraiment envie, car j’ai besoin physiquement d’une femme en ce moment.
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