Quant à M. Copernic, il était monté hier, son violon sous son bras, pour faire une visite à «son petit ami»; mais tante Mimi ne l'a pas laissé entrer.
— Mon neveu est fatigué, monsieur, et le docteur nous a recommandé de le laisser en famille.
C'est Violette qui a entendu ça, et il paraît que le pauvre Copernic a redescendu l'escalier, tout déconfit, avec son violon, ses chansons, et son jeu des choses qu'on aime!.. Mais il verra, quand maman sera là!
Et tante Mimi? Eh bien, tante Mimi fait ce qu'il faut faire, elle fait toujours ce qu'il faut faire. Pendant la maladie de Riquet, jamais elle n'a été en retard d'une minute pour lui préparer ses enveloppements et ses cataplasmes, mais jamais non plus elle ne s'est approchée de son lit pour lui sourire. Il y a comme une barrière entre elle et nous; dès que nous parlons de maman, elle sort tout doucement, et elle s'en va chez les Fantout décharger son cœur. Je le devine, parce que, quand Mme Fantout me rencontre, elle prend avec moi des airs, des airs. Ça m'est égal; ça m'est égal aussi que tante Mimi nous quitte, je voudrais la regretter un peu, mais je ne le peux pas.
MERCREDI 28, 5 HEURES.
Tante Mimi est partie, partie pour tout de bon, ce matin, de bonne heure, et maintenant, elle est chez elle, au Havre!.. C'est hier soir qu'elle a annoncé la nouvelle à papa.
— Fernand, imaginez-vous qu'on m'appelle au Havre, oui, une lettre de M. Cousinot, mon propriétaire, que je viens de trouver chez la concierge: il y a une fuite dans ma tuyauterie d'eau et il me demande les clefs pour pouvoir faire entrer les plombiers; vous comprenez bien que je ne veux pas d'ouvriers dans ma maison, pendant mon absence! Alors, n'est-ce pas, à un jour près, comme Minette revient jeudi… Je partirai demain matin, au train de 10 heures 10.
Demain matin!.. Nous nous regardions, Estelle et moi, nous avions du mal à ne pas avoir l'air contentes… Et Riquet qui, de son lit, nous faisait des signes!
— Mais, a dit papa, je le comprends très bien, Mimi; c'est déjà trop bon de votre part d'être restée si longtemps; vous vous êtes tant fatiguée pour nous, jamais nous ne l'oublierons!
Il parlait, il parlait, j'avais un peu honte; c'était vrai, tout ce qu'il disait.
— Et moi, ai-je ajouté, je t'écrirai souvent, tu sais; ça… ça va nous manquer de ne plus te voir!
— Oui, oui, a fait distraitement tante Mimi, et j'ai surpris son œil inquiet fixé sur Estelle; mais Estelle, penchée sur son assiette, n'a même pas relevé la tête.
Nous sommes allées nous coucher, et je dormais depuis un long moment, je crois, quand un bruit léger me réveille et, à la lueur de la lune qui passait entre les volets, j'aperçois tante Mimi dans sa grande chemise de nuit blanche. Elle s'approche sans bruit, — moi, je ne bouge pas, — se penche sur le lit, si près que je sentais son souffle, et nous regarde longtemps, longtemps, sans nous toucher. Et puis, tout d'un coup, elle s'écarte, soupire et, tendant par-dessus moi son bras maigre, caresse la joue d'Estelle, furtivement. Là, j'ai entr'ouvert un petit peu les yeux et j'ai pu voir son geste un peu gauche, tout plein de timide tendresse.
Estelle avait senti le frôlement, dans son sommeil; elle s'est retournée, souriante, et a murmuré tout bas:
— Maman!
Tante Mimi s'est redressée si brusquement que j'ai failli oublier que je dormais; on aurait dit qu'elle s'était coupée avec un couteau, et ça m'a fait tant de peine pour elle que je n'ai pas eu le courage de rouvrir les yeux pour la regarder partir. Je me suis rendormie et, le lendemain, elle était si bien comme d'habitude que j'ai pu croire un moment que j'avais rêvé. Elle allait de l'armoire à sa valise, de sa valise à l'armoire, en répétant que, dans tout ce fouillis, elle allait sûrement oublier quelque chose.
— Veux-tu que je t'aide?
— Ah! non, par exemple, tu embrouillerais tout!.. Occupe-toi plutôt du petit déjeuner!
Mais il y avait une complication: qui l'accompagnerait à la gare? Papa était obligé d'aller chez M. Martinet qui lui donne congé, demain matin, pour l'arrivée de maman; moi, j'avais Riquet. Estelle m'a attirée à l'écart.
— Je ne peux pas manquer l'école, je viens de le dire à papa: c'est la composition de français!
— Qu'est-ce que vous complotez? a demandé tante Mimi, le nez dans sa valise.
Estelle s'est sauvée sans répondre, et il a bien fallu que je lui explique. Elle s'est mise à rire.
— En voilà des histoires pour rien! Comme si je ne pouvais pas aller foute seule à la gare!
Mais on voyait qu'elle pensait le contraire, et j'ai proposé piteusement:
— Si tu veux, moi, je t'accompagnerai… Maman Petiot viendra jeter un coup d'œil sur Riquet, et je le lèverai en revenant.
Et c'est comme ça que la chose s'est décidée, sans que nous en ayons grande envie, ni l'autre ni l'autre. Estelle, avant de partir pour l'école, a embrassé distraitement tante Mimi.
— Au revoir, ma tante, à bientôt!
Mais je lui ai fait de tels yeux qu'elle a ajouté très vite:
— Et on te remercie bien, tu sais!
Tante Mimi a tendu sa joue sans la regarder.
— Au revoir, ma petite!
Et quand, un peu après, nous avons entendu Estelle qui dégringolait l'escalier en fredonnant, elle s'est tournée vers moi, un peu nerveuse.
— Alors, Aline, dépêche-toi! Je veux bien que tu m'accompagnes, mais il ne faut pas tout de même que tu me fasses manquer mon train!
— Oh! ne crains rien, nous avons encore plus d'une heure… Mais tu ne dis au revoir à personne, dans la maison?
— J'ai vu les Fantout hier soir, et pour le reste!..
Et elle a fait un geste qui voulait dire que, de ce reste, elle se moquait bien. Dans le taxi — un beau taxi rouge — elle a passé son temps à compter et à recompter ses bagages. Je la regardais, je revoyais la femme si triste de la nuit. «Ce n'est pas la même, me disais-je.» Et pourtant si, c'était la même tante Mimi, il y avait tout ça dans son cœur, tandis qu'elle me répétait, de sa voix autoritaire, qu'elle avait très peur de manquer son train. Un élan n'a poussée vers elle, et je me suis mise à lui raconter des choses pour lui faire plaisir, Ies unes que je pensais, les autres que je ne pensais pas, comme, par exemple, que je serais très contente de connaître M. Cousinot, son propriétaire, quand nous irions la voir au Havre.
— Pas tout de suite, pas tout de suite, ma petite, a-t-elle répliqué; 1… 2… 3…, je ne vois pas le carton jaune. Où l'as-tu mis, empotée que tu es?… Ah! le voilà… Garde-moi bien tout, au moins, pendant que je vais prendre mon billet!
— Oh! oui, sois tranquille!
Qu'est-ce que je pouvais faire de plus? J'avise une marchande de journaux, et j'en choisis un: «La femme à la mode», qui me coûte trente francs, tout ce que j'ai; mais la couverture est magnifique et, quand tante Mimi revient, je le luit tends; elle ouvre des yeux ronds.
— C'est pour moi? Que tu es drôle, Aline! Mais tu ne t'es pas trop éloignée des bagages, au moins?
Et comme je l'embrassais plusieurs fois en la quittant, pour Estelle autant que pour moi, elle m'a repoussée doucement, en s'écriant qu'elle avait tout juste le temps de monter si elle voulait avoir un coin avant. Du quai, je lui faisais des signes, mais elle ne me regardait pas, et, quand le train a démarré, je l'ai vue qui discutait avec une dame, à propos de la fenêtre ouverte.
Je suis sortie, j'avais envie de pleurer. Dans l'autobus, un peu moins, un peu moins encore en en descendant, et, à mesure que je me rapprochais de chez nous, ma joie revenait, je riais toute seule, et j'ai monté l'escalier quatre à quatre, tant j'avais hâte de retrouver la maison, la maison sans tante Mimi. Voilà comment on est!
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