Les quatre filles du docteur March Louisa May Alcott Les quatre filles du docteur March
Chapitre 1 - Où le lecteur fait connaissance avec la famille américaine
Chapitre 2 - Un joyeux Noël
Chapitre 3 - Le petit Laurentz
Chapitre 4 - Une famille de mauvaise humeur, ou les inconvénients des fêtes et des vacances
Chapitre 5 - Jo voisine
Chapitre 6 - Beth entre dans le beau palais
Chapitre 7 - Amy passe dans la vallée de l’humiliation
Chapitre 8 - Double choc
Chapitre 9 - Meg va à la foire aux vanités
Chapitre 10 - Le Pickwick Club
Chapitre 9 - Une expérience
Chapitre 12- Le camp de Laurentz
Chapitre 13 - La société des abeilles et les châteaux en Espagne
Chapitre 14 - Deux secrets
Chapitre 15 - Une depêche et ses suites
Chapitre 16 - Un paquet de lettres
Chapitre 17 - Beth
Chapitre 18 - Des jours sombres
Chapitre 19 - Le testament d’Amy
Chapitre 20 - Confidences
Chapitre 21- Laurie fait des bêtises et Jo rétablit la paix
Chapitre 22 - Des jours de bonheur
Chapitre 23 - Tante Marsch
Chapitre 24 - Quatre ans après
Louisa May Alcott
Les quatre filles du docteur March
Chapitre 1 - Où le lecteur fait connaissance avec la famille américaine
« Noël ne sera pas Noël si on ne nous fait pas de cadeaux, grommela miss Jo en se couchant sur le tapis.
— C’est cependant terrible de n’être plus riche, soupira Meg en regardant sa vieille robe.
— Ce n’est peut-être pas juste non plus que certaines petites filles aient beaucoup de jolies choses et d’autres rien du tout », ajouta la petite Amy en se mouchant d’un air offensé.
Alors, Beth, du coin où elle était assise, leur dit gaiement :
« Si nous ne sommes plus riches, nous avons encore un bon père et une chère maman et nous sommes quatre sœurs bien unies. »
La figure des trois sœurs s’éclaircit à ces paroles. Elle s’assombrit de nouveau quand Jo ajouta tristement :
« Mais papa n’est pas près de nous et n’y sera pas de longtemps. »
Elle n’avait pas dit : « Nous ne le reverrons peut-être jamais », mais toutes l’avaient pensé et s’étaient représenté leur père bien loin, au milieu des terribles combats qui mettaient alors aux prises le Nord et le Sud de l’Amérique.
Après quelques moments de silence, Meg reprit d’une voix altérée :
« Vous savez bien que maman a pensé que nous ferions mieux de donner l’argent de nos étrennes aux pauvres soldats qui vont tant souffrir du froid. Nous ne pouvons pas faire beaucoup, c’est vrai, mais nos petits sacrifices doivent être faits de bon cœur. Je crains pourtant de ne pas pouvoir m’y résigner, ajouta-t-elle en songeant avec regret à toutes les jolies choses qu’elle désirait.
— Mais nous n’avons chacune qu’un dollar, dit Jo ; quel bien cela ferait-il à l’armée d’avoir nos quatre dollars ? Je veux bien ne rien recevoir ni de maman ni de vous, mais je voudrais acheter les dernières œuvres de Jules Verne qu’on vient de traduire ; il y a longtemps que je les désire. Le capitaine Grant est, lui aussi, séparé de ses enfants, – mais ses enfants le cherchent, – tandis que nous… nous restons-là. »
Jo aimait passionnément les aventures.
« Je désirais tant de la musique nouvelle, murmura Beth avec un soupir si discret que la pelle et les pincettes seules l’entendirent.
— Moi, j’achèterai une jolie boîte de couleurs, dit Amy d’un ton décidé.
— Maman n’a pas parlé de notre argent et elle ne peut pas vouloir que nous n’ayons rien du tout. Achetons chacune ce que nous désirons et amusons-nous un peu ; nous avons assez travaillé toute l’année pour qu’on nous le permette ! s’écria Jo en examinant les talons de ses bottines d’une manière tout à fait masculine.
— Oh ! oui, moi je l’ai bien mérité en m’occupant tous les jours de l’éducation de ces méchants enfants, quand j’aurais tant aimé rester à la maison, dit Meg qui avait repris son ton plaintif.
— Vous n’avez pas eu la moitié autant de peine que moi, reprit Jo. Comment feriez-vous s’il vous fallait rester, ainsi que moi, enfermée des heures entières avec une vieille personne capricieuse et grognon, qui n’a pas plus l’air de se rappeler que je suis sa nièce, que si je lui arrivais tous les jours de la lune ; qui vous fait trotter toute la journée, qui n’est jamais contente de rien, qui enfin vous ennuie à tel point qu’on est toujours tenté de s’en aller, de peur de la battre ?
— C’est mal de se plaindre ; cependant je pense que la chose la plus désagréable qui se puisse faire ici, c’est de laver la vaisselle et de faire les chambres comme je le fais tous les jours. Je sais bien qu’il faut que cela se fasse, mais cela me rend les mains si dures que je ne peux plus étudier mon piano », dit Beth avec un soupir que cette fois tout le monde entendit.
Ce fut alors le tour d’Amy :
« Je ne pense pas qu’aucune de vous souffre autant que moi ; vous n’avez pas à aller en classe avec d’impertinentes petites filles qui se moquent de vous quand vous ne savez pas vos leçons, critiquent vos vêtements, vous insultent parce que vous avez votre nez et pas le leur et dédaignent votre père parce qu’il a, par trop de bonté, perdu sa fortune subitement !
— La vérité est, répondit Meg, qu’il vaudrait mieux que nous eussions encore la fortune que papa a perdue il y a plusieurs années. Nous serions, je l’espère, plus heureuses et bien plus sages si nous étions riches comme autrefois.
— Vous disiez l’autre jour que nous étions plus heureuses que des reines.
— Oui, Beth, et je le pense encore, car nous sommes gaies, et, quoique nous soyons obligées de travailler, nous avons souvent du bon temps, comme dit Jo.
— Jo emploie de si vilains mots ! » dit Amy.
Jo se leva tranquillement, sans paraître le moins du monde offensée, et, jetant les mains dans les poches de son tablier, se mit à siffloter gaiement.
« Oh ! ne sifflez pas, Jo ! On dirait un garçon, s’écria Amy, et même un vilain garçon.
— C’est pourtant dans l’espoir d’en devenir un, mais un bon, que j’essaie de siffler, répliqua Jo.
— Je déteste les jeunes personnes mal élevées…, dit Amy.
— Je hais les bambines affectées et prétentieuses… répliqua Jo.
— Les oiseaux sont d’accord dans leurs petits nids, chanta Beth d’un air si drôle que ses sœurs se mirent à rire et que la paix fut rétablie.
— Vous êtes réellement toutes les deux à blâmer, dit Meg, usant de son droit d’aînesse pour réprimander ses sœurs. Joséphine, vous êtes assez âgée pour abandonner vos jeux de garçon et vous conduire mieux ; cela pouvait passer quand vous étiez petite, mais maintenant que vous êtes si grande et que vous ne laissez plus tomber vos cheveux sur vos épaules, vous devriez vous souvenir que vous êtes une demoiselle.
— Je n’en suis pas une, et si mes cheveux relevés m’en donnent l’air, je me ferai deux queues jusqu’à ce que j’aie vingt ans, s’écria Jo en arrachant sa résille et secouant ses longs cheveux bruns. Je déteste penser que je deviens grande, que bientôt on m’appellera miss Marsch, qu’il me faudra porter des robes longues et avoir l’air aussi raide qu’une rose trémière ! C’est déjà bien assez désagréable d’être une fille quand j’aime les jeux, le travail et les habitudes des garçons. Je ne me résignerai jamais à n’être pas un homme. Maintenant c’est pire que jamais, car je meurs d’envie d’aller à la guerre pour vaincre ou mourir avec papa, et je ne puis que rester au coin du feu à tricoter comme une vieille femme ! »
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