Il restait étonné de la tournure qu'avait prise cette conversation; il chercha un joint pour en revenir à ce point de départ d'où Hyacinthe l'avait écarté, au satanisme du chanoine Docre.
– enfin, ne pensons plus à cela, dit-elle en s'approchant. Elle souriait, redevenait la femme qu'il avait connue.
– mais, si vous ne pouvez plus communier à cause de moi…
elle l'interrompit. -vous plaindrez-vous de n'être pas aimé? -et elle l'embrassa sur les yeux.
Il la serra poliment dans ses bras, mais il la trouva frémissante et, par prudence, il s'écarta.
– il est donc bien inexorable, votre confesseur?
– c'est un homme incorruptible, des anciens temps. Je l'ai, du reste, choisi exprès.
– si j'étais femme, il me semble que j'en prendrais un, au contraire, qui serait câlin et souple, qui n'écartèlerait pas avec de gros doigts les petits paquets de mes péchés. Je le voudrais indulgent, huilant le ressort des aveux, amorçant avec des gestes tout doux les méfaits qui rentrent. Il est vrai que l'on risque alors de s'amouracher d'un confesseur qui est peut-être, lui-même, sans défense, et…
– et c'est l'inceste, car le prêtre est un père spirituel, et c'est aussi le sacrilège, car le prêtre est consacré. Oh! J'ai été folle de tout cela!
Fit-elle, subitement exaltée, se parlant à elle-même.
Il l'observa. Des étincelles filaient dans ses extraordinaires yeux de myope. Il venait évidemment, sans s'en douter, de la frapper en plein vice.
– voyons, et il sourit, -me trompez-vous toujours avec un faux moi-même?
– je ne comprends pas.
– oui, recevez-vous, la nuit, la visite de l'incube qui me ressemble?
– non, puisque je vous possède en chair et en os, je n'ai nul besoin d'évoquer votre image.
– savez-vous que vous êtes une jolie satanique?
– cela se peut, j'ai tant fréquenté de prêtres!
– vous allez bien! Répondit-il en s'inclinant; mais, écoutez-moi, et rendez-moi service, ma chère Hyacinthe, en me répondant. Vous connaissez le chanoine Docre?
– eh bien oui!
– mais enfin, quel est cet homme, dont j'entends constamment parler?
– par qui?
– par Gévingey et des Hermies.
– ah! Vous fréquentez l'astrologue. Oui, celui-là s'est jadis rencontré, dans mon salon même, avec Docre, mais j'ignorais que le chanoine eût des relations avec des Hermies qui ne venait pas dans ce temps-là chez moi.
Il n'en a aucune. Des Hermies ne l'a jamais vu; il n'a, lui aussi, entendu que les racontars de Gévingey; en somme, qu'y a-t-il de vrai dans tous les sacrilèges dont on accuse ce prêtre?
– je l'ignore. Docre est un galant homme, savant, et bien élevé. Il a même été confesseur d'une altesse royale et il serait certainement évêque, s'il n'avait pas quitté le sacerdoce. J'ai entendu dire bien du mal de lui, mais, dans le monde clérical surtout, l'on dit tant de choses!
– mais enfin, vous l'avez personnellement connu!
– oui, je l'ai même eu pour confesseur.
– alors, il n'est pas possible que vous ne sachiez à quoi vous en tenir sur son compte?
– c'est en effet, présumable. Enfin, voici des heures que vous tournez autour du pot; que voulez-vous apprendre, au juste?
– mais tout ce que vous voudrez bien me confier; est-il jeune, beau ou laid, pauvre ou riche?
– il a quarante ans, il est bien de sa personne et il dépense beaucoup d'argent.
– croyez-vous qu'il se livre aux envoûtements, qu'il célèbre la messe noire?
– c'est fort possible.
– pardonnez-moi de vous forcer ainsi dans vos retranchements, de vous arracher de même qu'avec un davier les mots; puis-je même être tout à fait indiscret?… cette faculté de l'incubat…
– parfaitement; c'est de lui que je la tiens; j'espère que vous êtes satisfait maintenant.
– oui et non. Je vous remercie de votre bonne grâce à me répondre, -je sens que j'abuse, -une dernière question pourtant. Ne connaîtriez-vous pas un moyen qui me permettrait de voir en personne le chanoine Docre?
– il est à Nîmes.
– pardon, il est à Paris, pour l'instant.
– ah! Vous savez cela! Eh bien, si je connaissais ce moyen, je ne vous l'indiquerais pas, soyez-en sûr.
Il ne vous serait pas bon de fréquenter ce prêtre!
– vous avouez donc qu'il est dangereux?
– je n'avoue, ni ne nie; je dis simplement que vous n'avez rien à faire avec ce prêtre!
– mais si; j'ai des renseignements à lui demander pour mon livre sur le satanisme.
– vous vous les procurerez d'une autre manière.
D'ailleurs, reprit-elle, en mettant son chapeau devant une glace, mon mari a rompu toute relation avec cet homme qui l'effraye; il ne vient donc plus comme autrefois chez nous.
– ce ne serait pas une raison pour…
– pour quoi? Dit-elle, en se retournant.
– pour… rien. -il retint cette réflexion: mais pour que vous ne le fréquentiez point.
Elle n'insista pas; elle se tapotait les cheveux sous sa voilette. -mon Dieu, comme je suis faite! – il lui prit les mains et les embrassa. -quand vous verrai-je?
– je ne croyais plus venir.
– allons, vous savez bien que je vous aime ainsi qu'une bonne amie, dites, quand viendrez-vous?
– après-demain, à moins que cela vous dérange.
– du tout!
– alors, au revoir. Ils se baisèrent sur la bouche.
– et surtout ne rêvez pas au chanoine Docre, fit-elle, en le menaçant du doigt, au moment où elle partit.
– que le diable t'emporte, avec tes réticences! Se dit-il, en refermant la porte.
Q uand je songe, se dit Durtal, le lendemain, qu'au lit, à ce moment, où la plus pertinace volonté succombe, j'ai tenu bon, j'ai refusé de céder aux instances de Hyacinthe voulant prendre pied ici et qu'après le déclin charnel, à cet instant où l'homme diminué se reprend, je l'ai suppliée, moi-même, de continuer ses visites, c'est à n'y rien comprendre! Au fond, je n'avais pas arrêté la ferme résolution d'en finir avec elle; et puis je ne pouvais cependant la congédier comme une fille, reprit-il, pour se justifier l'incohérence de ce revirement. J'espérais aussi avoir des renseignements sur le chanoine. Oh mais, à ce propos, je ne la tiens pas quitte, il faudra qu'elle se décide à parler, à ne pas répondre par des monosyllabes ou des phrases en garde, ainsi qu'hier!
Au fait, qu'a-t-elle pu faire avec cet abbé qui a été son confesseur et qui, de son aveu même, l'a lancée dans l'incubat? Elle a été sa maîtresse, cela est sûr; et combien, parmi ces autres ecclésiastiques qu'elle a fréquentés ont été ses amants aussi? Car elle l'a confessé, dans un cri, ce sont ces gens là qu'elle aime! Ah! Si l'on fréquentait le monde clérical, l'on apprendrait sans doute de curieuses particularités sur son mari et sur elle; c'est tout de même étrange, Chantelouve qui joue un singulier rôle dans ce ménage, s'est acquis une déplorable réputation et, elle, pas.
Jamais je n'ai ouï parler de ses frasques; mais non, que je suis bête! Ce n'est pas étrange; son mari ne s'est pas confiné dans les cercles religieux et mondains; il se frotte aux gens de lettres, s'expose par conséquent à toutes les médisances, tandis qu'elle, si elle prend un amant, elle le choisit, certainement, dans des sociétés pieuses où aucun de ceux que je connais ne serait reçu; et puis, les abbés sont des gens discrets; mais comment expliquer alors qu'elle vienne ici? Par ce fait bien simple qu'elle a probablement eu une indigestion de soutaniers et qu'elle m'a requis pour faire un intérim de bas noirs. Je lui sers de halte laïque!
C'est égal, elle est tout de même bien singulière, et plus je la vois, moins je la comprends. Il y a en elle trois êtres distincts:
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