Carhaix leva les yeux au ciel.
– s'il n'est pas condamné, ce sera un prêtre de plus pour Paris, dit des Hermies.
– pourquoi?
Pourquoi? Mais parce que tous les ecclésiastiques qui ont failli en province ou qui ont eut de sérieux démêlés avec l'ordinaire, sont envoyés ici où ils sont moins en vue, presque perdus dans le foule; ils font partie de la corporation de ces abbés qu'on nomme " les prêtres habitués ".
– qu'est-ce? Demanda Durtal.
– ce sont les prêtres attachés à une paroisse. Tu sais qu'en sus du curé ou du desservant, des vicaires, du clergé en pied, il y a dans chaque église des prêtres adjoints ou suppléants, ce sont ceux-là. Ils font le gros ouvrage, célèbrent les messes matutinales, quand tout le monde dort, ou les messes tardives quand tout le monde digère. Ce sont ceux aussi qui se lèvent, la nuit, pour porter les sacrements aux pauvres, qui veillent les cadavres des dévots riches, attrapent, dans les enterrements, des courants d'air sous les porches, les coups de soleil, au cimetière, ou les paquets de neige et de pluie devant les fosses.
Ils écopent les corvées; moyennant cinq ou dix francs, ils remplacent encore des collègues mieux appointés que leur service ennuie; ce sont des gens en disgrâce, pour la plupart; on les attache, pour s'en débarrasser, à une église et on les surveille, en attendant qu'on leur retire leur celebret ou qu'on les interdise. C'est te dire aussi que les paroisses de province évacuent sur la ville les prêtres qui, pour un motif ou pour un autre, ont cessé de plaire.
– bien; mais alors les vicaires et les autres abbés titulaires, qu'est-ce qu'ils font, s'ils se déchargent ainsi de leurs tâches sur le dos des autres?
– ils font l'ouvrage élégant et facile, celui qui ne réclame aucune charité, aucun effort! Ils confessent les ouailles à falbalas, préparent au catéchisme les mômes propres, prêchent, jouent les rôles en vedette dans les cérémonies où, pour aguicher les fidèles, l'on déploie de théâtrales pompes! A Paris, en sus des prêtres habitués, le clergé se divise ainsi: les prêtres hommes du monde et à l'aise; ceux-là, on les place à la Madeleine, à Saint-roch, dans les églises dont la clientèle est riche, ils sont choyés, dînent en ville, passent leur vie dans les salons, ne pansent que les âmes agenouillées dans de la dentelle; et les autres qui sont de bons employés de bureau, pour la plupart, mais qui n'ont ni l'éducation, ni la fortune nécessaires pour assister les défaillances des désoeuvrées, ceux-là vivent plus à l'écart et ne fréquentent que les petits bourgeois; ils se consolent de leur vulgarité entre eux en jouant aux cartes ou en lâchant volontiers des lieux communs et des farces scatologiques au dessert!
– voyons, des Hermies, dit Carthaix, vous allez trop loin; car enfin j'ai la prétention, moi aussi, de connaître les prêtres, et ce sont, à Paris même, de braves gens qui font leur devoir, en somme. Ils sont couverts d'opprobres et de crachats, ils sont accusés par toute une racaille de vices immondes!
Mais il faudrait pourtant le dire à la fin, les abbés Boudes, les chanoines Docre sont, Dieu merci, des exceptions; et, hors Paris, à la campagne, par exemple, il y a dans le clergé de véritables saints!
– les prêtres sataniques sont peut-être en effet relativement rares et les luxures du clergé et les gredineries de l'épiscopat sont évidemment exagérées par une presse ignoble; mais ce n'est pas cela, moi, que je leur reproche. S'ils n'étaient pas que joueurs et libertins, mais ils sont tièdes, ils sont indolents, ils sont imbéciles, ils sont médiocres! Ils commettent le péché contre le Saint Esprit, le seul que l'exorable ne pardonne pas!
– ils sont de leur temps, fit Durtal. Tu ne peux cependant exiger que l'on retrouve, dans le bain-marie des séminaires, l'âme du Moyen Age!
– puis, reprit Carhaix, notre ami oublie qu'il existe des ordres monastiques impeccables, les Chartreux, par exemple…
– oui, et les Trappistes et les Franciscains; mais ce sont des ordres cloîtrés qui vivent à l'abri d'un siècle infâme; prenez, au contraire, celui de Saint Dominique qui est une société salonnière.
C'est lui qui fournit les Monsabré et les Didon, c'est tout dire!
– ce sont les hussards de la religion, les anciens et joyeux lanciers, les régiments chic et pimpants du Pape, tandis que les bons Capucins, ce sont les pauvres tringlots des âmes, dit Durtal.
– s'ils aimaient seulement les cloches! S'écria Carhaix, en hochant la tête; tiens, passe-nous le Coulommiers, dit-il, à sa femme qui enlevait le saladier et les assiettes.
Des Hermies remplissait les verres; ils mangèrent, en silence, le fromage.
– dis donc, reprit Durtal en s'adressant à des Hermies, sais-tu si une femme qui reçoit la visite des incubes a nécessairement le corps froid? Autrement dit, est-ce une présomption sérieuse d'incubat, comme jadis l'impossibilité qu'éprouvaient les sorcières de verser des larmes servait à l'inquisition de preuve pour les convaincre de maléfice et de magie.
– oui, je puis te répondre. Autrefois, les femmes atteintes d'incubat avaient les chairs frigides, même au mois d'août; les livres des spécialistes l'attestent; mais maintenant la plupart des créatures qui subissent ou appellent les amoureuses larves, ont, au contraire, la peau brûlante et sèche; cette transformation n'est pas encore générale mais elle tend à le devenir. Je me rappelle fort bien que le Dr Johannès, celui dont Gévingey t'a parlé, était souvent obligé, au moment où il tentait de délivrer la malade, de ramener le corps à sa température normale avec des lotions d'hydriodate de potasse étendu d'eau.
– ah! Fit Durtal, qui songeait à Mme Chantelouve.
– vous ne savez pas ce qu'est devenu le Dr Johannès?
Questionna Carhaix.
– il vit très retiré à Lyon; il continue, je crois, ses cures de vénéfices et il prêche la bienheureuse venue du Paraclet.
– enfin, quel est ce docteur? Demanda Durtal.
– c'est un très intelligent et un très savant prêtre.
Il a été supérieur de communauté et il a dirigé, à Paris même, la seule revue qui ait jamais été mystique. Il fut aussi un théologien consulté, un maître reconnu de la jurisprudence divine; puis il eut de navrants débats avec la curie du pape à Rome, et avec le Cardinal Archevêque de Paris. Ses exorcismes, ses luttes, contre les incubes qu'il allait combattre dans les couvents de femmes, le perdirent.
Ah! Je me souviens de la dernière fois que je le vis, comme si c'était d'hier! Je le rencontrai, rue de Grenelle, sortant de l'archevêché, le jour où, après une scène qu'il me raconta, il quitta l'église.
Je revois ce prêtre, marchant avec moi, le long du boulevard désert des Invalides. Il était blême et sa voix défaite mais solennelle tremblait.
Il avait été requis et on le sommait de s'expliquer sur le cas d'une épileptique qu'il disait avoir guérie, à l'aide d'une relique, de la robe sans couture du Christ, conservée à Argenteuil. Le Cardinal, assisté de deux grands vicaires, l'écoutait, debout.
Quand il eut terminé et qu'il eut en outre fourni les renseignements qu'on lui réclamait sur ses cures des sortilèges, le Cardinal Guibert dit:
– vous feriez mieux d'aller à la Trappe!
Et je me rappelle, mot pour mot, sa réponse:
– si j'ai violé, les lois de l'église, je suis prêt à subir la peine de ma faute; si vous me croyez coupable, faites un jugement canonique et je l'exécuterai, je le jure sur mon honneur sacerdotal; mais je veux un jugement régulier, car, en droit, personne n'est tenu de se condamner soi-même, nemo se tradere tenetur, dit le Corpus Juris Canonici.
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