Voilà le dixième chapitre.
1. Le Philosophe disait: Rechercher les principes des choses qui sont dérobées à l'intelligence humaine; faire des actions extraordinaires qui paraissent en dehors de la nature de l'homme; en un mot, opérer des prodiges pour se procurer des admirateurs et des sectateurs dans les siècles à venir: voilà ce que je ne voudrais pas faire.
2. L'homme d'une vertu supérieure s'applique à suivre et à parcourir entièrement la voie droite. Faire la moitié du chemin, et défaillir ensuite, est une action que je ne voudrais pas imiter.
3. L'homme d'une vertu supérieure persévère naturellement dans la pratique du milieu également éloigné des extrêmes. Fuir le monde, n'être ni vu ni connu des hommes, et cependant n'en éprouver aucune peine, tout cela n'est possible qu'au saint.
Voilà le onzième chapitre. Les citations des paroles de KHOUNG-TSEU par Tseu-sse , faites dans l'intention d'éclaircir le sens du premier chapitre, s'arrêtent ici. Or le grand but de cette partie du livre est de montrer que la prudence éclairée, l' humanité ou la bienveillance universelle pour les hommes , la force d'âme , ces trois vertus universelles et capitales, sont la porte par où l'on entre dans la voie droite que doivent suivre tous les hommes. C'est pourquoi ces vertus ont été traitées dans la première partie de l'ouvrage, en les illustrant par l'exemple des actions du grand Chun , de Yan-youan (ou Hoeï , le disciple chéri de KHOUNG-TSEU), et de Tseu-lou (autre disciple du même philosophe). Dans Chun , c'est la prudence éclairée ; dans Yan-youan , c'est l'humanité ou la bienveillance pour tous les hommes; dans Tseu-lou , c'est la force d'âme ou la force virile . Si l'une de ces trois vertus manque, alors il n'est plus possible d'établir la règle de conduite morale ou la voie droite, et de rendre la vertu parfaite. On verra le reste dans le vingtième chapitre. (TCHOU-HI.)
1. La voie droite [ou la règle de conduite morale du sage] est d'un usage si étendu, qu'elle peut s'appliquer à toutes les actions des hommes; mais elle est d'une nature tellement subtile, qu'elle n'est pas manifeste pour tous.
2. Les personnes les plus ignorantes et les plus grossières de la multitude, hommes et femmes, peuvent atteindre à cette science simple de se bien conduire; mais il n'est donné à personne, pas même à ceux qui sont parvenus au plus haut degré de sainteté, d'atteindre à la perfection de cette science morale; il reste toujours quelque chose d'inconnu [qui dépasse les plus nobles intelligences sur cette terre][6]. Les personnes les plus ignorantes et les plus grossières de la multitude, hommes et femmes, peuvent pratiquer cette règle de conduite morale dans ce qu'elle a de plus général et de plus commun; mais il n'est donné à personne, pas même à ceux qui sont parvenus au plus haut degré de sainteté, d'atteindre à la perfection de cette règle de conduite morale; il y a encore quelque chose que l'on ne peut pratiquer. Le ciel et la terre sont grands sans doute; cependant l'homme trouve encore en eux des imperfections. C'est pourquoi le sage, en considérant ce que la règle de conduite morale de l'homme a de plus grand, dit que le monde ne peut la contenir; et, en considérant ce qu'elle a de plus petit, il dit que le monde ne peut la diviser.
3. Le Livre des Vers dit [7] :
«L'oiseau youan s'envole jusque dans les cieux, le poisson plonge jusque dans les abîmes.»
Ce qui veut dire que la règle de conduite morale de l'homme est la loi de toutes les intelligences; qu'elle illumine l'univers dans le plus haut des cieux comme dans les plus profonds abîmes!
4. La règle de conduite morale du sage a son principe dans le cœur de tous les hommes, d'où elle s'élève à sa plus haute manifestation pour éclairer le ciel et la terre de ses rayons éclatants!
Voilà le douzième chapitre. Il renferme les paroles de Tseu-sse , destinées à expliquer le sens de cette expression du premier chapitre, où il est dit que l' on ne peut s'écarter de la règle de conduite morale de l'homme . Dans les huit chapitres suivants, Tseu-sse cite sans ordre les paroles de KHOUNG-TSEU pour éclaircir le même sujet. (TCHOU-HI.)
[6] Glose .
[7] Livre Ta-ya , ode Han-lou .
1. Le Philosophe a dit: La voie droite ou la règle de conduite que l'on doit suivre n'est pas éloignée des hommes. Si les hommes se font une règle de conduite éloignée d'eux [c'est-à-dire, qui ne soit pas conforme à leur propre nature], elle ne doit pas être considérée comme une règle de conduite.
2. Le Livre des Vers dit [8] :
«L'artisan qui taille un manche de cognée sur un autre manche
N'a pas son modèle éloigné de lui.»
Prenant le manche modèle pour tailler l'autre manche, il le regarde de côté et d'autre, et, après avoir confectionné le nouveau manche, il les examine bien tous les deux pour voir s'ils diffèrent encore l'un de l'autre. De même le sage se sert de l'homme ou de l'humanité pour gouverner et diriger les hommes; une fois qu'il les a ramenés au bien, il s'arrête là[9].
3. Celui dont le cœur est droit, et qui porte aux autres les mêmes sentiments qu'il a pour lui-même, ne s'écarte pas de la loi morale du devoir prescrite aux hommes par leur nature rationnelle; il ne fait pas aux autres ce qu'il désire qui ne lui soit pas fait à lui-même.
4. La règle de conduite morale du sage lui impose quatre grandes obligations: moi, je n'en puis pas seulement remplir complétement une. Ce qui est exigé d'un fils, qu'il soit soumis à son père, je ne puis pas même l'observer encore; ce qui est exigé d'un sujet, qu'il soit soumis à son prince, je ne puis pas même l'observer encore; ce qui est exigé d'un frère cadet, qu'il soit soumis à son frère aîné, je ne puis pas même l'observer encore; ce qui est exigé des amis, qu'ils donnent la préférence en tout à leurs amis, je ne puis pas l'observer encore. L'exercice de ces vertus constantes, éternelles; la circonspection dans les paroles de tous les jours; ne pas négliger de faire tous ses efforts pour parvenir à l'entier accomplissement de ses devoirs; ne pas se laisser aller à un débordement de paroles superflues; faire en sorte que les paroles répondent aux œuvres, et les œuvres aux paroles; en agissant de cette manière, comment le sage ne serait-il pas sincère et vrai?
Voilà le treizième chapitre.
[8] Livre Kouë-foung , ode Fa-ko .
[9] Il ne lui impose pas une perfection contraire à sa nature.
1. L'homme sage qui s'est identifié avec la loi morale [en suivant constamment la ligne moyenne également éloignée des extrêmes] agit selon les devoirs de son état, sans rien désirer qui lui soit étranger.
2. Est-il riche, comblé d'honneurs, il agit comme doit agir un homme riche et comblé d'honneurs. Est-il pauvre et méprisé, il agit comme doit agir un homme pauvre et méprisé. Est-il étranger et d'une civilisation différente, il agit comme doit agir un homme étranger et de civilisation différente. Est-il malheureux, accablé d'infortunes, il agit comme doit agir un malheureux accablé d'infortunes. Le sage qui s'est identifié avec la loi morale conserve toujours assez d'empire sur lui-même pour accomplir les devoirs de son état dans quelque condition qu'il se trouve.
3. S'il est dans un rang supérieur, il ne tourmente pas ses inférieurs; s'il est dans un rang inférieur, il n'assiège pas de sollicitations basses et cupides ceux qui occupent un rang supérieur. Il se tient toujours dans la droiture, et ne demande rien aux hommes; alors la paix et la sérénité de son âme ne sont pas troublées. Il ne murmure pas contre le ciel, et il n'accuse pas les hommes de ses infortunes.
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