– Par le ciel! cria-t-il, ceci est indigne d’un gentilhomme.
Et il se mit en garde, la rapière au vent. Loraydan comprit que l’instant décisif était venu. Avec le courage de l’homme qui joue tout pour tout, il s’élança au risque d’être percé de part en part, écarta violemment de la main l’épée de don Juan.
– Jour de Dieu! cria François I er, ému par cette bravoure, prends garde, Loraydan!
– N’ayez pas peur, sire!…
Le roi, Essé et Sansac ne virent plus rien qu’un groupe indistinct hérissé de gestes forcenés et d’où venaient des grognements… puis tout cela s’effaça dans la nuit… dans la direction de la rue du Temple.
Une minute s’écoula.
Et soudain, Loraydan reparut.
Il essuyait sa rapière à un pan de son manteau… oui, oui: il essuyait sa rapière!… Loraydan faisait toujours le geste qu’il faut. Avec lui, rien d’inutile – ou le moins possible.
Le roi vit donc très bien le geste qu’il fallait qu’il vît, et s’écria:
– Tu l’as tué!…
– Non. Mais il en tient. Il a pris la fuite dès que je l’eus touché, et il m’a échappé dans la nuit. Je crois que, de sitôt, il n’osera revenir rôder dans le chemin de la Corderie.
– À moins qu’il n’y vienne tresser la corde qui doit le pendre.
Les trois courtisans applaudirent d’un rire bruyant le bon mot du roi; puis, Loraydan:
– En effet, sire: ce Clother de Ponthus, tout gentilhomme qu’il puisse être, doit périr par le chanvre et non par l’acier, car il a insulté le roi.
– C’est vrai, dit Sansac. Il y a lèse-majesté.
– Il y a haute trahison, dit Essé.
– Et tu dis, demanda François I er, qu’il se nomme Clother de Ponthus?
Loraydan répondit:
– C’est bien son nom: Clother de Ponthus.
Le roi François I erdemanda:
– Ponthus?… De quelle famille?… Et tout aussitôt, il ajouta:
– De qui ce Clother est-il fils?…
… Il y eut un moment de silence. La nuit parut plus sombre. Il y avait de l’angoisse dans l’air… et cependant, Agnès de Sennecour ne se levait pas de sa tombe pour répondre à la question du roi…
– Sire, dit Loraydan, Clother est fils de Philippe, seigneur de Ponthus… la seigneurie de Ponthus est aux abords de Brantôme, près Périgueux.
– Philippe de Ponthus? fit le roi.
Et il jeta un regard sombre vers l’hôtel d’Arronces. Et il murmura un nom. Loraydan acheva:
– Philippe de Ponthus, oui, sire: ce Philippe est mort à la suite d’un duel qui a eu lieu dans le parc d’Arronces et où lui-même tua Maugency.
– Oui bien. Et où tu te battis, toi, contre ce Clother?
– C’est vrai. J’eusse mieux fait de le tuer ce matin-là. Mais lorsqu’il vit tomber son père, il me demanda d’arrêter notre combat; j’y consentis, je m’en repens.
– Non pas. Tu fus généreux, Loraydan. J’aime les gens généreux. La générosité dans le combat est une preuve de courage. Elle est l’apanage de tout bon gentilhomme. Quant à cet insolent, demain, je donnerai l’ordre au prévôt de le saisir et d’en faire prompte justice…
– Sire, dit Loraydan, si cela vous agrée, j’irai trouver M. de Croixmart, votre grand-prévôt, et lui fournirai tous les renseignements nécessaires touchant Clother de Ponthus.
– Je le veux, dit François I er. Et maintenant, qu’on ne prononce plus devant moi ce nom de Ponthus.
Loraydan fut frappé d’étonnement et d’inquiétude. Pourquoi le roi ne voulait-il plus qu’on prononçât devant lui le nom de Ponthus? À cause de ce qui venait de se passer? Non, non. Ce ne pouvait être cela.
Pourquoi, pourquoi le roi de France ne voulait-il pas, entendre le nom de Ponthus?
Pourquoi, en parlant, s’était-il tourné vers l’hôtel d’Arronces?
Pourquoi sa voix, en disant ces mots, était-elle devenue sourde, et si arrière, si triste?…
Loraydan, Essé, Sansac s’étaient reculés de quelques pas, respectant cette rêverie soudaine du roi. Et François I er, tournant le dos au logis Turquand, s’était avancé vers la grille d’Arronces.
Et si Loraydan avait pu approcher d’assez près pour écouter ce que murmurait le roi, voici ce qu’il eût entendu:
– Tu es morte, Agnès! Morte depuis si longtemps. Et il a suffi de ce nom de Ponthus pour te faire revivre. Et toujours, tu vis en mon âme, ô toi que j’ai tant aimée. Et je n’arrive pas à te faire mourir dans mon souvenir, ô Agnès! Pourquoi, du moins, ah! pourquoi ne m’as-tu pas laissé cet enfant dont j’attendais la venue avec tant d’heureuse impatience? Agnès, je te jure que toutes mes promesses je les eusse tenus: l’enfant eût été l’égal des enfants du roi… L’enfant est mort! Il est mort, Agnès, et ceci est bien étrange: je n’arrive pas plus à oublier la mort de l’enfant que ta propre mort, Agnès! Même aujourd’hui, je revois Philippe de Ponthus que tu m’envoyas. Je l’entends encore me dire: «L’enfant est mort, sire, mort avec la mère!…»
Le roi se retourna vers ses trois compagnons attentifs, muets, étonnés.
Quelques minutes, lentement, s’écoulèrent.
La tête baissée, François I ersongeait… Il songeait ceci:
– Oui, ce fut Philippe de Ponthus qui m’annonça la mort de l’enfant. Ce Ponthus ne m’aimait guère. Il fut mêlé à toute cette histoire et je ne pus jamais démêler son rôle… N’est-il pas étrange que son fils, à son tour, s’en vienne rôder autour de l’hôtel d’Arronces?
Les trois courtisans l’entendirent qui murmurait d’indistinctes paroles qu’ils ne purent saisir. Le roi disait:
– N’y pensons plus. Par une heureuse coïncidence, le fils payera pour l’inquiétude et les soupçons que m’inspira le père. Voilà tout. Allons! fit-il brusquement.
– Sire, s’empressa Sansac, nous reprenons notre plan contre le logis Turquand?
Le roi tressaillit, revenu de très loin.
– Le logis Turquand? fit-il en frissonnant. Non, non. Pas ce soir… Jamais plus, peut-être!… Il fait très froid aux abords de l’hôtel d’Arronces… entrons, messieurs, rentrons au Louvre!…
Ne pensons plus au logis Turquand…
Loraydan étouffa un rugissement de joie frénétique. Il renfonça sa dague au fourreau et leva vers le ciel étoilé un regard fulgurant d’allégresse.
Une heure plus tard, le roi de France reposait en son Louvre. Essé, Sansac et Loraydan, qui l’avaient escorté, se séparèrent alors et chacun d’eux reprit le chemin de son logis… Mais le roi, au dernier moment, avait pris Loraydan à part et lui avait dit:
– Je suis content de toi. Je t’ai promis une charge à la cour. Tu l’auras, et si belle que tes bons amis en seront malades. Songe donc à la conquérir par un dernier effort… Cette Léonor d’Ulloa… Il faut que tu l’épouses. Il le faut, Loraydan! N’oublie pas ce que je t’ai dit: «Tu épouses la noble Espagnole, et c’est pour toi la fortune. Tu ne l’épouses pas… et c’est la disgrâce, l’exil… ou un cachot. Va-t’en maintenant, car je suis fatigué de tous ces soucis d’État… va, et songe à m’obéir.»
XXXVI LORAYDAN ARRANGE SON MARIAGE AVEC LÉONOR D’ULLOA
Il était une heure du matin lorsque le comte de Loraydan rentra en son hôtel du chemin de la Corderie. Dans la cour, il trouva Brisard qui attendait, mélancolique, une lanterne à la main, le moment de s’aller coucher pour dormir son heureux sommeil exempt d’insomnies, car – depuis le départ de l’homme mort – les noirs soucis venaient bien rarement le visiter. Nous disons mélancolique, parce que tel était son état mental chaque fois qu’il avait bu. Or, Brisard, cette nuit-là, avait bu plus et mieux que le jour de sa visite à la taverne du Bel-Argent, on va voir comment.
Читать дальше