Lorsqu’il leur parle de buts à atteindre, d’amour incarné, de joie sereine, de vérité, de vie et de bien d’autres sujets fondamentaux, ses paroles sont à la fois si simples et si profondes que chacune de ses réflexions semble inépuisable. De sorte qu’ils n’arrivent jamais au fond de ses pensées.
Il les déroute. Car le maître caresse avec un saisissant réalisme le rêve impossible des prophètes et des réformateurs les plus ambitieux : changer le monde !
Et eux veulent faire partie de ce rêve.
Mais seront-ils capables de suivre le maître dans cet impensable projet ?
1. La plaine fertile de Sodome et Gomorrhe se situe dans la dépression de la mer Morte. Selon la tradition, ces villes furent consumées par le feu tombé du ciel (Genèse 19.1-28).
2. Sur la communauté essénienne de Qumram, voir Flavius Josèphe, Guerre des Juifs contre les Romains, livre II, 12, trad. A. D’Andilly, Paris : LIDIS, 1968-1973, p. 707-713.
3. Jean 1.19-28.
4. Ce sont les premières paroles de Jésus enregistrées dans les évangiles (Jean 1.35-39).
5. Jean 1.35-37.
6. E. G. White, Jésus-Christ, p. 120-121.
7. Mes études des Évangiles m’ont conduit à la conclusion que ces premiers disciples de Jésus avaient moins de trente ans. La première et principale raison est qu’ils l’appellent “rabbi” (maître). Quant à Jésus, il avait alors environ trente ans (Luc 3.23) et n’avait encore jamais enseigné, parce qu’il était charpentier. Dans cette société patriarcale traditionnellement gérontocratique, il était inconcevable qu’un maître soit plus jeune que ses disciples. Encore moins qu’il se risque à exercer avant les quarante ou cinquante ans. Si ces jeunes gens s’adressent à Jésus en l’appelant “rabbi”, c’est parce qu’ils étaient nettement plus jeunes que lui. Jusqu’à la fin de son ministère, Jésus continue à les appeler paidia (Jean 21.5), terme grec qui signifie “enfants” ou “petits enfants”. Les désigner ainsi serait impensable dans cette culture s’ils avaient été plus âgés que lui. Le plus probable est qu’ils devaient avoir alors une vingtaine d’années. Leur jeunesse expliquerait leur énorme disponibilité qui leur permit de suivre Jésus à plein temps pendant plus de trois ans, ce qui aurait été très difficile s’ils avaient eu des familles à entretenir (Luc 18.28-31).
8. « Jésus-Christ qui ordonne qu’on le suive est le seul à savoir où conduit cette voie. Quant à nous, nous savons en toute certitude que ce sera une voie d’une infinie miséricorde. Vivre en disciple c’est la joie » (D. Bonhoeffer, Vivre en disciple : Le prix de la grâce, Genève: Labor et Fides, 2009, p. 20).
9. Voir Matthieu 3.7-10 et ses parallèles.
10. Jésus menaçait seulement ceux qui se délectaient à menacer les plus faibles qu’eux, c’est-à-dire les scribes et les pharisiens qui pensaient que la peur permet d’obtenir les changements désirés. Mais des menaces ne résultent que changements extérieurs et passagers. La véritable transformation naît à à la fois de l’intérieur et d’en-haut.
11. Le terme « disciple » désigne celui qui suit un maître auprès duquel il se forme.
12. Les Évangiles disent que Jésus avait quatre frères appelés Jacques, Joseph, Simon et Judas, ainsi que plusieurs sœurs (Matthieu 13.55).
13. « Il est préférable de percevoir la vie de Jésus en termes de changement plutôt qu’en termes de conservation. Il fut le Réformateur des réformateurs, et son levier de réforme fut la révélation du plan divin pour l’humanité » (G. Knight, Philosophie et éducation, Introduction et approche chrétienne, Collonges-sous-Salève : Faculté adventiste de Théologie, 2004, p. 265).
14. Selon Matthieu 28.20, les dernières paroles de Jésus seront : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».
15. Paul de Tarse, le grand disciple de Jésus, gagnait sa vie en fabriquant cette sorte de tentes (Actes 18.1-3).
16. Cette disponibilité confirme que ces disciples étaient jeunes. Quelques-unes de leurs réflexions, comme celle que rapporte Matthieu 19.10 - “S’il en est ainsi, mieux vaut ne pas se marier” – donnerait à entendre par l’usage du temps aoriste, qu’ils étaient encore célibataires. Le fait que l’on trouve un peu plus tard le disciple Pierre déjà marié ne signifie par pour autant qu’il ait été un homme d’âge mûr. En effet, l’âge idéal recommandé par les rabbins pour se marier fluctuait entre seize et vingt-quatre ans. Il est d’ailleurs bien plus facile de comprendre l’impulsion de Pierre à vouloir marcher sur l’eau (aujourd’hui, on dirait “surfer sans planche”) si on l’attribue à un emportement juvénile que le maître ne se soucie guère de satisfaire, plutôt qu’à une décision d’un adulte mûr qui ne se serait normalement pas risqué à pareil jeu (Matthieu 14.28-33). Quelque trois ans plus tard, Pierre et Jean courent à qui mieux mieux vers le sépulcre. Bien que bouleversé, Jean exprime naïvement sa satisfaction d’être arrivé le premier (Jean 20.3-8). Si l’on ajoute à cela qu’il était mal vu dans cette société que les adultes courent en public, cet incident apparaît clairement comme une affaire de jeunes gens.
17. La dixième heure équivaut plus ou moins à deux heures avant le coucher du soleil (Jean 1.39).
18. L’auteur de ce récit est Jean, l’un des deux voyageurs, qui deviendra l’apôtre bien-aimé (Jean 1.35-42).
19. Jean 1.1-14.
20. Qui aurait bien pu penser que la première activité du ministère public de Jésus fut de faire du camping avec des jeunes ?
21. “Son regard, ses traits exprimaient l’humilité, ainsi qu’un amour indicible. » (E G. White, Jésus-Christ, p. 119) ; « Dieu est amour » écrira Jean plus tard (1 Jean 4.8).
22. Jean signera son évangile du pseudonyme « le disciple bien-aimé » ou « le disciple que Jésus aimait » (Jean 21.20). « Jean lui-même, le disciple bien-aimé en qui l’image du Sauveur se trouve le plus parfaitement reproduite, ne possédait pas naturellement de dispositions particulières. Non seulement il était impérieux et ambitieux, mais encore impétueux et irritable sous l’offense. Toutefois, […] la force et la patience, la puissance et la tendresse, la majesté et la douceur qu’il contemplait dans la vie quotidienne du Fils de Dieu remplissaient son cœur d’admiration et d’amour. Jour après jour, son âme était attirée vers lui et le ‘moi’ absorbé par l’amour de son Maître. […] L’amour du Sauveur transforma son caractère » (E. G. White, Le meilleur chemin, Dammarie-les-Lys : Vie et Santé, 2015, p. 82.
2
L’invitation
Les voyageurs arrivent à Bethsaïda le cœur partagé. D’une part ils sont contents de rentrer à la maison. D’autre part il leur en coûte de se séparer du maître qui poursuit sa route vers la Galilée.1 Partager un moment de sa vie fut une expérience inoubliable qu’ils aimeraient prolonger. Parviendront-ils à le faire rester avec eux, ne fût-ce qu’un jour de plus ?
Le village encaissé entre le lac et la colline les accueille de sa large étreinte. Le long de la côte parsemée de hameaux, de petits champs en friche alternent avec le vert tendre des cultures. Cyprès noirs, caroubiers tordus et grenadiers en bordent les terrasses. Dans la paix du matin les coups de houe des paysans, frais et profonds, résonnent contre les murs et dans les puits, rythmant par à-coups le vacarme des mouettes.
Ceux qui sont en chemin s’arrêtent à peine un instant dans les premiers jardins pour boire à une vieille noria. Ils sont pressés de présenter le maître aux leurs.
Le Galiléen est un compagnon de route passionnant. Un esprit libre. Ses actes et ses dires imprévisibles déstabilisent quelque peu. Sa pédagogie, aux antipodes de celle des maîtres locaux, est si ouverte et si nouvelle que chacune de ses propositions semble un défi. Presque une protestation. Pour lui, qu’est-ce que la liberté ? Certes pas agir à sa guise, mais l’occasion de choisir le meilleur.
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