Pour lui, l’objectif commun de la spiritualité et de l’éducation est d’enseigner à penser, à être, à vivre. À vivre ensemble. Donc à aimer.34
Ce courageux réformateur a beaucoup d’idées innovatrices et très peu de préjugés. D’où la présence dans son équipe de jeunes et de vieux, d’instruits et d’ignorants, d’hommes et de femmes.35 C’est nouveau dans le monde où il évolue. Surtout qu’il les accepte sans aucune préparation préalable. Il fait tout cela en marge du temple et de la synagogue, les institutions religieuses les mieux établies de son temps. Il sait que « les vérités destinées spécialement à notre époque ne se trouvent pas chez les autorités ecclésiastiques, mais chez des hommes et des femmes qui ne sont ni trop savants ni trop sages à leurs propres yeux pour croire à la parole de Dieu. »36
Ses grands thèmes sont la vérité, le courage, l’amour sincère, la vraie liberté, le bonheur authentique. Tout ce qui touche à la formation du caractère. Il persuade ses disciples que s’ils sont mécontents de la société dans laquelle ils vivent et veulent la changer, ils doivent commencer par se laisser transformer eux-mêmes. C’est la condition pour convaincre les autres, pour leur apporter de meilleures raisons de vivre et une échelle de valeurs digne de ce nom. À cette fin il exige d’eux de la réflexion, la discipline du corps et de l’esprit, le goût du travail, la joie du partage, le sens du devoir et le respect pour tous.
Il leur enseigne à ne pas confondre l’humilité avec la peur ni le contentement avec la paresse.37 À reconnaître leurs limites mais sans refuser d’utiliser leurs capacités. À se laisser guider par Dieu afin de les exploiter au maximum.
Être capable de se satisfaire de peu de biens matériels ne signifie pas être dénué de grands projets. Ni de nobles ambitions. Ni d’accepter comme excuse l’inexcusable. Ni de confondre la spontanéité avec la superficialité. Pour chaque être humain, Dieu tient en réserve un idéal de progrès et d’excellence. D’où ses perpétuels encouragements à servir au maximum de nos possibilités sans toutefois tomber dans le complexe d’infériorité, encore moins dans l’arrogance.38
Le jeune maître sait encourager, enthousiasmer, corriger avec tact, motiver à se dépasser. Il le fait avec patience, fermeté et tendresse. Par de constantes analogies, des histoires, des images. Et surtout par son exemple. Il enseigne à ses disciples à comprendre les Écritures, à interpréter la réalité, à écouter la nature, à tirer profit des expériences, à ne pas craindre la mort, à prendre au sérieux l’existence. À prier intelligemment et à imprégner son quotidien de force spirituelle. À vivre solidairement. À pratiquer le pardon. À être disposé à souffrir avant de faire souffrir, à subir le mal avant de le causer.39 En un mot à vivre une vie foncièrement positive qui transforme son entourage en un monde meilleur.40
En peu de temps, la vie pour le moins commune de Jean, André, Simon, Philippe et Nathanaël deviendra exceptionnelle en reflétant celle du maître.41 Ils n’auront besoin que de le suivre, de continuer à avancer avec lui sur ce chemin étroit et escarpé mais passionnant qui conduit des plus sombres abîmes de la médiocrité humaine aux plus hautes cimes du divin.
Ils vont le suivre de si près que bientôt les membres de leur groupe en pleine croissance seront connus de leur entourage comme « ceux du Chemin ».42
1. Jean 1.43-44.
2. F. Lenoir, Le Christ philosophe, Paris : Plon, 2007, p. 89-95.
3. « Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement, qu’il semble qu’il ne les a pas pensées, et si nettement néanmoins, qu’on voit bien ce qu’il en pensait. Cette clarté, jointe à cette naïveté, est admirable » (Blaise Pascal, Pensées, Paris : Classiques Garnier, 1961, p. 295).
4. N. Hugedé, Jésus poète, Dammarie-les-Lys : Vie et Santé, 2002, p. 51-61.
5. Matthieu 23.13; voir aussi Luc 11.52.
6. Jean 1.40-51. Bethsaïda signifie « maison de la pêche ». Au moins deux endroits se disputent ce nom, tous deux situés au bord du lac de Génésareth.
7. À l’époque, Jean et Jacques, fils de Zébédée, devaient être assez jeunes puisqu’environ trois ans plus tard, leur mère voulait leur chercher du travail (Matthieu 20.20). Le fait que Jean s’appuie naturellement sur Jésus lors du dernier souper se comprend mieux comme un geste de confiance juvénile (Jean 13.23-26) que comme le geste ambigu d’un adulte. Que ce même disciple ait été encore actif vers l’an 100 est plausible s’il avait environ dix ans de moins que Jésus.
8. Jean 1. 40-51.
9. N. Hugedé, Si Jésus te disait…, Paris : Fischbacher, 1976, p. 17-31.
10. Texte basé sur Jean 1.43-51.
11. « Philippe savait que son ami était occupé à sonder les prophéties; il découvrit sa retraite alors qu’il priait sous son figuier. Souvent, ainsi cachés par le feuillage, ils avaient prié ensemble dans cet endroit écarté » (E. G. White, Jésus-Christ, p. 122).
12. Jean 7.52.
13. « Selon Meyer, la réponse de Nathanaël ferait allusion à la réputation d’immoralité qu’aurait eu le bourg de Nazareth ; selon Lücke, de Wette, à la petitesse de cet endroit (…) Nathanaël ne se souvenant d’aucune parole prophétique qui donne à Nazareth un rôle aussi important, s’étonne, d’autant plus que Cana n’est qu’à une lieu de Nazareth et qu’il lui est difficile de se représenter ce village retiré, voisin du sien, élevé tout à coup à de si hautes destinées » (F. Godet, Commentaire sur l’Évangile de Saint Jean, t. II, Neuchâtel : L’imprimerie nouvelle, 1970, p. 164).
14. Jean 7.52.
15. E. G. White, Jésus-Christ, p. 122.
16. E. G. White, Jésus-Christ, p. 125.
17. L’épisode du songe de Jacob est relaté dans Genèse 28.10-22.
18. Genèse 28.16.
19. E. Carrère, Le royaume, Paris : P.O.L., 2014, p. 74.
20. J. Vanier, cité dans P. Van Breemen, The God Who Won’t Let Go, Notre Dame University : Ave Maria Press, 2001, p. 98.
21. Idée adaptée de D. Dolci, « L’homme ne croît que dans la mesure où il se rêve ».
22. Notre monde a exalté les champions de la plus haute antiquité à l’ère des Guinness Records.
23. Aurea mediocritas » (lit. “médiocrité dorée”) est une expression tirée d’Horace, Odes, II.10, généralement comprise comme l’apologie de la philosophie du juste milieu, du choix de la solution modérée qu’exige la prudence.
24. En matière religieuse, la tiédeur spirituelle est généralement qualifiée de « syndrome de Laodicée » (Apocalypse 3.14-22).
25. La sagesse enseignée par Jésus ne se mesure pas à la quantité de connaissances qu’elle transmet mais à la soif de connaissance qu’elle suscite. La sagesse du maître tolère, comprend, pardonne ; celle des rabbis juge, culpabilise, condamne. La sagesse des autres maîtres aspire aux titres; ceux qui suivent le maître de Nazareth demeurent d’éternels apprentis. Voir plus loin « Le message » dans J. Duquesne, Jésus, Paris : Desclée de Brouwer/Flammarion, 1999, p. 144-158.
26. E. G. White, Jésus-Christ, p. 119.
27. Jean 7.46.
28. Matthieu 5.47-48.
29. Jésus a enseigné quelque chose d’infiniment meilleur qu’une sagesse épurée ou qu’une morale civique fondée sur la justice. Il a voulu transformer les hommes à sa ressemblance. Ce qu’il annonce en ces termes: « Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau » (Ézéchiel 36 :26).
30. Dans la tradition hébraïque, le travail manuel est sacré. D’après les rabbins, « celui qui gagne sa vie à la sueur de son front est plus grand que celui qui s’enferme paresseusement dans sa piété ». Car Dieu a mis l’homme dans le jardin d’Éden “pour le cultiver et le garder” (Genèse 2.15). Et d’ajouter que le travail est si honorable que « l’artisan en plein travail n’est pas tenu de se lever devant le plus grand des docteurs ». C’est ainsi que Hillel fut bûcheron, Yehuda boulanger et Yohanan cordonnier, pour ne citer que quelques-uns des plus prestigieux rabbins. Le premier grand rabbin chrétien, Saul de Tarse, fabriquait des tentes (Actes 18.3).
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