Jean et André découvrent par contre que pour trouver Dieu, il suffit de suivre Jésus.
Ce chaleureux accueil, cet intrigant message et ce charme attachant de la voix de Jésus déconcertent ceux qui sont habitués à être guidés à coups d’ordres et de prohibitions. Ils en sont d’autant plus décontenancés que Jean le Baptiste lui-même les a incités à la conversion en brandissant des menaces de haches et de feux.9 Jésus leur propose la même transformation radicale mais en empruntant une autre voie. Même s’il recourt parfois aussi à des images fortes. Le moment est venu d’inaugurer une nouvelle période dans l’expérience spirituelle de ces jeunes gens. Le discours du Baptiste a servi en son temps pour susciter en eux la crainte du jugement divin. Or le nouveau maître estime que ces jeunes n’ont désormais plus besoin de trembler de peur. Ils doivent frémir d’enthousiasme !10
Il connaît la nature de leur soif. Il sait ce qui peut transformer leur vie. Voilà pourquoi il les invite à le suivre sans ordres ni exigences, sans recourir ni de loin ni de près à la menace du châtiment. Sa pédagogie ? Une simple et cordiale bienvenue. Celle-ci suscite immédiatement en eux des désirs profonds et positifs : découvrir, progresser, avancer, croître.
Le jeune rabbi vient de rencontrer ses deux premiers disciples.11
Il a renoncé à la routine facile de sa profession d’artisan pour suivre la difficile vocation d’éducateur. Il a cessé de construire et de meubler des maisons pour se mettre à construire et à meubler des esprits. Quel défi ! Cet appel s’impose pourtant à lui avec toute la force du ciel.
Son entourage a insisté sur le fait qu’il commettait une grave erreur en fermant son atelier de charpenterie. Il était un excellent artisan au talent exceptionnel. Abandonner la modeste sécurité de sa clientèle équivalait à mettre en péril son futur. Quelle folie ! Il en va souvent ainsi. Si les pires résistances à faire quelque chose de grand viennent habituellement de nous-mêmes, l’opposition la plus farouche à assumer de nouveaux risques peut surgir de ceux qui nous aiment le plus.
Mais Jésus ne cherche pas une vie facile à l’abri de sa nombreuse parenté.12 Il veut une vie utile même si personne ne l’appuie. Son idéal ne relève pas de ce monde. C’est pourquoi il n’est pas comme tout le monde. Il a un rêve, un grand projet. Il veut construire un monde meilleur en changeant la vie des gens.13 Il n’a ni expérience ni diplômes ni moyens ni influence. Mais il a Dieu de son côté. Cela lui suffit pour se sentir optimiste, courageux et fort.
Et puis ses deux premiers disciples attendent déjà leur première leçon.
Cette leçon initiale est la plus importante de toutes. Elle détermine toutes les autres, de la première à la dernière.14 Elle consiste simplement à découvrir la puissance que transmet la présence divine dans la vie de celui qui la cherche. Car là où est Jésus, là est Dieu. Il se plaît à accompagner ceux qui le cherchent sincèrement, si jeunes, si désorientés soient-ils.
Aucun endroit du chemin qui relie la mer Morte à Jéricho n’est habité. Pourtant le maître conduit sans hésiter ses nouveaux amis au lieu où il dit résider en ce moment. Probablement là où il a logé durant sa visite au Baptiste, environ quarante jours auparavant. L’une des grottes si nombreuses dans la zone ? Un appentis de joncs au bord de la route où s’abritent l’un après l’autre les gens de passage ? Ou encore l’endroit qu’il a choisi pour planter la tente de voyage amarrée à son sac à dos qu’emportent tant de marcheurs ?15 Les vieux textes restent muets à ce sujet. Par contre ils précisent que les jeunes gens accompagnèrent le rabbi itinérant, virent où il habitait et qu’il partagea avec eux son logement de fortune jusqu’au jour suivant.
Bientôt ils décideraient de rester avec lui pour toujours.16
Ils n’oublieront jamais l’heure exacte de ce moment décisif : la dixième heure de la journée, la dernière heure de l’après-midi.17
Le jour décline. Tandis que les trois jeunes marcheurs baignent dans les derniers rayons dorés du couchant, un sentiment tout nouveau pointe dans leur cœur.
Rencontre magique, cruciale. Pour les disciples novices. Pour le nouveau maître.
De quoi parlent-ils durant cette inoubliable veillée sous les étoiles ? Les écrits des protagonistes ne le rapportent pas.18 Sauf un détail : le moment où ces jeunes gens rencontrent Jésus et décident de rester avec lui devient un marqueur dans leur histoire. Parce qu’ils ont trouvé en lui ce qu’ils cherchaient, beaucoup de choses qu’ils ne cherchaient pas, d’autres qu’ils cherchaient sans le savoir et quelque chose de meilleur que ce qu’ils étaient en train de chercher.
La leçon que le nouveau maître commence à leur enseigner concerne un verbe conjugable à toutes les personnes, à tous les temps et à tous les modes : aimer.19
Verbe irrégulier et imprévisible. Parce qu’il n’aime pas les impératifs, qu’il lui manque les temps parfaits, que son présent est généralement imparfait et son futur conditionnel. Un verbe qui exige d’être expérimenté sous toutes ses formes et accompagné de tous ses synonymes : désirer, apprécier, accueillir, soutenir, valoriser, respecter, partager. Mais comme la conjugaison de ce verbe étouffe dans les livres, ces premiers disciples doivent l’apprendre dans l’action.
Quel étonnement lorsqu’ils constatent que le verbe aimer personnifié est venu à leur rencontre ! Qu’il les a trouvés là dans ce trou perdu, dans ce bivouac imprévu.20 Si aimer vraiment est chercher le bien de l’autre, est vouloir son bonheur, alors oui, ces deux disciples découvrent en Jésus l’amour incarné, solidaire, inconditionnel. Non un sentiment éphémère mais un moteur en action, le principe vital qui leur fait reconnaître en leur maître quelqu’un qui vient de Dieu.21
Jean, probablement le disciple le plus jeune, fait plus tard allusion à ce sentiment aussi indéfinissable que nouveau qu’il commença à éprouver ce jour-là face à l’étonnante capacité d’empathie du Maître : le sentiment de se sentir accepté et compris sans avoir à exprimer de la gratitude pour tant d’affection. Et à partir de ce moment-là, il s’arroge avec audace le titre honorifique que personne n’aurait jamais osé afficher : « le disciple que Jésus aimait ».22
Apprendre à conjuguer le verbe aimer…. Première leçon si simple mais ô combien difficile et vaste du nouveau maître à ses premiers disciples et à tous ceux qui les suivront ! Leçon à entamer sur-le-champ, à poursuivre chez eux, dans leur quartier, dans leur village, dans l’atelier où ils travaillent, là où ils se détendent et, bien sûr, dans le sanctuaire où ils adorent. Si le verbe divin s’est approché d’eux par amour, mettre en pratique le verbe aimer dès maintenant sera aussi le moyen de s’approcher de l’autre et de s’élever vers le ciel.
L’amitié de Jésus fait découvrir aux jeunes gens tout ce qu’il leur faut pour donner un sens à leur vie. Que se recueillir dans la solennité d’un temple n’est pas nécessaire pour sentir la présence de Dieu mais que celle-ci se trouve aussi dans la fraîche embrassade de l’eau lors d’une baignade nocturne. Que pour entrer en communion avec le sustentateur de toutes choses, il ne faut pas nécessairement participer au rituel d’un sacrifice ; l’on peut communier avec lui en partageant avec gratitude quelques grenades et une poignée figues ou de dattes. Qu’il n’est pas besoin d’initiation mystique pour s’approcher du Créateur de l’univers ; il suffit de se laisser porter par l’émotion en contemplant les étoiles.
Les voyageurs ont rencontré le maître qu’ils cherchaient. Mais celui-ci les déconcerte. Il rompt tous leurs schémas. Ils ne savent comment le définir : conseiller admirable, maître, ami, chemin à prendre, guide de leur route…
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