Voilà, conclut des Hermies, rapportées très exactement, les confidences que me fit, ce matin, l'ami Gévingey.
– et le Dr Johannès guérit les gens intoxiqués de cette manière? Demanda Carthaix.
– oui, cet homme fait, et cela je le sais, d'inexplicables cures.
– mais avec quoi?
– Gévingey parle, à ce propos, du sacrifice de gloire de Melchissédec, que le docteur célèbre.
Je ne sais pas du tout ce qu'est ce sacrifice; mais Gévingey nous renseignera peut-être, s'il revient guéri!
– c'est égal, je ne serais pas fâché de contempler, une fois dans ma vie, ce chanoine Docre, dit Durtal.
– moi pas; car c'est l'incarnation du maudit sur la terre, s'écria Carhaix, en aidant ses amis à endosser leur paletots.
Il alluma sa lanterne et, en descendant l'escalier, comme Durtal se plaignait du froid, des Hermies se mit à rire.
– si ta famille avait connu les secrets magiques des plantes, tu ne grelotterais pas ainsi, fit-il. L'on apprenait, en effet, au seizième siècle, qu'un enfant pouvait n'avoir ni chaud, ni froid, pendant toute sa vie, si on lui avait frotté les mains avec du jus d'absinthe, avant que la douzième année de sa vie se fut écoulée. C'est, tu le vois, une recette parfumée, moins dangereuse que celles dont abuse le chanoine Docre.
Une fois en bas, et, après que Carthaix eut refermé la porte de sa tour, ils hâtèrent le pas, car le vent du nord balayait la place.
– enfin, dit des Hermies, -Satanisme mis à part, et encore non, puisque c'est de la religion, le Satanisme, -avoue que, pour deux mécréants de notre sorte, nous tenons des propos singulièrement pieux.
J'espère que cela nous sera, là-haut, compté.
– nous sommes peu méritants, car de quoi parler?
Répliqua Durtal; les conversations qui ne traitent pas de religion ou d'art sont si basses et si vaines!
L e souvenir de ces abominables magistères lui trotta par la tête, le lendemain, et, tout en fumant des cigarettes au coin de son feu, Durtal songea à la lutte de Docre et de Johannès, à ces deux prêtres se battant sur le dos de Gévingey, à coups d'incantations et d'exorcismes.
Dans la symbolique chrétienne, se dit-il, le poisson est une des formes figurées du Christ; c'est sans doute à cause de cela et afin d'aggraver ses sacrilèges, que le chanoine bourre des poissons d'hosties pleines. Ce serait alors le système retourné des sorcières du Moyen Age qui choisissaient, au contraire, une bête immonde, vouée au diable, le crapaud, par exemple, pour lui donner le corps du sauveur à digérer.
Maintenant qu'y a-t-il de vrai dans cette prétendue puissance dont les chimistes déicides disposent?
Quelle foi ajouter à ces évocations de larves tuant, sur un ordre, une personne désignée, avec des huiles corrosives et des sangs vireux? Tout cela semble bien improbable, voire même un peu fol!
Et pourtant! Quand on y réfléchit, ne retrouve-t-on pas, aujourd'hui inexpliqués et se survivant sous d'autres noms, les mystères que l'on attribua si longtemps à la crédulité du Moyen Age? A l'hôpital de la Charité, le Dr Luys transfère d'une femme hypnotisée à une autre des maladies. En quoi cela est-il moins surprenant que les sorts jetés par des magiciens ou des bergers? Une larve, un esprit volant, n'est pas, en somme, plus extraordinaire qu'un microbe venu de loin et qui vous empoisonne, sans qu'on s'en doute; l'atmosphère peut, tout aussi bien charrier des esprits que des bacilles. Il est bien certain qu'elle véhicule sans les altérer, des émanations, des effluences, l'électricité par exemple, ou les fluides d'un magnétiseur qui envoie à un sujet éloigné, l'ordre de traverser tout Paris pour le rejoindre. La science n'en est même plus à contester ces phénomènes. D'un autre côté, le Dr Brown-séquard rajeunit des vieillards infirmes, ranime des impuissants avec des injections de parties distillées de lapins et de cobayes. Qui sait si ces élixirs de longue vie, si ces philtres amoureux que les sorcières vendaient aux gens épuisés ou atteints de ligature, n'étaient pas composés de substances similaires ou analogues? On n'ignore point que la semence de l'homme entrait presque toujours, au Moyen Age, dans la confection de ces mixtures. Or, le Dr Brown-séquard, après des expériences réitérées, n'a-t-il pas récemment démontré les vertus de cette matière enlevée à un homme et instillée à un autre?
Enfin, les apparitions, les dédoublements de corps, les bilocations, pour parler ainsi que les spirites, n'ont pas cessé d'exister depuis l'antiquité qu'ils terrifièrent. Il est, malgré tout, difficile d'admettre que les expériences poursuivies pendant trois années et devant témoins, par le Dr Crookes soient mensongères. Et alors, s'il a pu photographier de visibles et de tangibles spectres, nous devons reconnaître la véracité des thaumaturges du Moyen Age. Tout cela demeure évidemment incroyable; – comme était incroyable, il y a seulement dix ans, l'hypnose, la possession de l'âme d'un être par un autre qui le voue au crime!
Nous balbutions dans des ténèbres, cela est sûr. Et puis des Hermies le remarquait justement, il importe moins de savoir si les sacrilèges pharmaceutiques des cercles démoniaques sont puissants ou débiles, que de constater ce fait indéniable, absolu: il existe à notre époque des agences sataniques et des prêtres déchus qui les préparent.
Ah! S'il y avait moyen de joindre de chanoine Docre, de s'insinuer en sa confiance, peut-être finirait-on par voir un peu clair, dans ces questions. Au reste, il n'y a d'intéressants à connaître que les saints, les scélérats et les fous; ce sont les seuls dont la conversation puisse valoir. Les personnes de bon sens sont forcément nulles puisqu'elles rabâchent l'éternelle antienne de l'ennuyeuse vie; elles sont la foule, et elles m'embêtent! Oui, mais comment approcher de ce monstrueux prêtre? -et, tout en tisonnant le feu, Durtal se dit: par Chantelouve, s'il le voulait, mais il ne le veut pas. Reste sa femme qui a dû le fréquenter. Il faut que je l'interroge, celle-là, que je sache si elle correspond avec lui, si elle le voit encore.
Cette entrée de Mme Chantelouve dans ses réflexions l'assombrit. Il tira sa montre et murmura: quelle scie, tout de même! Elle va venir et il va encore falloir… s'il y avait seulement possibilité de la convaincre de l'inutilité des soubresauts charnels! En tout cas, elle ne doit pas être satisfaite, car à sa lettre frénétique sollicitant un rendez-vous, j'ai répondu, après trois jours, par un petit mot sec, l'invitant à venir, ici, ce soir. J'ai manqué de lyrisme, trop, peut-être!
Il se leva, s'en fut vérifier dans sa chambre à coucher si le feu flambait, et il retourna s'asseoir, sans même arranger, comme les autres fois, sa chambre. Maintenant qu'il ne tenait plus à cette femme, toute galanterie fuyait, tout gêne. Il l'attendait sans impatience, les pieds dans ses pantoufles.
En somme, se disait-il, je n'ai eu avec Hyacinthe de bon que le baiser échangé, près de son mari, chez elle. Je ne retrouverai certainement plus la senteur de sa bouche et sa flamme! Ici, le goût de ses lèvres est fade.
Mme Chantelouve sonna plus tôt que d'habitude.
– eh bien, fit-elle, en s'asseyant, vous m'avez écrit une jolie lettre!
– comment cela?
– allons, avouez-le sincèrement, mon ami, vous avez assez de moi!
Il se récria, mais elle hochait la tête.
– voyons, reprit-il, que me reprochez-vous? De vous avoir envoyé un billet bref? Mais j'avais quelqu'un ici, j'étais pressé, je n'avais pas le temps d'assembler des phrases! -de ne pas vous avoir désigné un rendez-vous plus proche? Mais je ne le pouvais! Je vous l'ai dit, notre liaison exige des précautions et elle ne peut être fréquente; je vous en ai laissé entendre clairement les motifs, je pense…
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