Колетт Вивье: La maison des petits bonheurs

A ce moment, une idée me vient; je monte chez nous quatre à quatre.

— Maman, maman, qu'est ce que tu donnes, toi, à Mme Petiot?

Et voilà que maman n'avait rien acheté, tant elle avait pensé à nos robes! Alors, on est vite descendues et on a fait toute l'avenue sans rien trouver; si, il y avait bien un très joli collier à l'Uniprix, mais cher: cinq cents francs, c'était fou!..

— Mais qu'est-ce que je vais offrir, qu'est-ce que je vais offrir? répétait maman; ah, décidément, j'oublie tout, ma pauvre fille!

Finalement, je me suis souvenue du marchand d'oiseaux, impasse Janvier, et nous avons acheté un petit serin charmant, dans une cage minuscule: deux cents francs le tout. Riquet était ravi, il aurait voulu garder l'oiseau, mais pas Estelle, à cause de bruit que ça fait.

Maintenant, il faut ressayer les robes; et puis encore mon problème!

Dans lescalier, ça sent la vanille quand on passe devant chez grand-mère Pluche; elle doit faire le gât…

DIMANCHE SOIR 14.

Hier, c'est maman qui m'a interrompue pour que je fasse mon problème. Mais, la fête, la fête… Quelle bonne journée, comme nous avons ri! Ce soir, ma chemise est trempée, et j'ai tellement mal aux jambes que je ne sais pas comment je vais faire pour aller jusqu'à mon lit (je suis dans la cuisine). Mais que je raconte vite!

D'abord, on était vraiment belles! Estelle avait ses boucles, avec un ruban vert assorti à sa robe, et moi, ni boucles ni ruban, mais une magnifique barrette en or, que maman m'avait prêtée. Pour Riquet, sa culotte était un peu juste; par contre, les chaussettes neuves vont très bien; il s'en soucie d'ailleurs comme d'une guigne.

A déjeuner, on a mis nos serviettes pour ne rien salir, mais je n'ai presque pas mangé, parce que je me réservais pour les gâteaux; et puis, c'était des poireaux.

— On y va? On y va? répétions-nous à chaque instant.

A la fin, maman a dit: «Oui, on y va», et on est sortis, oiseau en tête, juste au moment où Mme Misère arrivait sur le palier avec Mlle Noémie, grand'mère Pluche et Gabriel. Ah, nous avons fait une entrée! Les Petiot en étaient au fromage.

— Bonne fête, bonne fête, maman Petiot! avons-nous crié tous ensemble.

Maman Petiot s'est levée d'un bond:

— Quelle surprise! Si je m'y attendais, par exemple!

Un à un, nous lui avons donné nos cadeaux; elle s'exclamait, remerciait, et elle a embrassé tout le monde, même papa! Je dois dire que, de tout, ce qui a eu le plus de succès, c'est le serin: Nono, dès qu'il l'a vu, a pointé son petit doigt vers lui en criant: «Zo! zo!», et Armand a dit que ce serait son nom: «Zozo». Le col de dentelle était très joli et le gâteau, bien, quoique trop petit, à mon avis. Quant à Mme Misère, elle avait apporté des bonbons qu'on a offert à la ronde, mais c'en était encore des au goudron, et j'ai dû cracher le mien en cachette, parce que j'avais peur que ça me fasse mal au cœur pour le reste: heureusement, non.

— C'est une folie! Il ne fallait pas! répétait Mme Petiot; moi qui ai déjà été si gâtée!

Et elle a montré le cache-nez, le porte-mine, le dessin d'Armand, surtout, qui est vraiment impressionnant, «réaliste», a déclaré Mlle Noémie qui s'y connaît, et elle a ajouté que, sans aucun doute, Armand avait l'étoffe d'un grand peintre.

— Pensez-vous! pensez-vous! a repondu maman Petiot.

Mais, tout en parlant, elle regardait son Armand, et on voyait bien qu'elle le croyait aussi.

Comme il n'y avait pas assez de chaises pour nous tous, papa a couru en chercher chez nous, et on s'est installés autour de la table, les parents d'un côté, les enfants de l'autre. Et, juste alors, est arrivé le beau-frère des Petiot, M. Pirouette (un nom drôle), avec son fils Christian, une boîte de chocolats, et pas sa femme qui est enrhumée. On a mangé les chocolats, et Christian s'est assis entre Estelle et Violette; il était très chic, en culotte de golf, on aurait dit qu'il sortait d'une vitrine!

— Et bluffeur, avec ça, le Cricri! m'a soufflé Armand qui ne peut pas le souffrir.

Pendant ce temps-là, maman Petiot a tiré du buffet une immense tarte aux pommes, deux assiettes de fours secs, trois bouteilles de vin blanc et des verres.

— Tiens, tiens, je croyais que «vous ne vous y attendiez pas»? lui a dit papa en riant.

Maman Petiot a cligné de l'œil.

— Je m'attends toujours a tout, monsieur Dupin… et maintenant, trinquons, mes amis!

— Oui, oui, vive la Sainte-Mathilde!

On a eu chacun une grande part de tarte, un petit morceau du gâteau de grand'mère Pluche, cinq petits fours (Gabriel en a pris neuf!) et un verre entier de vin blanc… Ah, on était gais! Armand se trémoussait tant qu'il a renversé la moitié de son verre sur ma belle robe, je me recule… et renverse le mien sur la jambe de Violette!

— Ça ne m'etonne pas de vous! a déclare Estelle, de son air le plus «dame», tout cela pour éblouir Cricri qui était en train de lui raconter qu'il patinait sur la glace.

— Et moi, sur la lune! lui a lancé Armand; tu ne peux pas t'imaginer, Cricri, comme on y est bien.

— Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler Cricri.

— Entendu, Cricri.

— Non, non, Christian.

— Oui, Cricri.

L'autre était furieux, et Estelle haussait les épaules avec des mines, des mines… Ah, elle m'agace quand elle est comme ça; elle n'est pas ma mère, après tout, et maman ne m'a rien dit, pour la tache: c'est vrai qu'elle riait tellement, avec ce vin! Elle a même chanté «Le loup-garou» qu'elle sait si bien, et tout le monde a applaudi; papa et moi, on était fiers! Après, Mlle Noémie a récité une poésie très ennuyeuse sur l'automne, mais c'était drôle parce qu'elle poussait des soupirs comme si elle allait s'évanouir. M. Petiot a chanté «La Tosca» et Mme Misère «La Paimpolaise» d'un air tellement triste que, quand elle en a été à: «Il coule dans l'océan sans fond…» Gabriel s'est mis à pleurer à chaudes larmes. Mme Misère était très flatté.

— Ce petit-là a du sentiment, a-t-elle déclaré à qrand'mère Pluche.

Nous autres, nous riions sous cape, mais pas Estelle ni Christian qui parlaient de leurs compositions et de leurs places de premiers.

— Aline a été deuxième en récitation! s'est écriée Violette.

Christian s'est tourné vers moi.

— Eh bien, qu'elle récite quelque chose!

Je ne voulais pas, mais maman m'a fait des signes et j'ai bien été forcée d'obéir… Ah, comme j'ai bafouillé! J'avai peur, je n'en sortais plus, de mon renard et de ma cigogne; je répétais tout le temps les mêmes vers:

«La cigogne au long bec n'en put attraper miette…

La cigogne au long bec n'en put attraper miette…»

Impossible d'aller plus loin. Et, en même temps, je voyais Christian qui disait tout bas des choses à Estelle contre moi, et Estelle, oui, Estelle qui riait en me regardant… Ça m'a fait une peine! Tout d'un coup, il n'y a plus eu ni fête ni gâteaux, j'aurais voulu m'en aller seule, et pleurer. Violette s'en est bien aperçue, parce que, quand j'ai eu repris ma place, elle a passé son bras sous le mien et m'a embrassée furtivement. Elle est bonne, elle; pourquoi faut-il que, si bonne qu'elle soit, je lui préfère encore cette Estelle qui me rend triste? Ah, c'est bien mal arrangé!

Mais on frappe à la porte: c'est le charbonnier en costume du dimanche, avec un grand pot de giroflées. Nono a eu si peur de ses moustaches qu'il s'est mis à hurler comme un possédé; Violette s'est précipitée pour le prendre, et voilà qu'on s'aperçoit que, pendant qu'on chantait, il avait sucé le porte-mine rouge qu'il avait offert à sa mère; il en avait partout, jusque dans les cheveux!