Bernard Clavel - Malataverne

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Malataverne... C'est la ferme de la mère Vintard, un coin tout au fond du vallon que le soleil ne réchauffe jamais. Avec ses ruines, on dit même que l'endroit porte malheur. Mais pour Christophe, Serge et Robert, trois garçons du village, ce nom résonne plutôt connue une sacrée aubaine: ils ont découvert où la vieille cache son magot et le lui dérober sera un jeu d'enfant. Pour les deux aînés, l'affaire est entendue, niais Robert, le plus jeune, a encore des doutes. Il n'a que quinze ans et, cette fois, il ne s'agit pas comme d'habitude de chaparder quelques fromages: c'est un crime qu'ils organisent. Et puis il a un mauvais pressentiment: rien de bon ne peut sortir de Malataverne...

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Bernard Clavel

Malataverne

Créateurs de livrels indépendants v 50 PREMIÈRE PARTIE 1 À la limite - фото 1

Créateurs de livrels indépendants.

v. 5.0

PREMIÈRE PARTIE

1

À la limite du Bois Noir, Christophe s'arrêta. Sans se retourner, le corps incliné et le cou tendu en avant, il fit un geste rapide de sa main ouverte. Les deux autres s'étaient déjà immobilisés à quelques pas derrière lui. Retenant leur souffle, ils écoutaient, sans quitter des yeux sa silhouette qui se détachait sur le ciel encore clair.

Le chemin des Froids était là, tout de suite après les derniers baliveaux. Se haussant sur la pointe des pieds, Robert aperçut la ligne sombre des murgers qui bordent le clos des Bouvier. Il voulut se pencher vers la gauche pour regarder en direction de la maison, mais son pied porta sur une branche morte. Dans le silence, le craquement sembla courir très loin, rejeté de tronc en tronc, escaladant la colline jusqu'au fond du bois.

- Tu es marteau! souffla Serge.

Christophe s'était retourné. Il se rapprocha sans bruit.

- C'est une branche, murmura Robert.

- Faut faire gaffe, mon vieux, expliqua Christophe; quand tout est calme comme ce soir, les bruits portent loin.

Il s'était assis sur ses talons, au pied d'un hêtre. Serge et Robert s'accroupirent à côté de lui. Ils demeurèrent ainsi un long moment à écouter la nuit, à regarder dans la direction du verger où l'ombre sortait de la terre, noyant le coteau et gagnant peu à peu le bas du ciel.

Dans toute la vallée, la vie du jour s'était endormie et celle de la nuit s'éveillait lentement. Pour l'instant, seul le bourdonnement des trois cascades de l'Orgeole montait jusque-là. Arrivant entre les arbres, il semblait un murmure du bois; comme une plainte étouffée.

Sur l'autre versant, les terres cultivées et les prés jaunis gardaient encore un reste de jour, une vague rousseur qui flottait par places entre les touffes noires des genêts. La route se dessinait à peine.

À mi-hauteur entre le grand tournant et les bois du sommet, la lampe s'alluma dans la cour de la ferme Ferry. Tout autour, la nuit s'épaissit, et l'autre versant fut bientôt aussi sombre que le Bois Noir et les terres du bas-fond.

- Je crois qu'on devrait y aller, murmura Serge.

Christophe se leva, fouilla l'ombre du regard en direction du chemin, puis, se penchant vers eux, il expliqua:

- On va ramper jusqu'au chemin. Là, on remontera un peu. Une fois au tournant, on peut voir la baraque. Si la lucarne de l'écurie est éclairée, c'est le moment d'y aller. Tant qu'ils seront en train de traire, on est tranquille.

- Tu es bien certain qu'ils vont traire tous les deux? demanda Robert.

- Tu me prends pour qui? Quand je me renseigne, moi, c'est du travail sérieux!

- Et le chien?

Serge intervint. Sans trop hausser le ton, mais hargneux malgré tout, il lança:

- Si tu mouilles, on ne t'oblige pas à nous suivre!

Plus calme, Christophe ajouta:

- D'ailleurs, leur chien est toujours attaché, tu le sais aussi bien que nous. Le tout, c'est qu'il ne gueule pas.

Il se mit à avancer sur les mains et les genoux, s'arrêtant à chaque instant. Serge le suivait, puis Robert.

Arrivés au bord du talus, ils firent une pause plus longue. Le chemin était à deux mètres à peine en contrebas. Malgré l'ombre des pierrailles coiffées de murgers, Robert distinguait nettement les deux lignes noires des ornières qui se perdaient sur la gauche, à l'endroit où la roche affleure.

- Vous allez regarder comment je m'y prends, murmura Christophe, et tâchez de ne pas faire trop de boucan, à présent, on n'est pas loin. Et surtout, passez bien au même endroit que moi.

Une racine sortait du sol juste au sommet du talus. Christophe l'avait empoignée d'une main et s'était allongé sur la crête. À présent, il se laissait glisser lentement, les pieds contre l'herbe, courbant puis redressant insensiblement son corps large et épais. Il y eut un froissement à peine perceptible, un peu de terre sèche coula entre des ronces et ce fut tout.

Christophe se trouvait à présent suspendu au-dessus du chemin. Il parut hésiter quelques secondes puis, un pied appuyé contre la paroi et l'autre rejeté en arrière, il lâcha prise. La racine vibra comme un ressort. Robert ne perçut même pas le bruit des chaussures heurtant le sol. Déjà, Christophe s'était accroupi et demeurait immobile. Un peu de terre détachée de la racine continuait à couler entre les feuilles sèches avec un grignotis d'insecte.

Christophe leva la main.

- À toi, Serge!

Serge à son tour s'allongea, empoigna la racine et se laissa aller. Il était moins grand et bien plus mince, mais ses sandales raclèrent le talus d'où une pierre se détacha. Elle roula jusque dans l'ornière où le pied de Christophe l'arrêta. Christophe s'approcha et, empoignant les jambes de Serge, il souffla:

- Lâche tout.

Il le déposa sur le sol en disant:

- Reste derrière les ronciers, et bouge pas.

Il revint se placer au milieu du chemin, en face de l'endroit où se trouvait Robert.

- Lève-toi, dit-il.

Robert obéit.

- Tu ne vois rien, du côté de la maison?

Robert scruta l'ombre vers la droite. La nuit s'était encore épaissie. Devant lui, passé le verger dont les derniers arbres se confondaient avec le pré, la masse des monts de Duerne se découpait toujours sur le ciel, mais les bois ne se distinguaient plus des terres et des pâtures. Seule, la tache à peine plus claire de l'ancienne carrière permettait de situer l'endroit où commence la plantée des pins. Très loin, dans le prolongement du coteau, trois lumières tremblotaient. Sur le versant opposé, la cour des Ferry était toujours éclairée, comme une fenêtre ouverte au flanc de la terre, délimitée par les murs, la maison et le portail.

- Alors, demanda Christophe, tu vois quelque chose?

Robert regarda de nouveau sur la droite, vers le repli de terrain qui lui cachait la ferme Bouvier.

- Non, dit-il, je ne vois rien.

- Eh bien, saute!

- Tu es fou.

- Saute, je te dis, carrément sur moi, et t'occupe pas du reste.

Robert hésitait. Il se pencha en avant. Christophe avait ouvert les bras.

- Alors quoi, ça vient?

Robert se pencha un peu plus, fléchit les genoux et tendit ses mains en direction des épaules de son camarade.

Il n'y eut aucun choc et Christophe le déposa près de Serge.

- Vous n'êtes pas encore mûrs pour opérer en douce, tous les deux. Heureusement que vous êtes de vraies plumes.

- Moi, précisa Robert, je fais tout de même soixante-trois kilos.

- C'est rien ça. Mais Serge ne doit pas peser plus de cinquante.

Serge ne dit rien. Seul, Christophe était resté debout et regardait par-dessus les broussailles.

Sans se lever, Robert se retourna. Derrière eux, c'était tout de suite l'ombre lourde du bois qui pesait sur le chemin.

- Alors, demanda Serge, on se décide?

- Allez, ordonna Christophe; suivez-moi, et surtout, restez baissés.

Ils se mirent à avancer le long de la haie de broussailles, courbés en deux, s'arrêtant tous les dix pas pour écouter. La plainte du ruisseau montait toujours du fond du val, mais elle n'était plus le seul bruit de la nuit. Sur leur droite, la forêt vivait, animée de frôlements, de battements d'ailes et de cris d'oiseaux. Dans le verger, les grillons et les courtilières s'appelaient.

Au virage, la haie s'ouvrait, remplacée sur quelques mètres par quatre fils de fer barbelés. Christophe resta un instant debout sans bouger; puis, se retournant, il fit signe aux autres d'approcher.

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